« Nous sommes une pièce du puzzle de la réussite étudiante »
Des métiers atypiques au cœur de l'université #5. Encore inconnus il y a quelques années dans les universités françaises, les conseillers à la réussite y font leur apparition, inspirés de modèles existant notamment dans les pays anglo-saxons et au Québec. A l'Université de Strasbourg, il y a d'abord eu Carine Jeangeorge, à partir de 2019, rejointe deux ans plus tard par Didier Tossé. Leurs parcours d'études et de vie leur permettent de se compléter dans leur approche, au service de la réussite des étudiantes et étudiants, toujours dans la bienveillance et l'écoute. Rencontre.
Carte des émotions, liste des principaux besoins, schéma de progression, jeux de cartes des forces ou de transformation positive... Dans le bureau de Carine Jeangeorge, où elle reçoit les étudiantes et les étudiants ayant besoin d’un accompagnement, de nombreux outils sont à portée de main, sur une table basse encadrée de deux fauteuils confortables. Richement illustrés et colorés, ils permettent de mettre en confiance ses interlocuteurs. Certains viennent sans trop savoir quoi en attendre ou comment formuler leurs demandes, mais tous ont besoin d'aide
, avance la conseillère à la réussite. Je n'utilise pas systématiquement ces outils, mais ils peuvent permettre de nouer le dialogue ou travailler des problématiques spécifiques.
Tout impacte la réussite
Prise de notes, troubles dans la vie personnelle, difficultés à se concentrer, manque de confiance en soi, solitude... Tout impacte la réussite. Certains peuvent se penser ou se définir comme "paresseux" parce qu'on les a toujours qualifiés comme tel, alors que cela peut cacher des problématiques plus profondes, comme une peur de l'échec. On va faire le point sur leurs qualités, dont ils ne se sont souvent jamais rendu compte. C'est libérateur.
A l'inverse, d'autres se mettent trop la pression, se privant de tout plaisir, participant pourtant à un équilibre, comme passer du temps avec ses amis, jouer ou se balader...
Dans leur approche, Carine Jeangeorge comme Didier Tossé, diplômés en psychologie, font appel à une démarche holistique centrée sur l’étudiant dans son écosystème. Les conseils dispensés peuvent être sur l'organisation, la persévérance, la confiance en soi, le positionnement dans un groupe de travail
, souligne Carine. « Il s'agit de se saisir de ce "métier d'étudiant", ce qui n'est pas évident, complète Didier. Nous nous efforçons de permettre à l’étudiant de mieux se connaître, de comprendre les enjeux, se saisir des fonctionnements, d'ajuster ses stratégies, tout en ayant à l’esprit sa stabilité et la gestion de son énergie ».
Notre mission est de faire prendre conscience à ceux qui nous sollicitent de leurs forces, leurs qualités, et des ressources à leur disposition
. Car ils n'ont pas vocation à se substituer aux psychologues, conseillers d'orientation ni aux assistantes sociales, vers lesquels ils renvoient au besoin : Nous sommes un des maillons de la chaîne, une pièce du puzzle au service de l’étudiant dans son projet d’étude
. Un rôle qu'ils abordent tous les deux avec humilité et distance réflexive : L’accompagnement est un constant aller-retour entre subjectivité et objectivité. Les choses que l’on décrit ne sont pas figées mais des éléments évolutifs, relatifs à un temps T dans la vie de la personne
.
Dans la boîte à outils de l'Idip
A l'origine de la mise en place des conseillers à la réussite, en 2019, on trouve le projet Include, déposé par l'Unistra à travers son Institut de développement et d'innovation pédagogiques (Idip), dans le cadre de l'appel national Nouveaux cursus à l'université (NCU). Il ambitionne, en dix ans, d'améliorer la réussite en licence, à travers des dispositifs concrets. Finalement, nous avons choisi de ne pas nous limiter à ce niveau d'études, même si ce sont ces étudiants que nous recevons le plus. Nous comptons aussi quelques masters, essentiellement pour de l'aide dans la rédaction du mémoire. Nous n'avons pas eu de sollicitations de doctorants, mais ils sont les bienvenus.
