Par Elsa Collobert
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Les droits humains au cœur de l'Académie des écrivain·es

Originaires d’Haïti, d’Ukraine, d’Argentine, d’Afrique, de Turquie, d’Europe ou d’Iran, neuf écrivaines et écrivains sont réunis à Strasbourg le temps d'une « Académie des écrivain·e·s », temps fort de Strasbourg Capitale mondiale du livre 2024. Dix jours durant, du 21 au 30 novembre, ils iront à la rencontre des publics, à travers divers formats – conférences, lectures, performances accompagnées d’artistes. L'ambition est aussi de doter l’Académie d’un texte, pour les droits humains et la défense de la littérature.

Les drames humains qui se jouent dans le monde et sur lesquels la littérature pose un regard aigu, mais aussi les droits d’expression et de création des écrivaines et écrivains : tel est le double objet de l'Académie des écrivain·es. Témoignage sur les guerres, sur l’oppression, sur la privation de liberté, la littérature est aussi un art d’action et d’intervention, capable de défendre les droits et de réaffirmer le nécessaire respect des personnes humaines, dans toute leur diversité. Pour les écrivains, s'exprimer relève d'un droit inaliénable , souligne Michel Deneken en accueillant les trois premiers auteurs présents, Roja Chamankar, Jean D'Amérique et Serge Pey, convoquant les figures de Michel Leiris et René Char. À Strasbourg, ville refuge à la forte tradition d'accueil, lieu symbolique de déchirement et de réconciliation, cette affirmation résonne particulièrement fort, dans le contexte de commémoration des 80 ans de la Libération de la ville.

Un texte collectif en point final

Strasbourg comme laboratoire pour penser et manifester la puissance de résistance de la littérature

Conférences, lectures, performances, dans la ville et à destination de toutes et tous : les différents événements organisés au cours de l’Académie seront l’occasion d’évoquer plusieurs situations brûlantes sur le plan des droits humains, passées ou actuelles, autant que des questions transversales comme le genre, la guerre, la liberté d’expression, le droit à la lecture ou le droit à la langue. Mais aussi de rappeler les menaces qui pèsent sur la littérature elle-même , rappelle Victoire Feuillebois, enseignante en littérature et coordinatrice de l'Académie.

Ses neuf membres (voir composition ci-dessous) se réuniront au fil de trois séances plénières, dans le but de doter l’Académie d’un texte collectif, déclaration, manifeste, selon la forme donnée par leur créativité, qui sera publié en avril, point final accompagnant la clôture de l'année Strasbourg Capitale mondiale du livre, a détaillé Pascal Maillard, lui aussi enseignant en littérature et coordinateur de l'Académie.

Pour faire de Strasbourg, selon les vœux des organisateurs, l'un des laboratoires pour penser et manifester la puissance de résistance de la littérature.

L'académie est co-organisée par l’Université de Strasbourg et l’Eurométropole de Strasbourg, dans le cadre de Strasbourg Capitale mondiale du livre UNESCO 2024. En collaboration avec le PEN Club France, les Bibliothèques Idéales, la Bibliothèque nationale et universitaire, la Maison de la poésie de Strasbourg, la Librairie Kléber, la Librairie des Bateliers et la Librairie Chapitre 8.

Les 9 écrivain·es invité·es

Jean D’Amérique est poète, dramaturge, romancier et musicien. Né en Haïti, il est l’auteur d’une œuvre engagée, qui interpelle sur les injustices et les souffrances endurées par les populations pauvres et marginalisées. Jean D’Amérique convoque aussi la figure d’auteurs qui ont payé pour leur engagement politique, comme Federico Garcia Lorca ou encore Nâzım Hikmet. Parmi ses œuvres on peut signaler son roman Soleil à coudre, publié chez Actes Sud, ainsi que son livre de poème Quelque pays parmi mes plaintes. Écrivain en résidence d'Écrire l’Europe, il est le parrain du prix Louise-Weiss de littérature.

