Par Thomas Monnerais
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Une Académie des écrivains du monde entier

Victoire Feuillebois et Pascal Maillard, chercheurs à l’Université de Strasbourg, ont cofondé l’Académie des écrivain.es sur les droits humains dont le recueil de textes vient de paraître aux Presses universitaires de Strasbourg (PUS).

Comment est né ce projet d’Académie sur les droits humains qui a réuni des écrivain(e)s du monde entier et dont le recueil de textes « Exister, écrire, résister » est publié aux Presses universitaires de Strasbourg (PUS) ? 

Pascal Maillard : Nous sommes à la conjonction de deux moments historiques : la multiplication des guerres à travers le monde, la montée de l’illibéralisme dans de nombreux pays démocratiques (États-Unis, Hongrie, Italie, Argentine, Turquie…). Cet état sombre du monde plonge partout les écrivains dans des situations complexes en termes de liberté d’expression, de droit à la langue ou de droit à la création. Si bien qu’a naturellement émergé l’idée de créer dans le cadre de « Strasbourg, capitale mondiale du livre », un évènement permettant de rendre compte des combats qu’ils mènent dans leur œuvre et au quotidien.  

Victoire Feuillebois : Pascal Maillard et moi sommes chacun porteur de projets de résidence d’écrivains à l’Université de Strasbourg. Pour Pascal, dans le cadre du Prix Louise-Weiss de littérature ; pour moi, dans celui d’Écrire l’Europe. En cette année exceptionnelle autour du livre à Strasbourg, nous avions à cœur de travailler ensemble et d’imaginer un dispositif sortant de l’ordinaire. Compte tenu du contexte mondial, s’est très vite imposée l’idée d’une académie qui réunirait des écrivains originaires du monde entier. Pour les faire se rencontrer, dialoguer et in fine écrire et créer ensemble.

Le résultat de leur travail, c’est ce recueil de textes et surtout cet appel écrit et signé par tous les écrivains et publié en préambule ?  

P. M. : Organiser cette Académie des écrivain.es sur les droits humains sans la publication d’un livre était évidemment inenvisageable. Ce livre s’est construit à partir de textes rédigés – antérieurement ou spécialement pour l’occasion - par les écrivains qui les ont partagés en amont avec chacun des autres membres afin qu’ils servent de base de travail pour la rédaction de l’appel (lire encadré) publié en préambule du recueil, lors des séances plénières organisées à Strasbourg en novembre dernier. L’appel en lui-même est un petit miracle car il n’est pas facile de faire en sorte que neuf écrivains s’accordent sur un seul et même texte !

V.F. : À quelques minutes du début de la cérémonie de présentation à l’Hôtel de ville, le texte de l’appel n’était pas fixé, les discussions se poursuivaient encore. C’est dire la richesse et la vitalité des échanges, reflet de l’implication des écrivains. Même s’ils sont de diverses cultures, de générations différentes, n’ayant pas tous les mêmes attentes et la même définition de l’engagement, ils ont su s’entendre sur un texte commun qui reflète bien ce que peut être une posture d’écrivain aujourd’hui, où qu’il soit et d’où qu’il vienne.

La vingtaine de textes ou entretiens publiés dans le recueil reflète bien cette diversité des parcours et des points de vue.

V. F. : Même si tous les textes sont traduits en français, certains sont publiés en langue originale également. Il y a en tout quatre alphabets différents dans l’ouvrage. En outre, certains textes sont à caractère littéraire, d’autres plus réflexifs. Ce double format a permis aussi à ceux qui le voulaient de s’aventurer sur des terrains qui ne sont pas habituellement les leurs. Je pense notamment à Luba Yakymtchouk qui dans un de ces textes, documente l’occupation russe en Ukraine à partir des graffitis et inscriptions que les soldats russes ont laissés sur les murs des maisons et des bâtiments. Elle n’est pourtant pas historienne, documentariste ou journaliste, mais poétesse.

