Inaccessible au public, la serre de multiplication des plantes tropicales, dans laquelle nous accueillent Céline Froissart (jardinière-botaniste), et Frédéric Tournay (responsable des collections du jardin), est une véritable nursery pour les jeunes pousses.
Semées il y a un, deux ou trois ans, elles s’y épanouissent dans une ambiance de jungle : 25 degrés et 80 % d’humidité. Elles rejoindront ensuite la grande serre tropicale ouverte, elle, au public.
La zone technique regroupe les semis de plantes résistantes au froid. « Sur dix ans, on peut espérer qu'une graine sur dix semées va donner une plante qui sera installée dans le jardin aux yeux du public. Une vraie école de la patience ! »
« Dans cet endroit, on stocke nos propres plants, certains en attente de transfèrement vers une nouvelle parcelle. Elles sont laissées un ou deux ans en plein air, pour se renforcer et grandir. La zone technique abrite aussi des protocoles expérimentaux d’enseignants-chercheurs de l’université. » Le Jardin botanique est rattaché à la Faculté des sciences de la vie et beaucoup de liens existent avec l’enseignement et la recherche.
« La fin de l’hiver annonce le début des semis », explique Céline Froissart, qui adapte le substrat et sa hauteur aux graines de chaque espèce.
Parmi toutes les plantes que vous voyez autour de vous dans le jardin, « 90 % des espèces proviennent d’autres jardins botaniques, arrivées ici dans le cadre d'un échange de graines », indique Frédéric Tournay.
Car c’est un secret bien gardé : dans les tiroirs de la Faculté des sciences de la vie dort un trésor végétal de graines et de fruits. C’est la graineterie, gérée par Céline Froissart depuis 2012.
Une bonne partie de sa saison hivernale est consacrée au travail sur les catalogues de graines (appelés Index Seminum). « On établit le nôtre, et on reçoit ceux d’environ 250 jardins botaniques du monde entier, avec qui nous correspondons ». Pour le nom des plantes, la langue commune est le latin.
« A partir de la fin de l’automne, nous collectons dans le jardin les fruits et les infrutescences contenant des graines. »
S’engage ensuite un patient travail d’extraction des graines et d’élimination de toute poussière, résidu et parasites, en jouant sur les tailles des mailles de tamis, plus ou moins fines.
Toutes les graines du catalogue sont stockées au frigo, pour qu’elles conservent leur capacité germinative. « Certains pays, comme la Corée du Sud, le Japon, ou le Royaume-Uni imposent des contrôles sanitaires aux douanes très stricts. » Tout est entièrement gratuit pour les deux parties. « On travaille avec des institutions publiques, mais aussi privées, dédiées à la conservation. Comme nous avons une grande diversité d’espèces, nous sommes même sollicités par des archéobotanistes. » Certaines graines restent viables pendant des décennies, si elles sont conservées convenablement.
Les responsables de collections font leur « marché » dans les catalogues. Ici un jardinier botaniste classe des astéracées en préparation des semis à venir (derrière lui, une partie de la xylothèque, collection de bois).
Le Jardin botanique de Strasbourg s’est fait une spécialité des arbustes exotiques. « En ce moment, on étudie des catalogues d’Ouzbékistan, d'Autriche, des Etats-Unis… » Une vraie incitation au voyage !
Comme les échanges de graines sont réalisés à une échelle mondiale, un traçage rigoureux est mis en place. C'est le rôle de la base de données informatisée des collections. Les informations renseignées permettent de remonter jusqu’au pays et même au jardin d'origine de chaque plante. Ce système est international et vise à être en accord avec la Convention sur la diversité biologique de Rio, et permettre un partage équitable des ressources végétales entre les pays.
L'étiquette avec les informations sur son origine est aussi, voire plus précieuse que la plante elle-même !
A Strasbourg, où le jardin botanique existe depuis 1619 (après une première implantation à la Krutenau), on conserve encore les catalogues papier de la fin du 19e siècle !
« On fait des tests. Toutes les espèces ne sont pas forcément adaptées à notre climat, de moins en moins froid et neigeux (la neige protège la plante pendant l'hiver). Certaines ne vont pas survivre. » C’est par exemple ce qui est fait par Anthony Beke, pour le réaménagement de la parcelle présentant l'adaptation des plantes au milieu montagneux. « Beaucoup de graines viennent de Grenoble, de Suisse, d’Autriche… »
L’espace de l'école de botanique, autour de la serre de Barry, est en cours de réaménagement. Son but est de présenter un arbre généalogique du règne végétal, tout en renouvelant les collections face au changement climatique en cours. « Nous faisons ça par tranches. C'est un gros chantier, qui va nous prendre une dizaine d'années ». Une temporalité adaptée à la lente croissance des plantes…