Si j’étais le formaldéhyde
Série « Si j'étais » 5/5. Stéphane Le Calvé, chercheur à l’Institut de chimie et procédés pour l’énergie, l’environnement et la santé (Icpees - CNRS/Unistra), s’intéresse au formaldéhyde, un polluant de l’air qui se loge dans tous les intérieurs, même chez vous ! Rencontre inédite avec cette molécule pour comprendre les dangers qu’elle représente et les méthodes pour l’expulser hors de nos lieux de vie.
Présentez-vous :
Je suis une molécule si petite et légère que vous ne m’avez jamais remarquée. Ma famille est celle des composés organiques volatils (COV) et plus particulièrement celle des aldéhydes. En air extérieur, je nais d’une combustion ou de réactions photochimiques. Mes parents sont donc soit des combustibles soit des molécules organiques qui s’oxydent en présence d’oxydes d’azote* et de lumière, ce qui explique que je suis plus facilement créée pendant l’été.
A l’intérieur, je suis jusqu’à dix fois plus présente. Je réside dans des matériaux de construction des maisons ou des meubles, comme le bois, la colle des panneaux d’aggloméré ou les isolants. Je vis aussi dans des revêtements de surface comme la peinture ou la colle à papier peint. Et j’apparais lorsque vous allumez de l’encens ou des bougies. Bref, on me qualifie d’ubiquitaire car je suis partout !
Pourquoi dit-on que vous êtes dangereuse ?
Ma présence est peu appréciée car je suis une molécule cancérogène. En me respirant, les humains s’irritent les muqueuses supérieures car je suis très soluble, ce qui peut provoquer à terme le cancer du nasopharynx. Même en faibles quantités, je favorise les crises d’asthme, surtout chez les asthmatiques allergiques.
Comment vous débusquer ?
Bonne question. Puisqu’on ne m’affectionne pas, on me cherche pour me chasser. Mais je rends la tâche fastidieuse. Je compte parmi les molécules les plus difficiles à mesurer en temps réel car je ne fluorescence pas naturellement et j’absorbe très peu les ultraviolets (UV) et les infrarouges. Bref, je suis quasi invisible avec les techniques habituellement utilisées pour la détection des polluants. En plus, ma concentration varie selon les matériaux et la ventilation de chaque pièce ce qui nécessite de me détecter partout, enfin si vous avez un matériel assez performant.
Je suis ensuite analysée grâce à la chromatographie liquide
On essaie alors de me piéger sur des tubes dans lesquels je me colle à des granulés d’absorbants. J’y rencontre une molécule, cette dernière me transforme en une molécule, qui cette fois absorbe beaucoup dans l’UV rendant ma détection indirecte. Je suis ensuite analysée grâce à la chromatographie liquide, qui va me séparer de mes cousins, les aldéhydes. Mais ce procédé est long et coûteux, j’ai donc espoir qu’on me laisse en paix !
Seulement, les scientifiques sont innovants et développent des instruments plus petits, plus légers et moins chers pour me détecter en temps réel dans différents intérieurs. Ils essaient aussi, avec la microfluidique, de me rendre fluorescente, moi qui suis quasiment invisible !
Quels moyens pour vous éviter ?
Déjà pour empêcher mon emménagement, il existe une réglementation qui classifie les matériaux en fonction de leurs émissions de C à A+, mais elle ne vaut que pour le marché européen et reste déclarative. La ventilation reste la méthode la plus employée grâce au système de la ventilation mécanique contrôlée (VMC), qui fait circuler l’air extérieur moins concentré en formaldéhyde à l’intérieur.
Comme vos parents vous l’ont toujours dit, n’oubliez pas d’aérer votre maison dix minutes toutes les deux heures !
Pour une réduction encore plus efficace de mes concentrations, il existe des systèmes de dépollution de l’air mais ils restent assez coûteux, et surtout, ils n’arrivent pas toujours à me capturer tant je suis petite et difficile à attraper. Et il faut penser à changer le filtre régulièrement, alors ne vous embêtez pas avec ça ! Même si je tiens à ma survie, je vous prodigue un petit conseil d’amis : parfois les solutions les plus simples sont les meilleures, alors comme vos parents vous l’ont toujours dit, n’oubliez pas d’aérer votre maison dix minutes toutes les deux heures !
* Oxydes d’azote : composés chimiques formés d’oxygène et d’azote.
Celui qui sait me voir
Stéphane Le Calvé intègre le CNRS en 1999 pour travailler sur la physico-chimie des nuages, c’est-à-dire les interactions entre les polluants gazeux et les aérosols liquides et solides. Au cours des années, ses différentes rencontres l’amènent à s’intéresser à l’air intérieur plutôt qu’à l’air extérieur, à un moment où les scientifiques travaillent plus largement sur l’air extérieur. L’intérêt pour l’air intérieur débute réellement dans les années 2000, et la molécule de formaldéhyde est déclarée cancérogène seulement quelques années après, en 2004.
Au début de son étude, le chercheur travaille en collaboration avec des médecins. Puis, il se centre de plus en plus sur la chimie analytique appliquée à la détection des polluants organiques dans l’air jusqu’à introduire la microfluidique, c’est-à-dire l’étude du comportement des fluides dans des canaux microscopiques. La finalité de ses recherches est de développer des méthodes d’analyse en temps réel du formaldéhyde et d’autres polluants de l’air intérieur et ce, de manière plus rapide. Il encadre une première thèse entre 2007 et 2010 sur l’analyse du formaldéhyde.
Par la suite, les financements se multiplient et permettent le développement de différents modèles d’un instrument de mesure entre 2014 et 2017, qui a été commercialisé en 2018. Depuis plus d’un an, son projet est de continuer à améliorer cet instrument pour jauger le formaldéhyde partout. Conjointement, le chercheur étudie des solutions impliquant l’utilisation de solides adsorbants spécifiques pour le piégeage et la dépollution du formaldéhyde en air intérieur. Ces pièges à formaldéhyde pourront être intégrés dans des systèmes de traitement d’air, des épurateurs mobiles ou encore dans des peintures dépolluantes.
Mots-clés
Mots-clés associés à l'article :