Par Léa Border et Joëlla Krumeich
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Si j’étais un zombie

Série « Si j'étais » 2/6. Quel est le point commun entre Thriller de Michael Jackson, Harry Potter et une poupée Monster High ? Dans tous ces médias on retrouve la figure du zombie. Figure emblématique de l'imaginaire de l'horreur, le zombie a plus à offrir qu'une démarche maladroite et des grognements. Pour en savoir plus, nous sommes allées à la rencontre de Ninon Chavoz, maître de conférences en littératures francophones à l'Université de Strasbourg.

Genèse du Zombie : entre Haïti et Afrique

Au cœur des sépultures, ma main s'extirpe de la terre. Je suis Zombie, une créature forgée par des siècles de mythes, mes racines plongeant dans les cultures africaines, haïtiennes, et le vaudou. Autrefois, je symbolisais la force laborieuse et l'esclavage, instillant la crainte chez ceux de ces mêmes cultures, redoutant de devenir une marionnette sans volonté, à la merci d'autrui. Cependant, dans la littérature haïtienne, je revêts parfois les traits d'une femme désirée, belle et métissée, symbolisant la puissance du métissage et de la double culture.

Du zombie aux zombie(s)

Mais lorsque le cinéma hollywoodien, à la fin des années 60, avec La nuit des morts vivants de George Romero, s’'approprie ma silhouette, je perds mon individualité pour devenir une menace indistincte. Sous les feux des projecteurs, je suis dépeint comme une horde menaçante. Contrairement au vampire, être unique et aristocratique, je suis une figure démocratique, de la masse informe et synonyme de mort imminente. N’importe qui peut devenir comme moi : un cadavre vivant dévoreur de chair. Outre-Atlantique, je deviens une critique acerbe d'un capitalisme vorace, comparé au consommateur passif. Mon existence souligne l'importance du libre arbitre, mais aussi une possible critique des régimes dictatoriaux, tels ceux ayant marqué ma terre d'origine, Haïti.

Zombie, miroir de nos anxiétés collectives

Ma figure reflète les peurs collectives contemporaines : l'apocalypse, le capitalisme effréné, la terreur d'une existence dénuée de contrôle. Cependant, mon existence peut également apporter la jubilation, que ce soit dans la quête de sensations fortes ou d'humour. Transformé en une figure incontournable de l'imaginaire collectif, je suis parfois tourné en dérision, parodié, comme dans The Dead Don't Die, un film du réalisateur américain Jim Jarmusch.

Le zombie à la croisée des disciplines universitaires

Les études académiques sur moi sont plurielles et étendues. En tant qu'objet folklorique, je suis exploré sous des angles littéraires, anthropologiques, psycologiques et même biologiques. Plusieurs hypothèses circulent à mon sujet : la critique du capitalisme, l'allégorie de la renaissance littéraire... et même la possibilité de devenir comme moi en ingérant du poison issu d'un poisson japonais, le fugu. En somme, je suis une figure d'ambivalence, mi-vivant mi-mort, oscillant entre répulsion et désir, à la croisée des disciplines universitaires. Une réalité intrigante, ou peut-être dérangeante.

Ninon Chavoz

Chercheuse au sein de l'équipe d'accueil Configurations littéraires, Ninon Chavoz est spécialisée dans les littératures francophones. D'abord focalisée sur les littératures subsahariennes, ses travaux se sont diversifiés vers les littératures chinoises, antillaises, québécoises ou encore helvétiques.

La série si j'étais

Cet article a été réalisé dans le cadre d'un atelier de vulgarisation scientifique pour lequel des étudiants sont partis à la rencontre de chercheurs. Objectif : rédiger un texte destiné à présenter un sujet d’étude scientifique et le faire parler à la première personne du singulier.

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