Claude Ber est une autrice, poétesse, dramaturge et essayiste française. Un de ses derniers recueils s’intitule Il y a des choses que non : c’est la phrase que lui a dite sa grand-mère maquisarde que la jeune Claude interrogeait sur les raisons qui l’avaient poussée à se révolter au péril de sa vie. Depuis, ce « Il y a des choses que non » est devenu la devise de l’œuvre de Claude Ber, qui s’emploie à décliner les scandales auquel l’existence humaine se heurte et à s’interroger sur Ce que peut la littérature en ces temps de détresse (d’après le titre d’un recueil de lettres publié en 2011).

Roja Chamankar est une poétesse, traductrice et cinéaste iranienne qui a publié une dizaine de livres de poésie en Iran, co-écrit trois livres pour enfants et traduit deux recueils de poèmes du français en persan. Ses œuvres ont été traduites dans plusieurs langues et ont remporté de nombreux prix nationaux et internationaux. Parmi ses œuvres on peut signaler Dans ma chevelure, Je ressemble à une chambre noire et Mourir dans la langue maternelle.

Hawad est un écrivain touareg qui a choisi d’écrire dans sa langue, le tamajaght. Une vingtaine de ses livres sont traduits en français. La résistance anticoloniale a toujours été pour ce grand poète un combat pour le droit à la langue. C’est aussi un poéticien du nomadisme. Une anthologie significative de son œuvre est publiée en Poésie Gallimard sous le titre Furigraphie.

Alberto Manguel, écrivain argentin, essayiste et parrain du programme Capitale mondiale du livre Unesco à Strasbourg, est l’homme des bibliothèques, l’homme qui chuchotait à l’oreille de JL Borges aveugle, avant de prendre la tête de la Bibliothèque nationale d’Argentine, l’homme aux 40 000 ouvrages – qu’il a donnés à la Ville de Lisbonne, aventure qu’il raconte dans l’essai Je remballe ma bibliothèque : une élégie et quelques digressions (2019). Car les livres chez Alberto Manguel sont tout sauf un poids mort ; auteur de la très célèbre Histoire de la lecture publiée chez Actes Sud en 1996 et constamment rééditée, il aidera l’Académie à penser un droit essentiel qu’est le droit à la lecture.

Carole Carcillo Mesrobian est poétesse, critique littéraire et performeuse. Elle est l’autrice d’une quinzaine de livres qui interrogent les rapports entre l’écriture artistique, les arts et les savoirs. Son geste poétique est profondément associé à une volonté politique d’ancrer la poésie dans le réel. Ses derniers recueils parus sont De nihilo nihIL (Tarmac, 2022) et Femme ductile (2023). Carole Mesrobian est par ailleurs présidente du PEN Club France. Elle est donc en première ligne pour la défense de l’expression des écrivains et s’est notamment engagée pour les artistes emprisonnés.

Serge Pey est poète, nouvelliste, plasticien et théoricien. Très engagé dans les luttes pour les droits en Amérique latine et en Amérique du Sud, il est un grand maître de la poésie d’action. Il réalise des performances dans le monde entier. Il est l'auteur de plus d’une centaine de livres. Une anthologie de son œuvre a été publiée sous le titre Mathématique de l’infini dans la collection Poésie-Gallimard. Serge Pey a reçu le Grand prix national de la poésie et le prix Apollinaire.

Pinar Selek est une écrivaine et sociologue franco-turque, victime d’une persécution politico-judiciaire par le pouvoir turc depuis plus de 25 ans. Militante féministe et antimilitariste, très engagée pour la défense des artistes et des minorités persécutées, elle est l’autrice d’une dizaine de livres dont deux romans traduits en français, La Maison du Bosphore et Azucena. Elle est aussi l’autrice de contes pour enfants.

Luba Yakymtchouk est une poétesse ukrainienne originaire de la région de Lougansk, annexée par la Russie en 2014. Son œuvre est travaillée par la question de la parole féminine et les violences de l’histoire, par la guerre et par sa région perdue : son dernier recueil Les Abricots du Donbass, évoque notamment la destruction des femmes, des hommes et des paysages de cette région.

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