« Faire progresser l’égalité, un devoir impérieux »
L’égalité femmes-hommes : l’université s’est saisie du sujet « bien avant qu’il ne devienne à la mode » (dixit son président, Michel Deneken) et qu’il ne s’impose au premier plan des débats sociétaux. Les actions portées depuis plus de dix ans par Isabelle Kraus, vice-présidente Egalité, Parité, Diversité, contribuent aussi à faire changer les mentalités sur cette thématique transversale. Entretien croisé à l’occasion de ce dossier spécial, déployé alors que la Semaine de l’égalité bat son plein.
La vice-présidence Egalité, Parité, Diversité est née avec la nouvelle mandature, en 2021. Un symbole important ?
Michel Deneken : Cela va au-delà du symbole. C’est un devoir impérieux de l’université, qui dépasse largement le cadre de la Journée internationale des droits des femmes du 8 mars. Alain Beretz, dès son premier mandat, a souhaité faire de la question de l’égalité femmes-hommes une mission repérable, visible. Isabelle Kraus est dans l’équipe de présidence depuis 2009, d’abord en tant que chargée de mission jusqu’en 2016, puis vice-présidente déléguée (2017-2021) et enfin vice-présidente à part entière.
Au niveau national, l’Unistra a donc montré la voie. Ce sont aujourd’hui des moyens récurrents dédiés, en termes de budget et de personnel, qui accompagnent le déploiement de cette thématique.
Cette prise en compte de l’égalité est aujourd’hui indispensable. Elle fait d’ailleurs partie intégrante des projets européens que nous portons, comme Eucor ou Epicur, à travers des actions communes et des groupes de travail. Les notions « d’EDI » (Egalité, diversité et inclusion) sont ainsi devenues un critère d’éligibilité dans les appels à projet européens.
A titre personnel, enfin, c’est un sujet qui m’a toujours tenu à cœur, de façon instinctive.
Isabelle Kraus : La présidence m’a toujours apporté son soutien. Avec Michel Deneken, nous travaillons de façon rapprochée, depuis qu’il est premier vice-président (VP) sous le mandat d’Alain Beretz. L’ensemble du travail que nous avons effectué se concrétise aujourd’hui par une nouvelle prise de conscience – sous l’effet conjugué de mouvements comme #MeToo. Auparavant, il s’agissait de convaincre en présentant des données, d’interpeller. Aujourd’hui, d’impulser une dynamique d’établissement et d’aider celles et ceux qui ont envie de réaliser des actions.
A l’instar des instances, où les femmes sont bien représentées, les statistiques dans le corps enseignant évoluent dans le bon sens (+2,5 points de progression entre 2013 et 2021 parmi les maîtres de conférences-MCF ; +6,7 parmi les professeurs des universités-PU). Comment interpréter cela ?
En 2021, les femmes représentent 46 % des MCF – 43,5 % en 2013 ; 27,7 % des PU – 21 % en 2013
M.D. : Depuis la fusion, en 2009, la notion de parité est entrée dans les mœurs. Certaines compositions de jurys 100 % masculins ne seraient plus acceptées aujourd’hui.
L’actuelle équipe de présidence est composée de 40 % de femmes, plus de 50 % si l’on regarde les VP délégués. Le premier VP est certes un homme aujourd'hui, mais plusieurs directions centrales (bibliothèques, numérique, finances…) sont conduites par des femmes. Surtout, c’est une femme qui est à la tête de la Direction générale des services. Une fonction éminemment stratégique. Valérie Gibert a été choisie pour sa compétence, mais je suis sûre qu’avoir un binôme mixte à la tête de l’université change beaucoup de choses (lire son témoignage, ci-dessous).
L’expression de cette diversité est une richesse de l’université.
I.K. : Au-delà de quelques scepticismes au démarrage de ce chantier, nous constatons combien nos engagements de départ étaient les bons. Aujourd’hui, le mouvement a indéniablement pris. On se sent poussés par les étudiants et les personnels, très demandeurs. Tout ceci ne prend que si l’on inscrit nos actions dans la pérennité.
La crise sanitaire a impacté l’avancée de l’égalité. Quels sont les prochains combats à mener ?
I.K. : Oui, les confinements ont eu un impact, avec la plupart des missions traditionnelles du foyer qui ont pesé d’abord sur les femmes. On escompte un impact sur le long terme, notamment pour la progression de carrière des jeunes chercheuses. Cela a été mis en avant par notre Plan d’action égalité (PAE) : les causes des écarts de salaires vont être à déterminer. Et remonter à la racine des biais de représentation dans les choix d’orientation des jeunes.
