Par Elsa Collobert
Temps de lecture :

A Strasbourg, une université riche de cinq siècles de mécénat

Hybride dans son origine, lieu d'expérimentation, dynamique... Dans une conférence, Georges Bischoff, professeur émérite à l'Université de Strasbourg, est revenu sur cinq siècles « d'histoire, si particulière et extraordinaire, de l'Université de Strasbourg, soutenue, vivifiée par le mécénat, une université loin d'être hors-sol, connectée à sa ville et à la société ». Cette intervention inaugure un cycle proposé par la Fondation de l’Université de Strasbourg et des Hôpitaux universitaires de Strasbourg et la Fondation Jean-Marie Lehn, pour clore leur campagne de collecte de dons.

Vous aimez parler de service en ville. Que recouvre cette expression ?

Je la reprends aux historiens Marc Bloch et Lucien Febvre, qui ont enseigné à la Faculté des lettres de Strasbourg dans les années 1930. L'idée est de faire bénéficier des connaissances, des avancées de la recherche, à tout l'écosystème, au-delà des frontières de la seule université.

C'est la perspective que j'adopterai pendant ma conférence du 8 mars : examiner l'université en tant que personne morale et fabrique du savoir. Je proposerai d'éclairer en quoi elle s'insère dans la société qui l'entoure, et dans l'économie qui la sous-tend. Car l'université est loin d'être une île, ou d'être hors-sol. Depuis ses origines, elle est ancrée dans son territoire, et cela passe notamment par ces liens interpersonnels, avec d'anciens étudiants, professeurs, personnels... qui n'y passent qu'un temps donné, mais ces existences mises bout à bout forment le temps long de l'institution. Je souhaite interroger en quoi cette histoire peut éclairer le présent, car il est essentiel de savoir d'où l'on vient.

Comment définissez-vous le mécénat ?

Tout comme l'université de Strasbourg est basée sur des fondements humanistes, j'appréhende le mécénat dans une perspective large, concourant à maintenir une tradition de recherche et d'enseignement publics, un lieu ouvert, bien différente de la logique de privatisation qui a cours dans le monde anglo-saxon. On peut prendre l'exemple des différents legs qui ont été faits à l'écosystème universitaire strasbourgeois, dont les versements aux collections de la Bibliothèque nationale et universitaire (BNU), pour partie en dépôt à l'Université de Strasbourg. Des trésors extraordinaires, gérés, conservés et valorisés en bonne intelligence !

Plutôt que m'aventurer sur le terrain contemporain, avec la création de la Fondation Université de Strasbourg en 2008, j'explorerai cette mémoire longue, ce fil continu, qui remonte au 16e siècle et aux origines de l'institution. Celle-ci a été épaulée dès la Renaissance, avec le concours de fondations telle que celle de Saint-Thomas.

J'envisage cette idée de mécénat comme l'instauration d'une relation gagnant-gagnant (plutôt que donnant-donnant) entre une institution et des personnes morales, physiques, des amis, des accompagnateurs, tissée d'affinités et d'amitié réciproque.

Un rapport, également, désintéressé : on reçoit et on donne, sans arrière-pensée. L'université fournit un service stimulant à la société qui l'entoure, une expertise à titre gracieux.

Pourquoi un tel dynamisme ? Est-ce spécifique à Strasbourg ?

L'origine hybride de l'université, à la fois française et allemande, en a toujours fait un lieu d'expérimentation. A l'époque de l'université allemande (1870-1918), la recherche et l'enseignement étaient de très haut niveau à Strasbourg, voulue comme une vitrine par les Allemands. Lorsque les Français ont repris les rênes, au lendemain de la Première Guerre mondiale, ils ont maintenu cette exigence d'excellence.

Dans la même veine, l'université est dynamisée, vitaminée par son mécénat. C'est un cas assez rare en France.

Vous même estimez réaliser un service en ville...

Aujourd'hui professeur émérite, j'ai débuté dans cette université à la fin des années 1980. Je ne me lasse pas de continuer ma mission de transmission, de lui rendre tout ce qu'elle m'a donné ! J'ai apprécié chacune de mes années, chacun de mes échanges avec les étudiants et les doctorants. Je poursuis aujourd'hui cette mission en apportant mon expertise d'historien, spécialiste de l'Alsace, chaque fois que l'université me sollicite !

  • Conférence "Cinq siècles de mécénat pour l'université de Strasbourg", mercredi 8 mars, à 18 h 30, au Palais universitaire, sur inscription
  • La conférence ouvre une série de rencontres, proposée à l'occasion de la clôture de la campagne de collecte de dons « Tous Nobels ! », au profit de l’Université de Strasbourg et des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, qui s’achève sur un succès, avec plus de 56 millions d'euros collectés : le programme
  • Lire aussi : 10 ans, 400 ans, 500 ans : plusieurs anniversaires pour l'Université de Strasbourg (3 septembre 2021)

Repères

1538 Création du gymnase par Jean Sturm, acte fondateur de l'université de Strasbourg

1566 Devenu académie, le gymnase peut délivrer des diplômes

14 août 1621 Inauguration officielle de l'université de Strasbourg, suite à l'octroi par l'empereur du Saint Empire romain germanique Ferdinand II à la Ville du droit d’ouvrir sa propre université, en remerciement de sa neutralité dans la Guerre de Trente ans

1920 Création de la Société des amis de l'université

2009 Création de l'Université de Strasbourg en tant qu'institution unique, résultant de la fusion des trois universités héritées des années 1960 (Louis-Pasteur, Marc-Bloch, Robert-Schuman)

Un don de 1 million de la Société des amis

La conférence de Georges Bischoff du 8 mars sera suivie d’une table-ronde, co-organisée par la Société des amis des universités de l’Académie de Strasbourg (SAUAS). Cet événement est l'occasion d'officialiser leur don d'1 million d'euros à la Fondation Université de Strasbourg, sous forme d'une ligne de fonds désormais dédiée.

Cette somme provient de l'accumulation de dons depuis notre création, en 1920, précise Michel Hau, président de la SAUAS, qui se plaît à rappeler les mots de Raymond Poincaré* restés fameux, prononcés lors de son discours d'inauguration : Si puissante que soit une maison, elle n’a jamais trop d’amis.

Le rôle de la SAUAS consiste à créer de la sociabilité autour de l'Université de Strasbourg et ainsi contribuer à son renom. A travers la remise de ses prix de thèse à de jeunes docteurs, mais aussi l'organisation de visites de bâtiments et de laboratoires, d'entretiens, de conférences – toujours des opérations de prestige -, la SAUAS crée de l'émulation et renforce les collaborations, en mettant en contact nos adhérents (particuliers, entreprises, structures indépendantes) et les chercheurs, les prix Nobel. En octobre dernier, ses adhérents ont ainsi eu l'occasion de rencontrer le professeur en immunologie Alain Fischer, qui a mis fin au calvaire des enfants-bulles, grâce à ses découvertes.

Outre officialiser ce don, l'événement du 8 mars est l'occasion d'encourager tout un chacun, lié ou non à l'université, intéressé par ses activités, conscient du formidable atout pour l'Alsace qu'elle constitue, de lui faire un don. C'est un incroyable gisement de matière grise !

* Président de la République (1913-1920), il fut aussi le premier président de la SAUAS

Catégories

Catégories associées à l'article :

Mots-clés

Mots-clés associés à l'article :

Changer d'article