Par Elsa Collobert
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« Outiller les enseignants dans leurs pratiques en matière d’IA »

Adapter nos formations, former les étudiants et soutenir la transformation pédagogique : autant d’enjeux qui se posent avec acuité, face à l’irruption dans le quotidien de la révolution que constitue l’IA générative. L’Institut de développement et d’innovation pédagogiques (Idip) s’en est saisi dès 2023, missionnant d’abord un enseignant-chercheur en informatique, Basile Sauvage, puis recrutant une ingénieure pédagogique dédiée, Justine Aubry. Rencontre avec le tandem.

Davantage qu’un changement ou un bousculement des habitudes, pour Basile Sauvage, l’irruption de l’IA générative comme un outil prêt à l’emploi pour le grand public, avec ChatGPT comme tête de pont en 2023, constitue une véritable révolution. Plus encore que l’arrivée du web et des moteurs de recherche, car l’outil touche à des compétences de haut niveau – comprendre, analyser, créer - propres aux humains. Dans ce contexte à la croisée des questions politiques, éducatives et citoyennes, le déploiement de l’IA appelle à un débat éclairé pour que les enseignants-chercheurs continuent à faire leur métier. Les décisions étant prises à un niveau supérieur, notre rôle doit être d’accompagner les enseignants dans leurs pratiques et de les outiller.

« Former au temps des IA » : c’est l’intitulé de la lettre de mission que lui a confiée la vice-présidente Formation, fin 2024, pour formaliser le travail déjà entamé en 2023. Il faut dire que l’enseignant-chercheur en informatique disposait de plusieurs cordes à son arc : titulaire du diplôme universitaire « Pédagogie de l’enseignement supérieur » en 2018, familier des formations de l’Idip, convaincu de l’utilité de l’accompagnement et du retour d’expériences entre pairs. J’apporte mon expertise technique et pédagogique pour faire du conseil.

2024, l’année de la consolidation

Après une réponse apportée dans l’urgence, l’année suivante est celle de la consolidation, avec l’embauche d’une ingénieure pédagogique dédiée, dont une partie des missions sont dévolues aux bibliothèques. J’étais déjà sur les rails, Justine Aubry a pris le train en marche et apporté sa touche.  Celle d’une titulaire d’un master en sciences cognitives, diplômée en 2023, soit juste avant le boom ChatGPT, souligne-t-elle elle-même, dont les notions en accompagnement pédagogique se renforcent au contact d’une équipe très compétente et bienveillante.

Forts de leur double regard, poursuivant un impératif d’essaimage, avec des dizaines de milliers d’étudiants à toucher, Justine et Basile ont déjà monté deux formations à destination des enseignants. La demande est là : Nous ne sommes pas trop de deux, quand on voit à quelle vitesse se remplissent les sessions. Nous intervenons aussi directement en séminaires de composantes – Faculté de théologie catholique, Faculté de sciences économiques et de gestion, École de management – de manière à créer une dynamique dans les équipes et leur mettre le pied à l’étrier

Deux formations pour les enseignants et un module d'autoformation en ligne pour les étudiants

Un module d’autoformation en ligne de six heures vient aussi d'être mis à disposition des étudiants sur Moodle, pour la prochaine rentrée de septembre, ajoute Justine Aubry. Les enseignants sont libres de s’en saisir pour l’intégrer de la manière qu’ils souhaitent à leur cursus, et nous restons à leur disposition pour approfondir la réflexion sur l’accompagnement disciplinaire. Certaines composantes ayant déjà naturellement entamé leur acculturation, comme Math-Info pour la programmation, les langues et la psychologie pour le traitement des données, souligne Basile Sauvage, qui aime à voir son rôle comme un facilitateur de contact, de mise en relation.

« Dépasser les craintes »

« Le besoin réside d'abord dans la compréhension des outils »

Basile Sauvage et Justine Aubry insistent : Notre rôle consiste à dépasser la peur et les craintes que l’IA peut générer, en dotant les enseignants d’éléments de compréhension. Souvent, au-delà de l’aspect pédagogique, le besoin réside dans la compréhension des outils : se projeter dans leur utilisation et connaître les règles de protection des données. Chacun garde ensuite la latitude de les utiliser ou non.

Souvent, ils arrivent en formation avec beaucoup d’attentes autour de la question de la fraude lors de l’évaluation, souligne Basile Sauvage. Nous leur répondons que la plupart des situations sont déjà couvertes par le règlement intérieur. Sans leur livrer des solutions clés en mains, nous suscitons le débat et le partage d’expérience, leur donnons des outils de réflexion technique et pédagogique pour faire eux-mêmes : concevoir des cours, repenser parfois leur méthode d’évaluation, penser des solutions d’hybridation, comme l’utilisation de l’IA en cours et l’évaluation hors-ligne. Même remarque concernant les outils : On n’oriente pas vers tel ou tel outil. Le Centre de culture numérique (CCN) propose des ateliers de découverte. Nous travaillons de manière étroite avec la Direction du numérique sur cette question.

À l’image de notre société, le corps enseignant est partagé entre « technoptimistes », réfractaires, prudents… À la croisée de ces préoccupations, le tandem adopte des positions mesurées : Personnellement, j’utilise très peu l’IA, souligne la première. Certes, le déploiement rapide de ChatGPT a pris tout le monde de cours, poursuit Basile Sauvage. Évoquant la courbe de Gartner : Il faut se garder d'attentes comme de craintes démesurées : l’IA générative  est celle qui fait le buzz en ce moment, mais ce n’est qu’une technologie parmi d’autres. L’IA était déjà présente dans un certain nombre de domaines, de la reconnaissance vocale aux algorithmes de recommandation sur nos plateformes de streaming. L’objectif est de trouver les outils et les usages pertinents, tout en respectant des critères éthiques. En armant la communauté universitaire pour réfléchir à ces transformations inhérentes à nos métiers, on est au cœur de la mission de l’Idip, conclut Basile Sauvage.

Pas de charte dédiée, mais des recommandations

Plusieurs établissements d’enseignement supérieur se sont dotés d’une charte pour l’IA. Un choix qui n’a pour l’heure pas été privilégié à l’Unistra : « Dans un contexte de grande incertitude et d’évolutions très rapides, un tel outil figé ne serait pas adapté, il faut pouvoir rester flexible et s’adapter. La Charte de bon usage des moyens numériques a été amendée de grands principes (sécurité des systèmes d’information, respect des données personnelles, respect de la propriété intellectuelle, respect de l’éthique scientifique, impacts environnementaux). Ensuite, on peut imaginer des déclinaisons sous forme de guides, plus évolutifs et contextualisés », précise Basile Sauvage. Lui et Justine Aubry mènent aussi un travail de veille bibliographique constante et d’échanges dans les réseaux professionnels, pour se partager collectivement la veille, des expériences et des ressources.

L’Unistra face aux défis de l’IA

Dans l’enseignement, les équipes de direction, les métiers administratifs, la recherche… Depuis au moins deux ans, voire plus, l’IA infuse dans tous les domaines à l’université. Comment cette dernière répond-elle aux défis que pose cette révolution, comment s’en saisissent les acteurs, quelles réponses et processus sont-ils mis en place ? Ingénieurs, chefs de projets, chargés de mission… Savoir(s) le quotidien part à la rencontre de celles et ceux sont mobilisés en tant qu’acteurs du changement !

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