Par Alexandra Ait Ouarab et Olivia Frisetti
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Si j'étais la méthanisation agricole

Série « Si j'étais » 4/5. Philippe Hamman et Aude Dziebowski, sociologues au sein du laboratoire Sociétés, acteurs, gouvernement en Europe (Sage - CNRS/Unistra), nous racontent la transition énergétique et la mutation des identités professionnelles à travers la méthanisation agricole. Rencontre en exclusivité avec cette technologie qui ne fait pas l'unanimité.

Qui êtes-vous ?

Je suis une technologie assez récente puisqu’en France mon développement ne se produit vraiment qu’à partir des années 2000. Pourtant, ma découverte remonte à 1776, quand le savant Alessandro Volta observa que du gaz se libérait d’un marais. Processus naturel, je me distingue de la méthanation, qui, elle, est une réaction de synthèse.

Contrairement à mon cousin le compostage, mon habitat naturel se situe dans les milieux anaérobies. Je n’existe qu’en l'absence d’oxygène. Je ne constitue qu’un type de méthanisation, mais je suis le plus répandu. On me qualifie d’agricole car je suis portée par des agriculteurs qui méthanisent plus de 50% de matières issues de l’exploitation. 

Comment fonctionne votre transit intestinal ?

J’ai plus d’un tour dans mon sac. Pour me comprendre, il faut d’abord saisir mon fonctionnement initial. Avant que je puisse me régaler, les agriculteurs collectent des matières organiques destinées à remplir ma panse. Le processus de fermentation commence lorsque les déchets sont brassés dans mon énorme ventre, appelé méthaniseur. C’est une cuve sans oxygène dans laquelle les matières organiques se dégradent naturellement grâce à mes amis les micro-organismes.

Ma nourriture préférée ? Les déchets organiques, pardi !

Ma nourriture préférée ? Les déchets organiques, pardi ! Qu’il s’agisse de résidus de culture (pailles, tontes, fanes…), de déchets de l’industrie agroalimentaire d’origines animale ou végétale, ou encore d’effluents d’élevage (lisier, fumier…). Mais j’ai également un faible pour les déchets de table, comme les restes ou les produits périmés, que vous, êtres humains, jetez à la poubelle. Ainsi, je suis un heureux contributeur de la lutte anti-gaspillage. Après une bonne digestion, je produis deux composants : d’une part, du biogaz, composé de méthane (dit CH4 dans le jargon scientifique) et de dioxyde de carbone (CO2). D’autre part, le digestat, qui est un engrais naturel pour fertiliser les sols et les cultures des exploitations agricoles.

Une star de la transition écologique ?

Certains voient en moi une star de la transition écologique, car mon biogaz génère une énergie renouvelable, aussi dite verte ou propre. Autant de termes qui flattent mon ego. Soutenue par le gouvernement français, les collectivités et certains syndicats agricoles, je contribue au grand objectif de développement des énergies renouvelables afin d’atteindre la très convoitée neutralité carbone.

Autrement dit, je suis un moyen efficace de valoriser les déchets en les transformant en ressources précieuses et plus qu’utiles de nos jours : non seulement mon biogaz peut servir à produire de la chaleur ou de l’électricité, mais peut aussi être purifié en biométhane pour être injecté dans les réseaux de gaz ou utilisé comme carburant pour les transports. Remarquable, non ?

… Vous avez pourtant des détracteurs ?

On se questionne quant à mon éventuelle nocivité. D’une part, les risques associés à mon installation préoccupent car elle requiert l’utilisation de gaz potentiellement toxique. D’autre part, les impacts du digestat, utilisé comme fertilisant, sur la qualité du sol, de l’air et de l’eau inquiètent. D’autres encore se soucient des cultures qui me sont directement destinées, connues sous le nom de cultures intermédiaires à vocation énergétique (Cive). Ils craignent qu’elles ne remplacent un peu trop les terres consacrées à l’alimentation humaine ou aux élevages.

En tant que petite nouvelle, je dois encore faire mes preuves

Certains incriminent mes méthaniseurs de « rompre le paysage bucolique » en plus de causer une gêne olfactive pour les riverains du fait du souffre qui se dégage de mon biogaz. En tant que petite nouvelle, je dois encore faire mes preuves.

Comment Philippe Hamman et Aude Dziebowski vous étudient-ils ?

Philippe et Aude m’étudient sous toutes les coutures. D’un point de vue sociologique, et dans le cadre de leur projet Methatip*, ils se questionnent sur les enjeux de mon développement en France en tant qu’outil de la transition énergétique et écologique, et considèrent les différents acteurs, territoires, technologies et innovations agricoles. Leur étude démontre que je suis un procédé complexe et c’est pour cela qu’ils entreprennent de suivre de près ma mise en œuvre dans des exploitations agricoles du Grand Est sur plusieurs années !

* Enjeux socio-environnementaux de la METHanisation Agricole : Transition énergétique, Identités Professionnelles et « nouvelles ruralités ».

Zoom sur Aude Dziebowski et Philippe Hamman

Doctorante et chargée d’enseignement en sociologie, Aude Dziebowski s’intéresse aux milieux ruraux et au monde agricole. Elle conduit une thèse dans le cadre du projet Methatip. Celui-ci questionne les enjeux socio-environnementaux de la méthanisation agricole en Alsace et en Argonne. Ce projet est conduit en partenariat avec Emmanuel Guillon, professeur de chimie environnementale à l'Institut de chimie moléculaire de Reims, et a obtenu le soutien financier du CNRS à travers les programmes de la Mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires. Methatip s’inscrit plus précisément dans le programme 80 | Prime lancé par le CNRS et destiné à renforcer l’interdisciplinarité sur des défis sociétaux tels que la transition énergétique et le changement climatique.

Philippe Hamman, son directeur de thèse, est professeur à l’Institut d’urbanisme et d’aménagement régional de la faculté des sciences sociales de l’Université de Strasbourg. Au sein du laboratoire Sociétés, acteurs, gouvernement en Europe, il mène des recherches sur la durabilité des territoires urbains et ruraux, et notamment sur les énergies renouvelables. En reconnaissance de ses travaux, la Commission européenne lui a attribué, en 2020, une chaire Jean Monnet (la première accordée en France en sociologie et urbanisme).

La série si j'étais

Cet article a été réalisé dans le cadre d'un atelier de vulgarisation scientifique pour lequel des étudiants sont partis à la rencontre de chercheurs. Objectif : rédiger un texte destiné à présenter un sujet d’étude scientifique et le faire parler à la première personne du singulier.

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