Par Marie-Juliette Champeau et Anna Garmel
Temps de lecture :

Si j’étais Margaret Thatcher

Série « Si j'étais » 2/5. Tout le monde a déjà entendu le nom de Margaret Thatcher. La Dame de fer, trois fois Premier ministre, a durablement marqué son pays, le Royaume-Uni, comme le reste du monde. Ses valeurs politiques innovantes et son intransigeance lui ont offert autant d’admirateurs que d’ennemis. Bien que controversée, elle reste universellement reconnue comme une icône du 20e siècle, et fascine toujours. Rencontre grâce à Yves Golder, docteur en civilisation britannique.

Bonjour Mme Thatcher! Vous êtes une figure emblématique de l’Histoire et jouissez toujours d’une grande popularité dans votre pays, le Royaume-Uni. D’où vient cette reconnaissance ?

Bonjour. Eh bien, pour être honnête, j’ai bouleversé mon époque. Candidate au poste de député dès 1950, je me distingue déjà par mes convictions à la fois chrétiennes et libertaires. Elles me font devenir en 1975 chef du Parti conservateur. Je tombe à pic, car le pays est rongé par une crise économique désastreuse. En même temps, quelle idée de livrer le pays aux socialistes !

Mon nom entre dans la légende grâce à mes succès politiques et économiques durant trois mandats !

A cause de cet échec de mes rivaux et grâce à mes idées, le peuple se tourne vers mon parti, qui remporte les législatives en 1979. Je suis alors sacrée Premier ministre. Mon nom entre ensuite dans la légende grâce à mes succès politiques et économiques durant non pas un, mais trois mandats ! Et ce sur 11 années consécutives ! Demandez à notre intermédiaire, Yves Golder, c’est exceptionnel de longévité.

Vous êtes aussi la première femme du pays à devenir Premier ministre. Est-ce une victoire pour la cause féminine ?

Euh... Non, non, non1. C’est la victoire d’une seule personne, ma victoire.

Revenons à vos mandats, pourriez-vous nous en citer les moments clés ?

Il y en a tant ! Bon, pour n’en garder que deux, je prends d’abord la guerre des Malouines, des îles que je dispute à l’Argentine en 1982. Qui l’emporte ? Moi, évidemment, alors que le monde entier s’est dressé contre mon pays !

Mais je ne suis pas qu’adepte de conflits ! En 1985, je m’allie avec l’URSS. Ceci malgré mon anti-communisme et mon amitié avec le Président américain, ce cher Ronald Reagan. Ma stratégie met un terme à la guerre froide en 1990, et le monde retrouve la paix. Rien que ça !

Hélas, ces moments de gloire rendent mes partisans jaloux. Ridicule. Je perds aussi l’appui du peuple à cause d’une taxe «excessive ». Quel ingrat ! Mon libéralisme l’a pourtant sauvé. Alors, je démissionne en 1990. Mais je me félicite, car je laisse le pays dans un bien meilleur état que lorsque je suis arrivée au pouvoir, 11 ans auparavant.

Donc en plus d’être adulée, vous avez aussi des détracteurs. Pourquoi cette ambivalence ?

Déjà, mon horreur du socialisme ne plaît guère à l’URSS des années 70. C’est eux d’ailleurs qui me donnent l’iconique surnom de "Dame de fer" en 1976. Mais cela me plaît bien, car une dame de fer, c’est ce dont mon pays a besoin.

On n’accomplit rien avec les compromis, seules les convictions m’importent

Et de fait, en bâtissant un état conservateur mais économiquement libre, j'enrichis une partie des Britanniques : les propriétaires et les entrepreneurs. Mais comme je favorise les puissants, j’ai aussi des ennemis. Mon gouvernement ne réjouit pas ces satanés intellectuels et ces fainéants de pauvres ! Mais bon, je me moque bien de leur opinion. Madame n’entend pas faire volte-face2.

Enfin, j’ai des relations tendues avec mon parti, car je lui impose mes idées. Mais je l’ai longtemps ignoré. On n’accomplit rien avec les compromis, seules les convictions m’importent.

Une dernière question Mme Thatcher : pour en savoir encore davantage sur vous, quelles ressources faut-il consulter ?

Oh vous savez, je fascine tant que l’on ne compte plus les études et hommages à mon sujet ! Surtout depuis ma mort, en 2013. Personnellement, je vous conseille le site Margaret Thatcher foundation, répertoriant mes discours et interviews. M. Golder m'a indiqué que c’était une mine d’or ! Mais surtout, lisez mes trois autobiographies ! Si vous voulez vraiment me connaître, il n’y a pas d’alternative3.

  1. No, no, no”. Prononcé lors du sommet européen du 30 octobre 1990 face au Président de la Commission européenne, Jacques Delors. Il proposait alors un renforcement du contrôle de l’Europe sur les États membres.
  2. The lady’s not for turning”. Prononcé lors du congrès du Parti conservateur du 10 octobre 1980. Réponse qu’elle offre à ses partisans qui lui suggèrent d’abandonner son libéralisme économique, en raison de l’augmentation en flèche du chômage.
  3. There is no alternative.” Tournure fréquemment utilisée par Thatcher lors de l’exercice de ses fonctions de Premier ministre.

 

Yves Golder est docteur en civilisation britannique à Strasbourg. En tant que spécialiste du monde anglophone, il appartient à l’équipe de recherche Savoirs espace anglophone représentations culture histoire (Search - Unistra).

Après une licence d’anglais, il se tourne vers Margaret Thatcher dès le master. Son mémoire de fin d’études se concentre ainsi sur les valeurs victoriennes de la politicienne. Il passe ensuite le Capes afin de devenir professeur. De 2013 à 2019, il effectue une thèse ayant pour thème la construction de l’image politique de Margaret Thatcher entre 1950 et 1990.

Pendant cette période, il quitte Strasbourg et devient professeur à l’Université de Bourgogne. Après sa soutenance en 2019, Yves Golder retourne à Strasbourg pour enseigner à la faculté de droit. Mais l’aventure Thatcher ne s’arrête pas là ! En 2022, Yves Golder publie un ouvrage intitulé : Margaret Thatcher, construction d’une image politique. Il s’agit d’une version raccourcie et vulgarisée de sa thèse. Décrivant le parcours mémorable de la première femme Premier ministre du Royaume-Uni, il s’organise en trois mouvements : les débuts de la construction, la création de son image politique, et la réception médiatique de cette image.

Tout son travail de scientifique se veut le plus neutre possible, mais c’est un challenge difficile (bien qu’excitant) lorsque l’on est expert d’une personnalité aussi clivante.

Pour approfondir ses connaissances sur la personnalité de Margaret Thatcher et sa vie politique, Yves Golder propose plusieurs ressources. Le site Margaret Thatcher Foundation, ou bien les mémoires de la politicienne The Downing Street Years (1993), The Path to Power (1995), et Statecraft (2001).

La série si j'étais

Cet article a été réalisé dans le cadre d'un atelier de vulgarisation scientifique pour lequel des étudiants sont partis à la rencontre de chercheurs. Objectif : rédiger un texte destiné à présenter un sujet d’étude scientifique et le faire parler à la première personne du singulier.

Catégories

Catégories associées à l'article :

Changer d'article