Par Marion Riegert
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Dans l’œil des trois directeurs de l’Institut de science et d'ingénierie supramoléculaires

Réunis autour d’une même table, Jean-Marie Lehn, fondateur de l'Isis et directeur jusqu’en 2004, Thomas Ebbesen, directeur jusqu’en 2012 et Paolo Samori, actuel directeur, nous racontent l’Isis, de sa fondation, à son expansion.

J’avais rencontré Jean-Marie à Paris. Le 1er avril 1994, il est venu visiter mon laboratoire au Japon. Cinq minutes après son arrivée, il m’a proposé de revenir en France monter un institut. Pendant un mois, je n’ai plus eu de nouvelles, j’ai cru à un poisson d’avril, et une nuit, un long fax venant de Strasbourg est sorti..., se souvient Thomas Ebbesen, premier à rejoindre l’aventure Isis au côté de Jean-Marie Lehn.

De la mère des dieux à la mère des sciences

Après avoir envisagé plusieurs options, l’institut prend finalement ses quartiers dans un nouveau bâtiment dédié. Inauguré en décembre 2002, il est construit à l’emplacement d’un grand amphithéâtre censé être provisoire qui a duré… Quand l’architecte Claude Vasconi a vu le site, il l’a décrit comme une friche, sourit Jean-Marie Lehn, qui évoque un projet décrit comme pharaonique par certains, et opte pour un acronyme à la hauteur de ses ambitions. Isis est la mère des dieux égyptiens, la chimie est la mère des sciences !, ose le prix Nobel.

Le bâtiment est construit autour d’un atrium central, qui permet à tous de se voir et de favoriser les échanges. Au départ, ils ne sont qu’une poignée à occuper les 4 500 m2 répartis sur cinq étages. Il n’y avait personne, même pas pour nettoyer les toilettes, nous nous occupions de tout, se souvient Thomas Ebbesen.

Un modèle à l’américaine

Modèle à l’américaine, dans une université humboldtienne, l’institut s’inscrit dans le domaine des systèmes complexes, à l’interface entre la chimie, la physique et la biologie. Il s’articule autour de trois grands principes : l’interdisciplinarité, l’international et l'attractivité.

Nous cherchons toujours le meilleur candidat. Peu importe sa thématique et son origine

Au sein d’une unité mixte de recherche Unistra/CNRS, l’Isis regroupe des laboratoires seniors dirigés par des scientifiques reconnus, et juniors, dirigés par de jeunes chercheurs prometteurs, accueillis pour six ans maximum. A l’époque, dans beaucoup de laboratoires européens, un senior avait des juniors à sa botte. Dans notre modèle, nous recrutons les juniors sur l’originalité de ce qu’ils veulent faire. Nous refusons le népotisme, nous cherchons toujours le meilleur candidat. Peu importe sa thématique et son origine, nous lui donnons des moyens et le laissons se débrouiller, explique Jean-Marie Lehn. Une véritable pépinière, qui permet d’attirer de nouveaux talents aux idées fraiches, mais aussi de les essaimer à travers le monde.

Des entreprises au sein de l’institut

Revers de la médaille, il faut sans cesse trouver de nouvelles recrues. C’est une structure fragile. Si un chercheur part, un sujet peut disparaitre et remettre en question une orientation de recherche, précise Jean-Marie Lehn. Un risque, mais aussi une force pour Paolo Samori qui compte avec Joseph Moran parmi les deux seuls juniors promus seniors depuis la création de l’Isis.

Autre originalité : la présence des antennes de recherche d'entreprises publiques ou privées, qui peuvent louer des espaces dans les locaux et y poursuivre leurs travaux de recherche et développement. BASF, la plus grande entreprise chimique mondiale, fut la première à installer un laboratoire dans l’Isis et exporta le modèle dans d’autres institutions à Freiburg, Zurich,  Harvard, suivie par des « jeunes pousses » comme Qfluidics ou Syndivia. Ce qui les intéresse, c’est de croiser des jeunes chercheurs qu’ils peuvent recruter ou d’initier des collaborations avec des personnes des laboratoires de l'université, précise Jean-Marie Lehn.

Deux extensions

Fort de ces spécificités, l’Isis grandit au fil du temps et passe de 35 personnes au départ à plus de 200, aujourd’hui. Les gens se demandaient si on allait survivre dans le système français… Désormais, nous avons une réputation internationale, se réjouit Thomas Ebbesen. Les chercheurs ne viennent pas ici pour devenir riches, mais parce que c’est très stimulant, ajoute Paolo Samori.

En 2019, l’extension de l’institut, Isis-2, est inaugurée, ajoutant plus de 2 000 m2 à l’ensemble. En 2021, le Centre européen de sciences quantiques, un enfant d’Isis encore allaité, glisse Jean-Marie Lehn, voit également le jour grâce notamment à Thomas Ebbesen. Les étudiants partaient à Paris étudier ce domaine, nous avons voulu le renforcer à Strasbourg, précise-t-il.

Le système français est complexe

Avec Paolo, nous sommes d’origine étrangère. Le système français est complexe, sourit le chercheur, évoquant des règles de plus en plus contraignantes. Heureusement, pour l’épauler, le directeur de l’institut est accompagné d’un directeur exécutif, Jean-Pierre Kintzinger d’abord, puis Yvette Agnus et Muriel Muzet aujourd’hui.

En janvier 2024, Paolo Samori laissera sa place à un nouveau directeur

En janvier 2024, Paolo Samori laissera sa place à un nouveau directeur. Ce dernier pourra à son tour bénéficier des précieux conseils de ses prédécesseurs pour écrire cette nouvelle page de l’institut. Une aventure qui n’aurait pas pu avoir lieu sans le soutien des collectivités territoriales et de nos tutelles qui ont accepté un modèle unique de fonctionnement, conclut Jean-Marie Lehn.

Une capsule temporelle

Une capsule temporelle a été installée dans un des piliers de l’Isis lors de la pose de la première pierre. Sont enfermés à l'intérieur un produit moléculaire (contenant une cavité, cryptant) et une nanostructure optique pour lesquelles Jean-Marie Lehn et Thomas Ebbesen ont respectivement reçu le prix Nobel et le prix Kavli. Le tout, assorti de deux textes explicatifs.

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