Par Marion Riegert | Elsa Collobert
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L’histoire du sapin de Noël, entre religion, patriotisme et tradition familiale

Symbole de Noël, le sapin est arrivé en France via l’Alsace dans des temps reculés. En lien avec le christianisme d’abord, il devient un accessoire du patriotisme tricolore avant d’entrer dans une dynamique plus commerciale. Explications avec Georges Bischoff, historien et professeur émérite de l’Université de Strasbourg.

Le culte des arbres

Venu tout droit des pays germaniques, le sapin s’inscrit dans la lignée du culte des arbres présent dans de nombreuses religions et imaginaires. Il était notamment mentionné dans le cadre des rituels des fêtes païennes du solstice d’hiver et de la nouvelle année, rapporte Georges Bischoff. 

Dans la tradition chrétienne, le sapin de Noël apparait à la fin du Moyen Age, comme un ersatz du palmier de Terre sainte, toujours vert, ou en lien avec l’arbre de la connaissance. Clin d’œil à cet arbre originel, les premiers sapins ont une décoration simple avec des pommes et des hosties.

Une première mention en débat

Dès 1340, des documents évoquent l’utilisation du sapin. Dans la seigneurie de Rougemont, au pied du Ballon d’Alsace : le maitre ou le marguillier de l’église doit avoir à Noël de chaque année, un arbre de la forêt. A cette époque, les écrits mentionnent également une surveillance plus rigoureuse de la forêt durant les fêtes. 

Longtemps, on a écrit que le berceau mondial du sapin de Noël se trouvait à Sélestat

Longtemps, on a écrit que le berceau mondial du sapin de Noël se trouvait à Sélestat, en invoquant un règlement de 1521 qui cite, explicitement, la coutume. Une date remise en cause par la découverte de trois lignes manuscrites dans un registre comptable de l’Œuvre Notre-Dame à Strasbourg datant de 1492, par François-Joseph Fuchs, archiviste et historien contemporain. 

Elles évoquent l’achat de 9 sapins pour célébrer la bonne année dans les 9 paroisses de Strasbourg. Etablissant une relation directe avec la fête de la nativité qui avait lieu le 25 décembre, souligne Georges Bischoff qui précise qu’en Alsace, en milieu protestant, la tradition était de mettre des sapins dans les maisons et chez les catholiques dans les églises.

La médiatisation d’une identité pittoresque à travers albums et chanson

Au fil du temps, les occurrences au conifère se multiplient avec une explosion au 19e siècle. La France se passionne pour un exotisme germanique et la tradition du sapin se répand via l’Alsace. L’arbre emblématique des Vosges, lié à un idéal forestier, de la nature et de la marche, est mis en scène par les poètes et les artistes, comme Erckmann-Chatrian ou Théophile Schuler.

Traduits de l’allemand, les livres pour enfants du chanoine Christoph Schmid, contribuent pour leur part à l’association du sapin à la fête de Noël. Ils évoquent notamment la décoration des branches du sapin à l’aide de petits cadeaux, beaux fruits, et autres bonbons de toutes les couleurs…

Sans oublier une chanson : O Tannenbaum. Ecrite en 1824, elle est traduite et adaptée dans un style plus chrétien, en 1856, par Laurent Delcasso, professeur à la Faculté des lettres de Strasbourg et recteur de l’Académie de Strasbourg. Avec une note expliquant qu’ en Allemagne et en Alsace existe le vieil usage de planter dans chaque famille, au jour de Noël, un sapin surmonté d’un enfant Jésus, et portant à ses branches des étrennes destinées aux enfants. Elle sera diffusée au niveau national implantant le sapin de Noël dans toute la France.

Après 1870, un symbole patriotique

En 1870, cette Alsace rêvée, pittoresque, est annexée par l’Empire allemand. Le sapin de Noël devient un instrument fédérateur des provinces perdues de la Nation française. Et ce, à travers notamment la première fête de Noël des Alsaciens-Lorrains de Paris en 1872. 

Des sapins des Vosges sont apportés. La fête devient une fête des enfants patriotique, avec une connotation affective et revancharde. Des cadeaux suspendus aux rameaux sont distribués : pour les petites filles, des poupées en costume alsacien, les premières du genre, et aux garçons des petits soldats et des panoplies militaires : tambours, clairons et fusils à bouchons.  

Le 20e siècle, une industrialisation du phénomène

Pendant la Première et la Seconde Guerre mondiale, le sapin alsacien est au cœur de l’imagerie de la Revanche et de la Victoire, avec l’évocation des morts sous les sapins des Vosges notamment. 

De nos jours, 5 millions de sapins sont vendus en France à Noël. Il y a une industrialisation du phénomène qui reste de l’ordre de l’intimité, du cadre familial, en lien avec l’apparition des jouets de manière commerciale. Quand j’étais petit, nous décorions le sapin avec des filaments d’étain, utilisés pendant la Seconde Guerre mondiale pour brouiller les radars des avions, se souvient l’historien.

  • Pour aller plus loin, lire aussi : Georges Bischoff « Vert et chrétien, tricolore et laïc : les racines alsaciennes du sapin de Noël », Autour de l’arbre de Noël : mentions, traditions et symboles dans le Rhin supérieur et au-delà, Sélestat, Amis de la Bibliothèque humaniste, 2022, p. 41-66. Cette publication regroupe les communications présentées lors d'une journée d'étude, en décembre 2021.

Les sapins en Alsace : éclairage botanique

Frédéric Tournay, responsable des collections du Jardin botanique de l'Université de Strasbourg depuis 1996, nous éclaire sur l’implantation du sapin dans la région : L’espèce emblématique locale du sapin, c’est le sapin blanc (Abies alba), très répandu dans les Vosges. Mais il est davantage planté pour son bois que comme arbre d’ornement.

Quand commence à apparaître la tradition du sapin de Noël pour décorer les maisons pendant la période de l’Avent, c’est plutôt pour l’épicéa (Picea abies) qu’on opte. Il diffuse une bonne odeur de résine. Problème : ses aiguilles tombent rapidement, en une semaine maximum. Autre souci avec le local Abies alba : son aspect plutôt malingre. Meilleur exemple, le sapin de la place Kléber : coupé chaque année dans les Vosges, le roi des forêts  est systématiquement remplumé de branches supplémentaires.

Pour correspondre au marketing de Noël  qui s’impose depuis quelques dizaines d’années, on est donc plutôt allés chercher une espèce caucasienne, aux branches plus fournies et à la silhouette conique, plus distinctive : le sapin de Nordmann (Abies nordmanniana). Pour répondre à la demande, ils sont élevés sur des parcelles ad hoc en Europe de l’Est et du Nord, coupés bien avant maturité et doivent pouvoir résister à de longues périodes de transport.

Influence du changement climatique

Dans les allées même du Jardin botanique, Frédéric Tournay note avec inquiétude un tournant : Depuis le début des années 2000 et la succession des canicules, les espèces méditerranéennes comme les sapins d’Espagne et de Grèce (Abies pinsapo et A. cephalonica) résistent beaucoup mieux que les espèces locales, qui dépérissent, parfois attaquées par des champignons. Les visiteurs du jardin ne remarquent pas forcément le changement, mais nous avons dû nous résoudre à en abattre, au rythme de un par an. Le dernier spécimen local d’épicéa du campus historique peut ainsi être admiré à l’angle du Musée zoologique, rue de l’Université. 

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