Par Zoé Charef | Elsa Collobert
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Témoignages : une thèse, et après ?

Qu'ils aient soutenu leur thèse il y a deux, cinq ou dix ans, tous en conservent un souvenir marquant. Pourquoi ce choix, qu'en ont-ils retiré, qu'en retiennent-ils ? Trois diplômés témoignent, entre satisfaction, réussites, questionnements, désillusions et insertion professionnelle plus ou moins aisée.

« L'aboutissement d'une réflexion de très longue haleine »

Talitha Cooreman-Guittin a obtenu son doctorat en 2018, au sein de l'Unité de recherche (UR) Théologie catholique et de sciences religieuses

« Je suis aujourd'hui enseignante-chercheuse, mais c'est une carrière à laquelle je ne me destinais pas. Finalement, il n'y a que mon mari pour dire aujourd'hui qu'il a toujours pensé que j'épouserais cette voie !

J'ai repris mes études à 30 ans, après avoir travaillé comme assistante metteur en scène et comme assistante d’éducation. Habitant en Alsace, ma paroisse m'avait demandé d'assurer les cours d'enseignement religieux à l'école. Or, je ne m'imaginais pas un instant le faire sans un bagage de solides connaissances. Deug, puis master et enfin doctorat : tout s'est enchaîné assez naturellement. J'ai obtenu ma thèse à 47 ans, en janvier 2018, sous la direction de Marie-Jo Thiel et Jérôme Cottin. Il était important pour moi d'obtenir un diplôme reconnu par l'État, en plus du diplôme canonique.

Au fil de ces années, j'ai énormément pris goût à la recherche, et appris sur ma foi et le monde. Lorsque j'ai repris mes études, l'Église, qui m'avait embauchée à temps plein, m'a envoyée en Institut médico-éducatif (IME). Le premier jour, j'ai reçu une vraie claque, quand une jeune femme handicapée m'a demandé pourquoi Dieu l'avait faite ainsi. Je n’avais pas la réponse – pas plus que les services d’Église que j’ai consultés. Des années plus tard, j'ai orienté mes recherches vers le domaine de la théologie pratique, autour de la perception de la déficience intellectuelle dans la pédagogie catéchétique*. Ce travail de thèse, c'était finalement l'aboutissement d'années de réflexions.

Nous n'avions que peu de néo-bacheliers dans notre faculté, et c'était sans doute plus simple, à mon âge, de me replonger ainsi dans un contexte d'études. J'ai vécu la soutenance comme une vraie épreuve, je garde le souvenir de m'être faite cuisiner ! Exercer comme enseignant-chercheur est précieux, le travail de recherche venant nourrir l'enseignement, on le partage aux étudiants, et au-delà.

On ne peut pas réussir dans la recherche sans réseau

Tout au long de la recherche doctorale, mes encadrants m'ont poussée à participer à des symposiums, des colloques, y compris internationaux. On ne peut pas réussir dans la recherche sans réseau, ni sans publier. C'est grâce à ce réseau que je peux commencer un poste de professeure à Fribourg (Suisse), où je débute dans deux mois, après avoir été en post-doctorat à Louvain-la-Neuve (Belgique), puis maître de conférences à Lyon et Lille. Je veux continuer, à Fribourg, d’approfondir mes recherches sur les maladies neuro-évolutives et le handicap.

Avec le recul, quelles sont pour moi les qualités pour réussir une carrière académique ? Il faut de la passion et un brin d’originalité, et je ne manque pas d'encourager mes étudiants talentueux à poursuivre en thèse. Il y a des places à prendre ces prochaines années en théologie, avec un corps professoral vieillissant. Les jeunes qui viennent se former de l'étranger, et notamment d'Afrique francophone, je les encourage à retourner enseigner dans leur pays, à ne pas se cantonner à un rôle de curé. C'est ma philosophie de la thèse : nous menons ce travail pour qu'il serve aux autres. L'ouverture internationale de notre discipline nous pousse aussi à décentrer le regard, rester attentif à l'ailleurs, et c'est passionnant. L'européocentrisme a vécu ! »

Propos recueillis par E. C.

* Qui se rapporte à la catéchèse, à l'enseignement oral de la religion chrétienne.

« Quand on commence une thèse, on a des étoiles plein les yeux »

Cécilia Landau a obtenu son doctorat en philologie classique en 2018, dans le cadre de l'Ecole doctorale Humanités

« J’ai énormément apprécié mon travail de thèse. J’ai eu la chance de bénéficier de conditions idéales : un contrat doctoral pour être financée ; un directeur de thèse bienveillant, à l’écoute, impliqué dans mes recherches ; une petite équipe de doctorants soudée ; la confiance accordée pour organiser des événements scientifiques type journées d’études ; des sources incroyables à portée de main (à la bibliothèque de la Misha et à la BNU) ; la découverte du goût de la pédagogie et de la transmission aux étudiants. Autour de moi, c’était loin d’être la norme !

J’ai poursuivi un sujet de recherche qui me passionnait, débuté en master, autour de la prostitution dans l’Antiquité. Un sujet que j’ai porté et construit. C’est une chance, car dans d’autres disciplines, les sujets peuvent être imposés par les financeurs, ou même par le directeur de thèse, pour servir ses propres recherches.

