Par Edern Appéré
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Les Jeux olympiques, bien loin de l’Olympisme de Pierre de Coubertin

Série Objectif JO #12. Fondés par le baron Pierre de Coubertin en 1896, les Jeux olympiques de l’ère moderne se sont petit à petit éloignés de l’idéal prôné par l’aristocrate français. Jean Saint-Martin, enseignant-chercheur à la Faculté des sciences du sport (F3S), a étudié la genèse de ces olympiades puis leur évolution jusqu’au jeux qui se dérouleront à Paris cet été.

On confond souvent olympisme et Jeux olympiques. L’olympisme est l’idéologie prônée par Pierre de Coubertin tandis que les Jeux olympiques sont l’événement qu’il a fondé pour porter cette idéologie. Au fur et à mesure, les deux se sont éloignés l’un de l’autre, note Jean Saint-Martin, spécialiste de l’histoire culturelle du sport à l’époque contemporaine.

À la fin du 19e siècle, Pierre de Coubertin est marqué par la pédagogie de Thomas Arnold, appliquée dans les public schools qui forment l’élite aristocratique anglo-saxonne. Il s’en inspire pour promouvoir en France une éducation complète qui accorde une large place au sport. Une éducation par le sport et non pour le sport, qui permet de développer tout à la fois des qualités physiques et mentales. Qualités dont l’usage pourra notamment être fait lors de ce qui est alors considéré comme le sport suprême : la guerre. Outre améliorer la santé et la condition des jeunes Français, l’éducation physique pourrait, à plus long terme, favoriser le redressement de la France et redonner de la grandeur au pays marqué par la défaite lors de la guerre franco-prussienne.

Sport, arts et littérature aux JO d’Athènes

Faute d’obtenir l’accord des hommes politiques de l’époque pour généraliser cette idéologie teintée d’hygiénisme dans les écoles, Pierre de Coubertin imagine un grand événement à même de la porter. Lors du congrès de la Sorbonne réuni en 1894 pour célébrer les 5 ans de l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques, Pierre de Coubertin propose la création d’olympiades internationales. Son idée est retenue et se concrétise deux ans plus tard, à Athènes. Dans la droite ligne de l’idéal d’éducation complète chère à son créateur, la première édition des Jeux olympiques de l’ère moderne comporte, outre les épreuves sportives, des concours d’arts, de littérature, d’architecture...

Dès les premières éditions, Pierre de Coubertin se rend compte que les Jeux olympiques lui échappent

Dès les premières éditions, Pierre de Coubertin se rend compte que les Jeux olympiques lui échappent, relate Jean Saint-Martin. Dans l’entre deux guerres, alors qu’il n’est plus membre du Comité international olympique, il en vient même à demander - en vain - à la Société des nations de faire disparaître les Jeux olympiques car ils ne célèbrent plus, selon lui, l’olympisme. Loin de l’idéal de fraternité internationale centrée autour des nobles valeurs du sport voulu par le baron français, les terrains de sport sont devenus un lieu de confrontations entre nations, exacerbées par les tableaux des médailles que la presse publie. La suite des événements lui donnera raison : les états totalitaires comme l’Allemagne nazie et l’Italie de Mussolini s’emparent des JO pour en faire la vitrine de leurs régimes fascistes.

L’idéologie du 19e siècle n’est plus d’actualité

Les pays anglo-saxons n’avaient que timidement adhéré à l’idéal olympique initial car il mettait en valeur une pratique sportive amateure ouverte à tous alors que leur système reposait plutôt sur un sport aristocratique et professionnel. À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, le Royaume-Uni et les États-Unis reprennent le flambeau des Jeux et amorcent le virage de leur commercialisation. En découlent l’introduction des sponsors, l’ouverture aux sportifs professionnels et la spectacularisation des épreuves que l’on connaît de nos jours. Autant d’éléments qui n’ont plus beaucoup à voir avec l’éducation par le sport. Les Jeux ont beaucoup fait pour démocratiser la pratique sportive, mais l’esprit de compétition qu’ils véhiculent désormais engendre des pratiques bien loin de l’olympisme. Les athlètes sont prêts à tout pour remporter des épreuves, comme se doper, déplore Jean Saint-Martin.

L’esprit de compétition que les JO véhiculent désormais engendre des pratiques bien loin de l’olympisme

Pour le chercheur, le sport est à l’image d’une société. L’idéologie du 19e siècle n’est plus d’actualité. La dimension financière énorme prise de nos jours par ce type d’événement sportif correspond à notre époque. Au final, quelle image reste-t-il des idéaux du baron français ? L’œuvre de Pierre de Coubertin est difficile à analyser car il a fait des choses très contrastées. Il a été capable de prôner des idéaux d’éducation à la pratique sportive pour tous et de valorisation d’un modèle amateur, mais ne s’est pas bien entouré pour les défendre. Il n’a pas su voir l’évolution du monde et l’usage qui était fait du sport à partir de la Première Guerre mondiale, notamment par les régimes totalitaires. Au fond, Pierre de Coubertin est un visionnaire mais un peu hors sol.

Pierre de Coubertin, un personnage controversé

Pierre de Coubertin nait à Paris en 1863. Après une enfance passée au château de Mirville, en Normandie, il étudie les lettres, les sciences puis le droit, dont il devient bachelier, en 1885. Dès 1883 il séjourne au Royaume-Uni où il découvre les sports en vogue outre-Manche (aviron, rugby, boxe...) et la large place accordée au sport pour atteindre l'excellence physique, intellectuelle et mentale.

Très engagé pour le développement du sport scolaire en France, le baron est loin de faire l'unanimité. Il est au coeur de conflits idéologiques avec d'autres mouvements de l'époque qui œuvrent également au développement de l'activité physique à l'école.

Lorsqu'il fonde le Comité international olympique, Pierre de Coubertin s'y attribue le poste de secrétaire général et instaure un système de cooptation des membres, afin de s'entourer de proches acquis à sa cause. Il en écarte les représentants grecs qui souhaitaient que chaque édition des Jeux se déroule dans leur pays, alors que lui voulait que les Jeux soient internationaux, retrace Jean Saint-Martin.

De nombreuses polémiques entourent le baron de Coubertin : ses propos sur la colonisation, ses positions sur la présence des femmes aux Jeux olympiques, sa supposée sympathie pour le régime nazi... On prête beaucoup de choses à Pierre de Coubertin. Ce qui est sûr c'est qu'issu d'un milieu aristocratique, il avait une vision foncièrement inégalitaire de la société. Politiquement, il était républicain convaincu, mais pas démocrate, indique Jean Saint-Martin.

Après avoir investi toute sa fortune personnelle dans la promotion de l'olympisme, il meurt ruiné, le 2 septembre 1937 à Genève, d'une crise cardiaque.

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