Aujourd'hui, ce concept d’accompagner la réussite de manière individualisée est expérimenté par plusieurs établissements dans le supérieur français, avec des points de départ et des modèles différents. Nous avons l'occasion d'échanger avec nos collègues d'autres universités, où d'autres approches sont expérimentées (lire encadré ci-dessous).
A Strasbourg, nous recevons en moyenne chaque étudiant trois fois. Mais c'est très variable, certains peuvent bénéficier d'un suivi toute l'année, d'autres n'ont besoin que d'un seul rendez-vous
.
Adapté aux besoins, l'accompagnement est personnalisé, même si le renforcement de l'équipe, avec l'embauche de Didier Tossé en 2021, permet aussi désormais d’expérimenter davantage : aller à la rencontre d'amphithéâtres pour dispenser des conseils plus généraux (lire encadré ci-dessous), faire des ateliers avec des promotions en composante ou encore développer des outils d’accompagnement. Nous accordons une grande importance à l'autonomie et à l'"empouvoirement" de nos étudiants, en les encourageant à prendre conscience de l'importance d'une démarche proactive. Nous les considérons comme les acteurs principaux de leur parcours, leur donnant ainsi le contrôle sur leurs actions.
En 2022-2023, 486 prises de rendez-vous, pour 427 entretiens individuels
Un atout dans la poche des conseillers à la réussite : leur complémentarité. Française, j'ai étudié (8 ans) et travaillé (5 ans) aux Etats-Unis en tant que conseillère à la réussite (Student success counselor) et conseillère académique (Academic advisor)
, précise Carine. De son côté, Didier a commencé sa scolarité à l'Ile Maurice, dans un modèle anglo-saxon, avant de poursuivre ses études en France, s’engageant notamment depuis 2008 sur les questions sociales, d’apprentissages et de réussite dans le supérieur. On a donc connu, à différents stades de nos vies, les deux systèmes, et cela est très utile pour se mettre dans les baskets d'un étudiant français perdu dans le système universitaire, ou d'un international sans repères ici !
10 conseils pour une scolarité épanouie
Bilan d'étape pour les NCU
Déployé il y a maintenant quatre ans, le projet Nouveaux cursus à l'université (NCU) a récemment bénéficié d'un bilan d'étape, pour faire le point sur les forces et les faiblesses des dispositifs expérimentaux déployés dans les universités françaises en soutien à la réussite étudiante. Une démarche réflexive, pour savoir où on en est et où on veut aller.
A Angers ou Savoie - Mont-Blanc, des choix différents, parfois antérieurs à 2018, ont été faits pour mettre en place un écosystème favorable à la réussite étudiante : des accompagnateurs plus transversaux, basés dans les composantes, qui font parfois aussi de l'orientation ; ou des interventions sous la forme d'ateliers.
A Strasbourg, comme prévu dans le projet Include, l'embauche d'un deuxième conseiller à la réussite a permis d’augmenter la prise en charge individualisée des étudiants, avancer sur la constitution d'un réseau de partenaires et rajouter une dimension d’ingénierie au dispositif, particulièrement avec le tutorat. C'est une sacrée gymnastique de jongler au quotidien entre le terrain et la réflexivité nécessaire à la structuration du métier, mais nos échanges permanents sur nos pratiques font qu'on y arrive,
apprécient Carine Jeangeorge et Didier Tossé.
Les 1ères Rencontres internationales de la réussite étudiante organisées à Strasbourg
Les 15 et 16 juin prochains se tiennent à l'Université de Strasbourg, à l'initiative du pôle Appui à la réussite étudiante de l'Idip, la première édition des Rencontres internationales de la réussite étudiante. Déjà complet, l'événement accueille 170 participants, originaires de nombreuses universités francophones : françaises mais aussi suisses, belges et québécoises. Au programme : présentation de dispositifs, mutualisation de ressources, réflexions collectives et constructives.
Des métiers atypiques au cœur de l'université
Ils et elles sont cartothécaire, éleveuse de moustique, agent logé ou relieuse... Gardiens de trésors universitaires ou dépositaires d'un savoir rare, ils œuvrent dans des professions méconnues, souvent dans l'ombre. Cette série propose de mettre leurs compétences sous le feu des projecteurs.
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