J’ai soutenu ma thèse en 2018, et ai assisté à la cérémonie de remise des diplômes de doctorat en juin 2019. Je garde un souvenir ému de ce moment, c’est un véritable rite de passage. Ça marque à la fois la clôture d’un travail très solitaire, jonché de difficultés, et une forme de reconnaissance de la part de l’institution.

C’était très important pour moi d’avoir pu y assister. Que ma famille et mes proches aient été présents, aussi, car ils ne comprennent pas toujours bien le but de tous les efforts fournis pendant plusieurs années ! Surtout dans mon cas, où je suis la première à parvenir à un tel niveau d’études, qui ont joué le rôle d’ascenseur social.

Du moins… jusque dans une certaine mesure. Car si au début de la thèse, j’avais des étoiles plein les yeux, au moment de rechercher mon premier emploi dans la "vraie vie", les choses se gâtent. J’ai enchaîné les contrats courts sur des jobs de recherche, puis administratifs, dans le système universitaire, d’abord en catégorie C, payés au Smic, jusqu’à aujourd’hui une mission de conduite de projet en catégorie A.

Aux premières loges pour témoigner des défauts et dérives du système

Je suis aux premières loges pour témoigner des défauts et dérives du système : précarisation croissante de la fonction publique, concurrence exacerbée due aux manques de postes et de financements, charges de travail extensibles dont une bonne partie bénévole, jusqu’au burn-out, manque de considération... C’est le problème des métiers passion.

Bien sûr, j’aurais aimé mener une carrière académique. Mais je suis assez lucide pour ne pas demander une licorne arc-en-ciel au Père Noël ! J’ai aussi renoncé au professorat dans le secondaire, les conditions proposées ne me convenant pas.

Après mon dernier contrat à la Faculté des sciences historiques, j’étais prête à quitter Strasbourg pour un job mieux payé dans le privé, au Luxembourg. J’ai finalement fait le choix de rester à l’université car malgré tous ses défauts, ce système dispose aussi d’avantages non négligeables. Le métier que j’occupe aujourd’hui me passionne, car il me permet de satisfaire mon hyperactivité et ma grande curiosité intellectuelle. Mais contrairement au travail de thèse, je le vois avant tout comme une activité professionnelle, je ne suis pas prête à tout lui sacrifier.

Je considère aujourd'hui la thèse comme un chapitre de vie, aujourd’hui refermé, susceptible d’être rouvert. J’en viens finalement à penser qu’il faut voir la thèse comme quelque chose que l’on mène pour soi, sans en attendre un quelconque "retour sur investissement" ou reconnaissance de la société. Car alors on risque de finir grandement désillusionné, voire aigri. »

Propos recueillis par E. C.

« Pas le temps de souffler entre ma soutenance et mon embauche ! »

Daniel Elizondo a obtenu son doctorat en 2021, au sein du Laboratoire des sciences de l'ingénieur, de l'informatique et de l'imagerie (ICube – CNRS/Unistra/Engees/Insa)

« J’ai réalisé une thèse sur l’évaluation mécanique et numérique d’un implant novateur d’ostéosynthèse de l’humérus proximal et diaphysaire… Je sais, ça semble très complexe dit comme ça, et pas très parlant. Mais en réalité, c’est de la biomécanique. Au Mexique, mon pays natal, j’ai fait des études d’ingénieur mécatronique spécialisé dans les dispositifs médicaux, puis un master 1 en physique biomédicale. En 2015, je suis arrivé en France pour faire un master 2 en mécanique numérique à l’Université de Strasbourg… puis une thèse !

J’ai fait une évaluation expérimentale d’un petit dispositif qu’on utilise pour soigner des fractures instables. Par exemple, quand plusieurs morceaux d’os se baladent dans une zone de fracture ! J’ai pu évaluer comment l’une des entreprises spécialisées le développe pour mieux guérir les fractures. C’était vraiment très intéressant.

Une fois ce gros travail de recherche terminé, je comptais prendre une petite pause avant d’entrer dans le monde concret du travail. J’avais juste candidaté chez TwInsight, à Grenoble, et j’ai été pris ! C’est une start-up d’une quinzaine de personnes qui développe des jumeaux numériques biomécaniques. Si des personnes ont besoin de prothèses, on ne va pas utiliser de prothèses universelles, mais plutôt en développer à partir de scanners du patient et de la géométrie 3D. Le logiciel qu’on utilise trouve l’approche et le type de coupe les mieux adaptés aux articulations du patient. Pour l’instant, on se concentre sur le genou, mais ça a vocation à s’étendre un peu partout.

La start-up qui m'a embauché développe des prothèses adaptées à la morphologie des patients

De mon côté, je participe au développement des algorithmes, à la géométrie et à la simulation. J’adore ce côté recherche et développement !

Je n’ai pas eu le temps de souffler entre ma soutenance de thèse, le 14 octobre 2021, et mon entrée dans l’entreprise, le 2 novembre. Mais je fais actuellement ce que je m’imaginais faire ! J’ai eu de la chance, je n’ai eu aucune difficulté à faire des études puis travailler dans mon domaine de prédilection.

J’aime beaucoup mettre la main à la pâte et les défis intellectuels me stimulent énormément. J’ai toujours eu très envie de participer au milieu de la recherche académique ou industrielle, mais développer des choses, c’est vraiment ce qui me passionne le plus… Même si Strasbourg me manque un peu, il faut le reconnaître ! »

Propos recuellis par Z. C.

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