Par Mathilde Hubert
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Lumière sur les moteurs moléculaires : des matériaux amorphes qui s’auto-organisent

Les professeurs Nicolas Giuseppone, Institut Charles Sadron (ICS / CNRS), Jean-Marie Lehn, Institut de science et d’ingénierie supramoléculaires (Isis, CNRS/Unistra), et leurs collaborateurs ont mis en évidence un phénomène inédit : en activant des moteurs moléculaires à l’aide de la lumière, il est possible de transformer une matière amorphe, sans forme ni fonction, en une matière structurée à l’échelle du nanomètre. Une découverte qui ouvre la voie à une nouvelle génération de matériaux, capables de s’auto-organiser, de s’auto-réparer et de s’adapter à la demande.

Dans les cellules vivantes, il existe des moteurs biologiques, véritables machines moléculaires, qui participent à l’organisation de réseaux polymères complexes. Les scientifiques ont réussi à mimer ce phénomène à l’aide de simples moteurs rotatifs moléculaires artificiels capables de se regrouper à l’interface air-eau. Une fois comprimés, ces moteurs forment un film moléculaire non structuré. Et c’est sous l’effet de la lumière que la magie opère : les moteurs se mettent en mouvement et déclenchent une organisation spontanée de la matière.

Un peu comme si un moteur de voiture, via sa rotation, entraînait toute une chaîne de transformations moléculaires 

Ce changement s’explique par un processus actif de polymérisation supramoléculaire : les moteurs, en tournant, sortent le matériau d’un état désordonné, dit « piégé cinétiquement », pour l’amener vers une organisation hautement structurée. C’est un peu comme si un moteur de voiture, via sa rotation, entraînait toute une chaîne de transformations moléculaires, explique Nicolas Giuseppone. Résultat : des fibres longues et parfaitement organisées à l’échelle du nanomètre se forment spontanément, alors qu’aucune propriété particulière n’était observable au départ.

Autre atout de ces systèmes : leur capacité d’auto-réparation. Si le matériau est endommagé, il redevient amorphe. Mais sous l’effet d’une nouvelle impulsion lumineuse, il peut se réorganiser à l’identique, comme s’il “se souvenait” de sa forme.

Une révolution dans la conception de matériaux motorisés innovants

Les chercheurs ont utilisé la microscopie à force atomique, un outil capable de lire les surfaces au nanomètre près, comme une tête de lecture sur un vinyle. Cette technique a permis de visualiser en direct les différentes étapes du processus : du matériau amorphe aux premières fibrilles jusqu’à la formation finale de motifs parfaitement organisés.

L’observation de ce comportement ouvre des pistes enthousiasmantes : créer des matériaux conducteurs à base de fibres organisées pour la construction de nanocircuits électroniques, concevoir des surfaces dynamiques nanostructurées, pilotées par la lumière, ou encore modifier à volonté les propriétés mécaniques des matériaux (souplesse, dureté…) en jouant sur leur organisation moléculaire.

Avec la perspective d’une matière active capable de s’auto-organiser, de s’auto-réparer mais aussi d’évoluer, en réponse à une modification de son environnement, cette découverte amorce une révolution dans la conception de matériaux motorisés innovants.

Cette étude a été financée par le réseau de formation innovante (ITN) « ArtMoMa » du programme H2020 de la commission européenne, permettant le financement pendant quatre ans de quinze doctorants à travers différents laboratoires européens.
 

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