Par Elsa Collobert | Frédéric Zinck
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Mémoire de la Reichsuniversität Strasbourg : « Trouver le bon équilibre »

Après six ans de recherches, la Commission pour l’histoire de la Faculté de médecine de la Reichsuniversität Straßburg (CHRUS) a rendu ses conclusions, « très nuancées », en mai dernier. Comment l’université s’en est-elle saisie ? Quelle politique mémorielle va être mise en place ? Évocation des premières pistes retenues par l’institution pour « faire face à son passé sans ressasser », avec le président, Michel Deneken.

De quelle manière l’université s’est-elle saisie de ces résultats ?

L’université a souhaité que les résultats de cette commission soit connus du plus grand nombre. Une grande conférence de presse a été organisée pour les présenter au grand public, à laquelle de nombreux acteurs publics territoriaux et nationaux étaient présents. Il s’agissait de dire que l’université n’a rien à cacher.

Avec les résultats de cette commission, l’objectif n’est pas de mettre un coup de projecteur sur la seule Faculté de médecine, mais sur toute l’université. C’est l’ensemble de l’institution, de ses disciplines, de ses facultés et instituts qu’on a tenté de nazifier.

En a-t-on fait assez ?

Je pense que oui. Le rapport a été largement rendu public, il est accessible à tous. Un dossier a été réalisé dans ce journal, Savoir(s) | le quotidien, présentant les différents axes de recherche.

L’histoire est grise. S’y plonger invite à se détacher de tout manichéisme

La presse s’est largement fait le relais de ces résultats, jusqu’au New York Times.

Le Wiki, qui contient déjà 1 139 notices biographiques d’étudiants, médecins et victimes de l’institution médicale et universitaire, continue à être alimenté et constitue en soi un outil de mémoire-clé. L’un des apports majeurs de la CHRUS est d’avoir permis l’identification de nombreuses victimes, à laquelle le Wiki redonne une mémoire.

Rappelons que l’objet de cette commission était pour l’université de regarder son passé en face, ce qui était courageux de la part de mon prédécesseur, Alain Beretz. Nous avons répondu avec les outils d’une université : ceux de la recherche, avec rigueur et méthode dans l’approche la plus nuancée. Une documentation colossale a été rassemblée, grâce à des investigations systématiques menées dans les archives de toute l’Europe.

Nuancés, les résultats de cette commission le sont effectivement : l’analyse des collections, notamment des lames histologiques du médecin nazi August Hirt, a révélé qu’il n’y a plus rien des 86 Juifs gazés au Struthof et plus aucune pièce relative à des activités criminelles.

Oui, l’Université de Strasbourg à cette époque était nazie, des Alsaciens et Mosellans y ont collaboré, mais nous y avons aussi eu nos martyrs. Il y eut aussi au moins un traître à Clermont-Ferrand, où était repliée l’université résistante.

Les recherches de la CHRUS ont aussi rappelé que les travaux de la Faculté de médecine n’auraient pu être menés sans un vaste réseau de collaborations sur le territoire – Wehrmacht, hôpitaux de guerre de Mutzig et Strasbourg, Arbeitsamt (travailleurs forcés), KL Natzweiler-Struthof, foyer Lebensborn de Nordrach (Forêt-Noire).

L’histoire est grise. S’y plonger invite à se détacher de tout manichéisme.

La commission a également émis un certain nombre de recommandations. Lesquelles ont été retenues et comment vont-elles être mises en œuvre ?

Aujourd’hui, il est important d’avoir un équilibre entre faire justice et ressasser des évènements passés.

Un groupe de travail a récemment été constitué (lire encadré) pour travailler à ces questions et réfléchir à la mise en œuvre concrète des recommandations de la commission, à différentes échéances.

L’hypermnésie est aussi dangereuse que l’amnésie

Réaliser des plaques mémorielles est de l’ordre du faisable rapidement, par exemple.

