Par Myriam Niss
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« Réhabiliter les patients en tant que personnes »

Après une thèse de médecine, Lea Münch explore et reconstitue les parcours de vie de patients psychiatriques de la Reichsuniversität Straßburg. Elle soutiendra en 2023 une thèse en histoire contemporaine intitulée « De Strasbourg à Hadamar : histoire des patients et vie quotidienne de la psychiatrie nazie en Alsace, 1941-1944 »*.

Comment en êtes-vous arrivée à élaborer cet objet de thèse ?

Je fais partie de la Commission historique internationale et indépendante dont l’objet est de reconstituer l’histoire de la Faculté de médecine de la Reichsuniversität Straßburg. Mais, en général, on sait très peu de choses sur l’histoire des patients et sur les conditions dans lesquelles se sont déroulées leurs vies. Environ 15 % des patients de la clinique psychiatrique de la Reichsuniversität ont été envoyés en asile psychiatrique à Stephansfeld, à Brumath.

La thèse que je prépare explore les biographies détaillées de deux femmes et trois hommes

J’ai pris connaissance de l’existence de 3 000 dossiers de patients psychiatriques passés par l’Hôpital universitaire du Reich entre 1941 et 1944, des dossiers qui n’avaient pas encore eu l’occasion d’être investigués. J’ai donc décidé de les explorer et de m’appuyer sur les données que je pouvais y trouver pour aller plus loin, au-delà des informations administratives, afin de reconstituer des parcours de vie. La thèse que je prépare explore les biographies détaillées de cinq personnes, deux femmes et trois hommes, qui par des chemins différents ont eu affaire aux institutions psychiatriques en Alsace pendant la période du nazisme.

Comment avez-vous procédé pour reconstituer ces existences en feuilletant des dossiers médicaux ?

A partir de tous les noms, j’ai exploré absolument tout ce qui peut se trouver, à partir de toutes les sources possibles : archives publiques et associatives, dossiers psychiatriques, jugements, registres d’inscription, demandes d’indemnisation, dossiers de la Gestapo, lettres personnelles… J’ai moi-même envoyé des centaines de courriels et de lettres à des familles dont je supposais qu’elles pouvaient avoir des souvenirs ou conserver des traces des personnes concernées. C’est à coups d’e-mails que j’entamais la reconstruction !

Les entretiens approfondis viennent souvent contredire les sources médicales

Des réponses m’ont permis d’enrichir mes informations par des entretiens approfondis, qui viennent d’ailleurs souvent contredire les sources médicales, administratives et juridiques. Mais mes lettres sont aussi souvent restées sans réponse, il est arrivé que j’écrive à des homonymes qui n’avaient aucun rapport avec les personnes recherchées ! Ou bien certaines personnes n’avaient-elles peut-être pas envie de renouer avec le passé ? Mais j’ai persisté, même si cela prenait parfois des chemins absurdes. Il m’a fallu des mois de patience, c’est un travail de très longue haleine…

Un travail de fourmi… mais aux conséquences importantes ?

Arrêtons-nous sur la biographie d’Alphonse Glanzmann, né en 1895 et envoyé en janvier 1944 à Hadamar, un centre de soins situé dans le Land de Hesse et transformé pendant la période du national-socialisme en lieu d’exécution massive de personnes atteintes de maladies psychiatriques et de handicaps. 4 500 personnes y ont subi, de 1942 à la fin de la guerre, ce que l’on appelait « l’euthanasie décentralisée ». Alphonse Glanzmann a été l’un des rares survivants d’Hadamar. Il en est sorti en 1945, est revenu en Alsace après un voyage éprouvant et a passé le reste de sa vie à l’hôpital psychiatrique de Rouffach, puis il est mort à Colmar en 1970. J’ai commencé par envoyer un courrier à la commune de Lutterbach (Haut-Rhin), dont il était originaire, en espérant qu’il y aurait des survivants dans la famille. J’ai reçu une réponse de deux de ses petites-nièces, qui ne le connaissaient pas personnellement mais qui ont été bouleversées : des pans de leur enfance s’éclairaient, elles se rappelaient leur père allant rendre visite à Noël à cet oncle mystérieux dont on taisait l’existence (lire encadré)

Restituer aux gens leur individualité, à l’opposé de l’objectif national-socialiste

Reconstruire des biographies, c’est permettre de mieux comprendre les destins personnels. C’est aussi restituer aux gens leur individualité et leur identité, à l’opposé de l’objectif national-socialiste qui était d’exterminer les personnes malades, atteintes de handicaps et considérées alors comme « inférieures ». Dans les dossiers médicaux, ils ne sont que des patients. Retracer leur parcours de vie, c’est les réhabiliter en tant que personnes.

* Thèse dirigée par Christian Bonah (laboratoire Sociétés, acteurs, gouvernement en Europe-SAGE), Université de Strasbourg. Thèse de médecine soutenue à la Faculté de médecine de la Charité, à Berlin. 

En mémoire d’Alphonse Glanzmann

Un mail du Dr Münch, relayé par la mairie de Lutterbach, dont nous sommes natives, a bouleversé la généalogie banale dans laquelle notre vie s’enracinait sans se poser aucune question. Petite fille, je me souvenais que notre père, alors secrétaire général de la mairie de Lutterbach, allait rendre visite chaque année à Noël, à son oncle qui séjournait alors à l’hôpital psychiatrique de Rouffach. Je connaissais le nom de cet homme, Alphonse Glanzmann, le « Fousssy » comme on l’appelait en alsacien, un oncle de mon père, frère de mon grand-père. Quand, grâce au travail de recherche du Dr Münch, nous avons découvert, ma sœur et moi, l’histoire étonnante de cet homme qui fait partie de notre lignée, dont nous tenons quelque chose de notre histoire personnelle et de notre ADN, nous en avons été bouleversées ! Ce devoir de vérité qu’accomplit le Dr Münch, rend toute sa dignité et réécrit en lettres de noblesse la vie de ces hommes, qui, comme notre grand-oncle, ont été les jouets du nazisme, les cobayes d’une pseudo-médecine douteuse.

Geneviève et Brigitte Glanzmann, famille de victime

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