Par Elsa Collobert
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Quand le sang irrigue les arts visuels

Du sang du Christ au sang menstruel, flot destructeur autant que rédempteur... Le sang et ses représentations sont au cœur d'un colloque organisé les 23 et 24 novembre. Une manifestation scientifique à la croisée des disciplines – danse, cinéma, musique, peinture, clip... – qui se déploie à l'université, mais aussi au cinéma le Cosmos, au Musée d'art moderne et contemporain (MAMCS) et au Centre chorégraphique Pôle Sud.

A l'origine du colloque « Quand l'œuvre saigne. Usages et puissances du sang dans les arts visuels des 20e et 21e siècles » : Un point de contact : le sida ne se réduit pas au sang et le sang ne se limite pas au sida, résume Janig Bégoc. Responsable du master Écritures critiques et curatoriales de l'art et des cultures visuelles, impliquée dans les réseaux des musées strasbourgeois, c'est quand elle a vent de la tenue d'une exposition autour de l'histoire du sida au Musée d'art moderne et contemporain de Strasbourg (MAMCS) qu'elle a l'idée d'une manifestation scientifique parallèle. La thématique rejoignait des préoccupations croisées que nous avons entre enseignants-chercheurs au sein de la Faculté des arts, explique l'historienne de l'art, déjà co-organisatrice du colloque « Affects, flux, fluides », en 2019. Son collègue Christophe Damour, maître de conférences en études cinématographiques, rejoint l'aventure. Les champs d'exploration respectifs de l'exposition du MAMCS, d'une part, et du colloque, de l'autre, se déploient donc bien au-delà de ce point de jonction.

Pouvoir symbolique

A la fois tangible et informe, sacré et tabou, thérapeutique et destructeur : les deux journées du colloque se pencheront sur une notion duelle, polysémique, à travers une problématique : Quels sont les usages et les pouvoirs prêtés au sang dans les arts visuels depuis 1945 ? Le sang est rarement utilisé et représenté pour sa seule matérialité. A partir de là, comment les pouvoirs qu'on lui prête sont-ils réactivés par les artistes ?, souligne Janig Bégoc. L'articulation entre enjeux esthétiques et politiques est constante.

La notion de "hors-champ du sang" sera aussi très présente, avec de nombreux cas où le sang n'est qu'évoqué sans être montré, complète Christophe Damour, rattaché tout comme sa collègue au laboratoire Approches contemporaines de la création et de la réflexion artistiques (Accra).

Ouvert sur la ville

Nouée avec le MAMCS, la collaboration se déploie à différents niveaux, telle une poupée gigogne : D'abord au sein de la Faculté des arts, avec une représentation de ses trois départements (arts visuels, arts du spectacle, musicologie), détaille Janig Bégoc. La première journée du colloque se déroulera au MAMCS, avec une visite de l'exposition. La projection du film d'artiste au cinéma le Cosmos, suivie d'un débat, renverse la perspective de corps masculins jeunes et sensuels remplacés par des femmes ménopausées, dans une libre réinterprétation de Jean Genet (Qu'un sang impur, Pauline Curnier Jardin). Par ailleurs, la programmation du Centre chorégraphique Pôle Sud s'est mise au diapason de l'événement scientifique, avec la tenue du solo chorégraphique Good Boy d’Alain Buffard, transmis entre générations de danseurs, accompagné d'une table-ronde autour des « danses du sida ». De la contamination à la transmission, des parentés existent entre les notions.

Ornée du collier-cicatrice de l'artiste Jean-Michel Othoniel, l'affiche du colloque illustre bien cette dynamique collaborative (lire encadré).

Vocation pédagogique

A travers six jeudis de séminaires organisés en amont, les étudiants de la Faculté des arts sont étroitement associés à la préparation du colloque. Cette vocation pédagogique dont nous avons souhaité imprégner l'événement a un double avantage : les acculturer à la démarche de recherche, et aussi élargir le spectre des intervenants. Chères aux deux enseignants, les notions d'iconologie et de motifs récurrents traversent les séances, intégrées au programme « Cultures visuelles ». Préparation de notices bibliographiques, présentation d'intervenants, animation de tables-rondes : les étudiants sont libres de choisir les formats d'interventions dans lesquels ils se sentent le plus à l'aise.

Loïc Devin, stagiaire, complète l'équipe en travaillant sur le colloque, avec une attention particulière à l'étude des représentations du sang dans les cinémas indiens.

Interdisciplinarité

L'interdisciplinarité est dans l'ADN de notre laboratoire, et dans celui de notre Institut thématique interdisciplinaire (ITI) de rattachement (Centre de recherche et d’expérimentation sur l’acte artistique-Creaa), souligne Christophe Damour. Il était donc logique que la manifestation scientifique en porte le sceau : côté arts visuels, aussi bien la danse que le cinéma et la peinture, sont représentés, sans oublier la musique, avec une intervention sur le sang dans l'opéra voisinant une étude des clips du rappeur SCH. Nous avons la grande fierté de compter l'anthropologue émérite, David Le Breton, comme premier conférencier du colloque. Son intervention, suivie de celles d'un théologien autour du sang christique ou encore d'autres ayant trait au vampirisme ou à l'art vidéo, contribuera très certainement à enrichir l'étude de cette thématique encore largement à défricher.

Sous le signe du collier-cicatrice de Jean-Michel Othoniel

Un assemblage de perles de verre carmin, chapelet figurant des gouttes de sang : c'est le choix des organisateurs pour illustrer le programme du colloque. Il s'agit d'un détail de la photographie 'Le collier-cicatrice', de Jean-Michel Othoniel, actuellement exposée sous forme de vitrophanie sur l'Atrium, précise Janig Bégoc. Extraite d'une série, la photographie fait écho à l’exposition du Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg « Aux temps du sida. Œuvres, récits, entrelacs » (jusqu'au 4 février 2024), sur le campus, en lien avec la programmation dédiée de l'université.
A l'origine, l'œuvre était la performance réalisée par un collectif d'artistes lors de l'Europride 1997, à Paris, complète Christophe Damour. Performance immortalisée par Jean-Michel Othoniel à travers 200 photographies. A notre connaissance, c'est la première fois que certaines d'entre elles sont exposées en tant qu'œuvres à part entière.
Le travail iconographique a été réalisé avec le MAMCS et le Service universitaire de l'action culturelle (Suac), en lien étroit avec l'artiste, venu à Strasbourg à l'occasion de la réactivation de son œuvre, intimement liée à sa vie personnelle.

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