« Le Wiki recompose la mosaïque des visages de l’institution »
A la fois base de données et publication numérique d’information et d’enseignement, le Wiki « RUS-Med (Reichsuniversität Strasbourg – Faculté de médecine ») compte 1 139 notices biographiques d’étudiants, médecins et victimes de l’institution médicale et universitaire. Pensé comme évolutif et collaboratif, l’outil numérique complète et prolonge le travail de la commission historique, dont la synthèse a été livrée le 3 mai dernier.
« Ce projet, c’est mon bébé », sourit Christian Bonah. L’épidémiologiste et historien des sciences, créateur et directeur du Département d’histoire des sciences de la vie et de la santé (DHVS), est aussi l’un des trois responsables de la commission historique pour l’histoire de la Faculté de médecine de Strasbourg entre 1941 et 1944, sous occupation nazie.
Dévoilé le 3 mai, son rapport est une somme : 500 pages de conclusions sur le quotidien des cliniques, les expérimentations humaines criminelles, les collections médico-scientifiques, ainsi que des préconisations concernant les politiques de mémoire. Un travail déjà conséquent, mais forcément synthétique, souligne Christian Bonah. Tous les travaux préparatoires, en particulier les éléments biographiques des protagonistes de la RUS, n’ont pu y figurer. Rassembler tous ces éléments, c’est la raison d’être du Wiki : lui a une volonté d’exhaustivité à terme.
Site internet et base de données
Nous aurions pu choisir d’éditer toutes ces notices biographiques sous forme de dictionnaire. Un format figé. Il nous a paru évident d’utiliser les possibilités infiniment plus riches et évolutives des outils numériques actuels.
Parmi celles-ci, une double fonctionnalité pour le Wiki : côté pile, un site internet, accessible à tous. Côté face, une base de données. Même si cela complexifie la saisie, cela ouvre large le champ des possibles, notamment pour de futurs travaux de thèse. La sélection de certains champs - années de naissance des doctorants, institution d’origine des médecins, etc. - permet de faire des observations précises ou d’établir des croisements entre critères… On peut par exemple imaginer des cartes de relations entre les villes des institutions impliquées.
Savoir en cours d'élaboration
De ce point de vue, le choix du Wiki comme outil est loin d’être anodin : Il est parfait pour l’usage qu’on souhaite en faire, à savoir une diffusion la plus large possible, et une alimentation au jour le jour.
Car les éléments renseignés sont loin d’avoir été tous saisis, ou même encore rassemblés. Si beaucoup a été fait en cinq ans de travail, nos recherches continuent à s’enrichir. Il s’agit d’un savoir encore en cours d’élaboration. Ainsi, la RUS a compté 292 thèses soutenues, mais seules une centaine d’entrées dans ce champ ont été saisies pour le moment.
Logiciels libres
Christian Bonah n’en est pas à son coup d’essai avec ce genre d’outil : depuis une quinzaine d’années déjà, la plateforme Medfilm rassemble des films médicaux collectés de sources diverses. Pour le Wiki dédié à la RUS, l’historien des sciences s’est entouré de la même équipe compétente : Ludovic Strappazzon (ingénieur à la Direction du numérique) pour le développement et Vincent Couturier (Dali) pour le graphisme
. Hébergé par l’Université de Strasbourg, le site est basé uniquement sur des technologies libres, conformément aux valeurs promues au sein de l’enseignement supérieur.
En revanche, insiste l’universitaire, le site se distingue des modèles qui ont fait la renommée du format, Wikipédia ou Wikis de fans, sur un point : Nous nous conformons aux standards de rigueur scientifique et universitaire. Tout un chacun ne donc peut pas apporter sa contribution. Le site fonctionne comme une revue, avec un comité éditorial et un accès restreint. La publication est conditionnée à la vérification des informations
. Parmi le noyau dur de contributeurs : les doctorants Lea Münch, Aisling Shalvey et Loïc Lutz ; une traductrice, Elisabeth Fuchs ; ainsi qu’une personne dédiée à l’alimentation, Emmanuel Nuss.
A terme, on compte pour l’enrichissement du Wiki sur un ‘’effet retour’’ du public, que notre Wiki joue son rôle d’interface publique. Comme cela s’est produit pour Medfilm à mesure que sa notoriété augmentait, on espère des contributions spontanées de nouveaux témoignages et d’éléments biographiques. C’est la démarche qui nous intéresse et en cela l’esprit Wiki est parfaitement en phase : au-delà de l’histoire de l’institution, retracer ces parcours de vie, faire sortir de l’oubli des anonymes. Il est souvent plus difficile mais plus intéressant de retracer l’histoire d’une victime anonyme, que d’un bourreau dont l’histoire a été largement documentée.
Deux destins divergents retracés
Le travail mené par la commission historique a permis de retracer des destins singuliers. Christian Bonah a en particulier travaillé sur histoire des Alsaciens sous la période. « C’est fascinant de se rendre compte des trajectoires différentes de personnes parties d’un même point. » En cela, la comparaison des destins croisés d’Adolf Jung (sa notice n’a pas encore été publiée) et Friedrich/Frédéric Trensz est exemplaire. Nés à un an d’intervalle (1900 pour le premier, 1901 pour le second), ils auraient pu faire leurs études de médecine ensemble. Alors que le premier, chirurgien, semble d’abord suivre une trajectoire hésitant entre la francophilie et la collaboration pour favoriser sa carrière, il entre en 1943 de plain-pied dans la Résistance. Au contraire de Friedrich/Frédéric Trensz, qui manifeste très tôt des penchants pro-nazis, collabore franchement et après-guerre parvient à passer entre les mailles du filet. Il ne sera jamais inquiété et conforte même sa position de notable local, alors qu’Adolf Jung est difficilement blanchi d’une accusation de collaboration, soutenue par la Faculté de médecine en 1945. « Deux destins archétypaux de la période, souvent loin d’être manichéens, en particulier en Alsace, tiraillée entre France en Allemagne. »
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