Par Caroline Laplane
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Femmes de sciences : un parcours du combattant ?

Les femmes restent sous-représentées dans la recherche, et plus encore aux postes de responsabilité dans tout le monde académique. Certaines, pourtant, peuvent revendiquer de belles carrières, à l’image de Corinne Taddéï-Gross, doyenne de la Faculté de chirurgie dentaire depuis dix ans, et Sandrine Courtin, directrice de l’Institut pluridisciplinaire Hubert-Curien (IPHC) depuis juillet dernier. Entretien croisé, d’où il ressort aussi que l’évolution va dans le bon sens.

Quels ont été vos parcours comme femmes de science et, respectivement, directrice de laboratoire de recherche et doyenne de faculté ?

Sandrine Courtin :
Je suis enseignant-chercheur en physique subatomique. J’enseigne à la Faculté de physique et ingénierie et je suis directrice de l’Institut pluridisciplinaire Hubert-Curien (IPHC) depuis juillet dernier, une unité mixte de recherche de plus de 400 personnes. Précédemment, j’ai été responsable d’un grand département de l’IPHC pendant trois ans. Mon objectif premier a été de construire en recherche : en l’occurrence, j’ai amené et développé l’astrophysique nucléaire à Strasbourg. Les responsabilités sont venues plus tard et assez spontanément.

Corinne Taddéï-Gross : En m’engageant dans mon cursus de formation à la Faculté de chirurgie dentaire de l’Université de Strasbourg, je pensais exercer comme chirurgien-dentiste en cabinet libéral. Mais à la fin de mes études, d’une part, j’avais pris conscience de mon vif intérêt pour la pédagogie, et d’autre part, j’ai fait un remplacement d’un mois en cabinet et cela ne me correspondait pas. Par conséquent, je me suis lancée d’emblée dans une carrière hospitalo-universitaire, motivée par la triple dimension enseignement, recherche et soins. Au début des années 1990, titularisée maître de conférences-praticien hospitalier, j’ai été nommée responsable du département Prothèse amovible de la faculté, puis au début des années 2000, j’ai été élue vice-doyenne en charge des enseignements pendant douze ans. Enfin, en 2012, j’ai été élue à la tête de la faculté.

Dans vos carrières, avez-vous eu le sentiment de rencontrer des freins, des résistances en tant que femmes ?

C. T-G. : Me concernant, j’ai démarré ma vie professionnelle il y a plus de trente ans, dans un milieu très masculin et effectivement assez misogyne.

Il m’est arrivé d’entendre de nos patrons et professeurs que « les femmes étaient toutes des bricoleuses »

A cette époque, il n’était pas évident qu’une femme puisse prendre des responsabilités. A différents moments, j’ai bien senti que si un homme avait été en concurrence avec moi, on ne m’aurait pas confié de responsabilités. J’ai longtemps eu l’impression que j’étais obligée d’en faire beaucoup plus que mes collègues masculins, de me mettre la barre plus haut.
 

S. C. : J’évolue moi aussi dans un milieu assez masculin (la physique) et je partage ce ressenti, qu’on m’en a plus demandé qu’on en aurait demandé à un homme. C’était très net au moment où j’ai voulu passer professeur. Bien sûr, les places sont chères pour tout le monde, mais pour avoir mes chances, je savais que mon CV devait faire la course très en tête, en multipliant les publications dans les revues les plus prestigieuses. En fait, j’avais le sentiment que l’on était prêt à parier sur l’évolution d’un homme, alors qu’une femme devait faire ses preuves a priori. De fait, j’étais déjà comme professeur bien avant d’en avoir le titre. C’est beaucoup moins vrai dans les pays anglo-saxons et d’ailleurs. Mes collègues anglais me disaient souvent à cette époque que j’aurais fait plus rapidement carrière outre-Manche.

C.T-G. : J’ajoute qu’entre 2017 et 2020, j’ai été la première femme présidente de la Conférence des doyens de chirurgie dentaire, et dans les réunions avec les ministères, il m’arrivait de me sentir un peu transparente.

Quelle évolution percevez-vous autour de vous ? Est-ce toujours aussi difficile pour les femmes ?

S. C. : La situation évolue très positivement, même s’il y a encore de la marge de progression. On voit beaucoup plus de femmes scientifiques accéder à des postes de responsabilité, même dans des disciplines dites « masculines », comme la physique.

C. T-G. : En chirurgie dentaire, l’évolution est encore plus perceptible en ce qui concerne la prise de responsabilités, mais aussi parce que la typologie de la population étudiante a beaucoup changé : à mon époque, il y a quarante ans, on avait un quart de filles pour trois quarts de garçons. Aujourd’hui, la proportion est inversée.
Depuis dix ans que je suis doyenne, j’ai aussi été très attentive à faire une vraie place aux femmes dans la faculté, dans sa gouvernance, à entourer du mieux possible les jeunes collègues, à les accompagner, à les valoriser, l’équilibre femmes-hommes me paraissant essentiel.

S. C. : A vrai dire, moi aussi, au sein du laboratoire, je fais vraiment très attention à l’équilibre femmes-hommes. Et quand des étudiantes partagent avec moi leurs doutes sur leur capacité à être de bonnes physiciennes, je leur dis : « Faites-moi une liste de ce que vous pensez ne pas pouvoir faire en tant que femme ». Quand elles me donnent la liste, je leur dis : « Bon, maintenant, faites-le » !

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