Par Catherine Riding et Méline Bartholomé
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Si j’étais la lignine

Série « Si j'étais » 3/6. Maud Villain-Gambier s’intéresse à la lignine. La chercheuse à l’Institut pluridisciplinaire Hubert Curien (IPHC - CNRS/Unistra) nous permet grâce à son étude sur l’usage de biodéchets, d’imaginer une industrie plus durable. Rencontre exclusive avec la biomasse. L’opportunité de se familiariser avec la science de demain.

Qui suis-je ? A quoi je sers ?

Souvent non considérée ou simplement oubliée, je suis une partie de la biomasse dite lignocellulosique présente dans les végétaux. Je suis un composé des cellules végétales présent dans les parois d’une plante par exemple, un peu comme une couche protectrice. Je peux être comparée à un squelette puisque comme les os, j’aide à faire grandir le corps que je porte. Je fais passer la plante du port « rampant » au port dit « dressé », la rendant plus favorable à la capture de la lumière.

Quelle est ma petite particularité ?

Je suis une molécule complexe, ce qui fait que les procédés utilisés pour m’extraire abiment la plupart du temps ma structure originelle

Je suis le seul polymère aromatique du règne végétal qui se caractérise par plusieurs cycles; ce qui présente des similitudes avec les molécules d’origine pétrochimique. Oui, vous avez bien lu, je ressemble à des molécules issues du pétrole qui est présent un peu partout et pas uniquement dans le carburant. Sauf que moi, je suis plus durable et surtout plus respectueuse de l’environnement ! Le problème, c’est que je suis une molécule complexe, ce qui fait que les procédés utilisés pour m’extraire abiment la plupart du temps ma structure originelle. Si je suis endommagée, je perds en qualité et je ne peux qu’être brûlée pour créer de l’énergie… J’aimerais pouvoir faire plus et aider le monde de demain ! L’industrie a besoin de s’améliorer et doit se tourner vers une fabrication plus écologique.

Comment les scientifiques apprivoisent-ils ma structure ?

Pour m’utiliser, il y a tout un procédé à respecter puisqu’on veut m’obtenir sous une forme dite de haute qualité. Il est important de m’extraire à partir de déchets ! Cela serait dommage d’arracher des plantes alors qu’on veut améliorer l’avenir de la planète. Actuellement, je suis étudiée à partir de copeaux de scierie mais on pourrait très bien m’extraire à partir de ce qu’il reste des céréales après le brassage de bière, de quoi passer un moment convivial au passage. Pour m’obtenir sous la forme souhaitée, il faut me mettre dans un flacon avec un solvant développé spécifiquement pour moi. Tout cela à une certaine température, un certain temps et avec une certaine agitation. Précision j’ai dit ! Je tourne encore et encore dans une centrifugeuse. Une fois que je suis nettoyée, j’apparais sous forme solide et je suis visible à l’œil nu. Pour m’obtenir sous ma meilleure forme, il faut environ deux jours de processus puisque je dois sécher.

Quels sont mes usages une fois parfaite ?

Ma présence permet une meilleure conservation des aliments dans les supermarchés

Je possède des usages dans beaucoup de domaines, c’est ce qui rend ma vie vraiment intéressante ! Les nanoparticules extraites pourraient être utilisées par exemple dans les crèmes solaires anti UV. Bientôt vous pourrez vous promener partout avec un bout de moi sur la peau ! Bon, c’est encore compliqué de m’introduire dans les cosmétiques. Toutes les crèmes ou presque sont blanches sauf que je suis la plupart du temps noire une fois extraite. Il y a un énorme travail marketing à faire… Si pour le moment il peut être difficile de m’insérer dans des cosmétiques, je peux faire beaucoup d’autres tâches comme rigidifier les matériaux, capter les métaux lourds. Une des choses que je préfère, c’est ma fonction dans les emballages : ma présence permet une meilleure conservation des aliments dans les supermarchés. Je mise tout sur mes actions durables et utiles !

Maud Villain Gambier : créer un lien entre le fondamental et l’industriel

Maud Villain Gambier, en plus d’être maître de conférences, est une chercheuse active à l’Institut pluridisciplinaire Hubert-Curien de Strasbourg. Elle est membre de l’équipe Reconnaissance et procédés de séparation moléculaire (Repsem) aux côtés de Dominique Trebouet.  Cette équipe dirigée par Barbara Ernst effectue un travail en lien avec le développement durable. Les projets de recherche sont par exemple tournés vers la valorisation de biomolécules ou la production de biohydrogène à partir de coproduits résiduaires industriels ou agricoles. Maud Villain Gambier participe pour sa part au projet d’intégrer l’extraction de la lignine de biomasses lignocellulosiques à des programmes de recherche régionaux ou nationaux dans le but de mener une coopération entre transition écologique et partenaires industriels : ce qu’elle décrit comme l’action de créer un lien entre le fondamental et l’industriel.

La série si j'étais

Cet article a été réalisé dans le cadre d'un atelier de vulgarisation scientifique pour lequel des étudiants sont partis à la rencontre de chercheurs. Objectif : rédiger un texte destiné à présenter un sujet d’étude scientifique et le faire parler à la première personne du singulier.

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