Les nombreux projets portés vont dans ce sens : le réseau des référents égalité, chaque mois étoffé, commence à se réunir. Sur le volet prévention des Violences sexuelles, sexistes et homophobes (VSSH) auprès des étudiants, un appel à projet remporté avec l’Afges va nous permettre de former des « Trusted People », actifs lors d'événements festifs.
9 % : c'est l'écart de rémunération moyen entre les sexes à l’Unistra pour les enseignants-chercheurs, en défaveur des femmes (11 % chez les personnels Biatss). Dans certaines universités, il est de 20 %
Avec l’appui du ministère, nous poursuivons la formation des étudiants de licence sur la lutte contre les discriminations, en leur apportant un regard réflexif. Ils et elles sont des citoyens en formation : il est important de les sensibiliser durant leur passage. Pour les personnels, les formations sur les enjeux de l’égalité se poursuivent, avec un module avancé lancé en 2019. Le mentorat se développe, à destination des doctorantes et doctorants, mais aussi des personnels.
Concernant les VSSH, l’idée est aussi de former très largement à l'accueil de la première parole et à l'orientation de la victime.
M.D. : Le tournant est pris, pas de retour en arrière possible !
Riche programme pour la Semaine internationale des droits des femmes
« La manifestation est enfin de retour en présentiel. Nous avons, comme l’année précédente, lancé un appel à projet auprès de la communauté. Les réponses ont été nombreuses de la part des associations étudiantes et de personnels et les idées très riches. On ressent clairement le besoin de contact. Au-delà de mettre en lumière les actions de services, composantes ou laboratoires, ce type de manifestation nous permet d’établir un contact qui perdure toute l’année. L’interaction est essentielle pour aborder le thème de la discrimination ou de l’égalité. Les échanges se déroulent toujours en petits groupes, où l’écoute a un grand rôle dans les questions comme dans les réponses que chacun et chacune peut apporter. »
Valérie Gibert, itinéraire d’une femme Directrice générale des services (DGS)
« Dans mon parcours professionnel récent, je pense qu’être une femme n’a été ni un frein, ni un accélérateur. Mais au début de ma vie professionnelle ou après la naissance de mon fils, je me suis ouvertement vue refuser un poste parce que j’étais femme, puis mère. Cela a constitué un élément fort de détermination pour la suite.
Je reconnais sans difficulté qu’au fil de ma progression de carrière, j’ai pu m’interroger sur ma légitimité à postuler à des emplois d’encadrement supérieur. Il y a encore un long travail à mener sur la question des biais inconscients, intériorisés très tôt.
Je ne dis pas que les hommes ne se posent pas ces questions. Mais les femmes s’interrogent davantage sur leurs compétences, c’est indéniable.
Faire un choix de carrière n’a pas toujours été facile ; des proches, des amis n’ont pas forcément compris mon choix de me laisser d’abord guider par la passion pour mon métier, devant, parfois, des considérations personnelles ou familiales. A chaque fois, j’ai surmonté cela grâce aux encouragements de collègues et surtout de mon mari et de mon fils.
Le milieu dans lequel j’évolue, celui de l’administration de l’enseignement supérieur et de la recherche, est plutôt paritaire et l’Unistra en est un bon exemple. Mais j’en fais l’expérience, en tant que vice-présidente de l’Association des DGS d’établissements publics de l’enseignement supérieur : on ne trouvait pas, encore récemment, beaucoup de femmes DGS ou présidentes dans les plus grosses universités.
Est-ce que des femmes en responsabilité prennent de meilleures décisions que les hommes ? Ce serait présomptueux et vraisemblablement inexact de l’affirmer. En revanche, quand je vois des dirigeantes européennes, comme Ursula von der Leyen (présidente de la Commission européenne), ou les cheffes d’Etat ou de gouvernement, de Géorgie ou de Slovaquie, de l’Estonie ou de la Finlande… j’admire leur engagement et leur courage, particulièrement dans le contexte actuel, portées par leurs convictions et convaincues de leur mission. Et je ne peux m’empêcher de me dire que c’est parce que, souvent, elles ont dû faire preuve de ténacité pour occuper ces fonctions.
Globalement, ces dernières années, je sens que les regards évoluent, que les comportements changent. Et les femmes s’interdisent de moins en moins de choses. C’est très encourageant pour le futur et la cause de l’égalité et de la parité. »
Propos recueillis par E. C.
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