P. M. : Nous avons délibérément gardé ces deux formes car les écrivains sont à la fois des penseurs et des créateurs. Ils pensent le monde, la société, la politique et ils font vivre ces questions à travers la littérature et la création. Comme Jean D’Amérique qui dans son poème dénonce l’impuissance de l’Organisation des nations unies dans son pays, Haïti. Ou à la poétesse iranienne Roja Chamankar qui revient dans un entretien sur les enjeux politiques de la traduction et la condition du poète en exil. Ou encore à la Française Claude Ber qui rappelle dans son texte qu’il n’y a pas d’identité sans altérité. Ce recueil est une œuvre de littérature et de réflexion polyphonique ! 

Exister, écrire, résister. L’appel de l’Académie des écrivain.es sur les droits humains

Strasbourg, le 30 novembre 2024. « Je ne veux pas qu’on écrive des poèmes sur ma mort »

Il fait nuit sur le monde. Les guerres nous plongent dans la barbarie. Un conflit mondial est imminent. Face à l’impensable qui vient, nos consciences et nos cœurs se soulèvent. Nous, écrivaines et écrivains du monde entier, nous ne pouvons plus nous taire. L’humanité se perd. Nous sommes la littérature debout, nous sommes le livre, la parole en révolte, nous sommes en résistance pour la vie et la liberté. Nous sommes avec les voix écrasées, nous sommes avec les asphyxié·es, les emprisonné·es, les exilé·es. Nous sommes un cri.

Contre toutes les guerres dans le monde, nous exigeons la parole et la paix dans le respect des personnes.
Contre toute agression, nous rappelons que chaque être humain a le droit à se défendre.
Contre tous les assassins de l’humanité, nous appelons à la justice.
Contre les essentialismes, les sectarismes et les nationalismes, nous proclamons l’universel des droits du vivant.
Contre les assignations identitaires, nous affirmons le primat des différences et des singularités.
Contre la tyrannie du même, nous chantons la beauté infinie de l’autre.
Contre les nettoyages ethniques, nous appelons au brassage des peuples et au Tout-Monde.
Contre les dictatures linguistiques, nous proclamons le droit de chaque personne et de chaque peuple à parler la langue de son choix.
Contre la réécriture des œuvres du passé, nous exigeons le respect de l’intégrité des textes littéraires.
Contre les frontières d’acier, nous lançons des cerfs-volants.
Contre les murs et les barbelés, nous proclamons la liberté de circuler.
Contre la destruction de la terre par l’exploitation des hommes, nous affirmons les droits de l’air, de l’eau et du sable.
Contre l’enfermement des corps et des esprits, nous faisons éclore les soleils de mille grenades entrouvertes.
Contre les dogmatismes, nous proclamons le droit au sensible et à l’imaginaire.
Contre toute censure, nous créons des ripostes et ouvrons des passages.
Contre les marchands de désespérance, nous lançons des salves d’avenir.
Contre l’obscurantisme, nous affirmons le pouvoir libérateur des littératures.
Contre la servitude volontaire et involontaire, nous brandissons la lumière du poème.

Contre un monde où il n’y aurait que des vainqueurs et des vaincu·es, des dominant·es et des dominé·es, et où l’idée même de droit n’aurait plus de sens, nous affirmons qu’écrire est un acte de résistance. Nous, écrivaines et écrivains du monde entier, proclamons que la littérature est un acte de vie qu’on insuffle au monde et que notre droit à dire le réel et à inventer tous les imaginaires possibles ne souffre aucune limite. Contre les crimes contre l’humanité, nous appelons à la force d’écrire et d’agir.

Texte adopté à l’unanimité le 30 novembre 2024 par les membres de l’Académie :  Claude Ber, Roja Chamankar, Jean D’Amérique, Hawad, Alberto Manguel, Carole Mesrobian, Serge Pey, Pinar Selek et Luba Yakymtchouk
 

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