Mais attention, il ne s’agit pas de paver de gris tout parcours d’un jeune étudiant nouvellement arrivé à l’université, tout entier tourné vers l’avenir. Il s’agit bien d’avoir une réflexion entre faire trop et trop peu : l’hypermnésie est aussi dangereuse que l’amnésie.

De ce point de vue, comment envisagez-vous le rôle de l’université ?

L’université a certes un rôle à jouer dans la connaissance, la conscience historique et l’esprit critique des plus jeunes face à cette sombre période. Cela a été rappelé par la commission, qui pointe le rôle crucial de l’enseignement. Mais notre responsabilité ne se limite pas à la question de la Reichsuniversität. Les programmes du primaire et du secondaire doivent aussi porter cet enseignement, ce qui est un défi pédagogique majeur.

A terme, la mise en place d’un Centre d’information, de documentation et de recherche

En constituant cette commission d’experts internationaux1, en allouant d’importants moyens2, l’université a fait son travail. Il appartient maintenant à nos partenaires institutionnels, politiques et du supérieur de continuer à apporter leur soutien. L’université n’a pas à supporter seule le prix et le poids de cette histoire, qui appartient à tous. Je pense notamment à la mise en place d’un Centre d’information, de documentation et de recherche au sein de la Faculté de médecine, l’un des projets à plus long terme.

1 Florian Schmaltz (Max Planck Institut, Berlin), président ; Paul J. Weindling (Oxford), président ; Christian Bonah (Faculté de médecine, SAGE), coordinateur ; Isabelle von Bueltzingsloewen (Lyon 2), Corinne Defrance (CNRS Paris, UMR 8138 SIRCE), Sabine Hildebrandt (Harvard), Hans Joachim Lang (Tübingen), Volker Roelcke (Giessen), Carola Sachse (Vienne) ; Catherine Maurer (sciences historiques), Jean-Sébastien Raul (médecine légale), Norbert Schappacher (mathématiques & histoire des sciences) ; Frédérique Neau-Dufour (CERD Struthof), experte qualifiée
2 734 187€, provenant principalement du budget Unistra (258k€ du budget Sciences/société, 283k€ de l’IdEx U2C & Recherche)

Un groupe de travail pour des mesures concrètes

Constitué en juin, le groupe de travail coordonné par Mathieu Schneider, vice-président Culture, science-société & actions solidaires, a pour objectif de travailler sur les recommandations proposées par la commission et de formuler des mesures concrètes à mettre en œuvre. Le groupe, représentatif des différentes catégories de personnels et d’étudiants de l’université et de toutes les sensibilités (3 représentants des personnels enseignants et/ou chercheurs, 3 représentants des personnels Biatss, 3 représentants des étudiants), travaillera avec les composantes et unités de recherche concernées sur la pertinence et la faisabilité des différentes recommandations. L’ambition de l’Université de Strasbourg est de mettre en œuvre les recommandations, avec l’Etat, les collectivités et les parties prenantes internes et externes, au travers de la création d’un Centre d’information, de documentation et de recherche dont les missions seraient :

  • Assurer une conservation adéquate des collections de la Faculté de médecine ;
  • Mettre à disposition physique et numérique la documentation rassemblée par la commission pour de futurs travaux de recherche ;
  • Aménager des espaces dédiés à l’information sur l’histoire et à la commémoration ;
  • Prévoir l’animation ponctuelle de ces espaces par des étudiants en santé ;
  • Intégrer aux formations de santé (y compris formation continue des médecins) des modules sur l’histoire de la médecine nazie, sur celle de la Reichsuniversität et sur les problèmes éthiques qu’elle pose ;
  • Accueillir des chercheurs pour des programmes courts ou longs portant sur l’histoire de la Reichsuniversität.

Une première réunion de travail est prévue dès cette rentrée, avec l’objectif de présenter un plan d’action au premier semestre 2023.

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