Par Marion Riegert
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Dans les mystères du sceptre de l’Université de Strasbourg

Chaque année, le sceptre ou masse de l’Université de Strasbourg est porté en tête de cortège lors de la cérémonie de remise des prix de thèse et diplômes de doctorat. Quelle est son histoire ? Quand cette tradition est-elle née ? Peu de personnes à l’université détiennent encore les clés de ce mystère perdu au fil des années. Un mystère étroitement lié à l’histoire de l’université elle-même.

La masse est un symbole guerrier et d’autorité qui remonte au Moyen-Age. L’objet, tombé en désuétude en mai 68, est revenu au goût du jour après cette période au côté d’autres traditions académiques, qui donnent à la remise des diplômes un cérémonial très apprécié par les nouveaux docteurs et leurs familles, souligne Annick Dejaegere, vice-présidente déléguée Formation doctorale, qui avoue ne pas en savoir beaucoup plus sur l’historique de l’objet strasbourgeois si ce n’est qu’il s’agit de la masse de la Faculté de théologie protestante. Faculté considérée comme la mère de l’université de Strasbourg, nous apprend Christian Grappe.

Aux origines du sceptre

Après moult recherches, c’est finalement une heureuse trouvaille sur le portail Numistral de cet enseignant-chercheur en Théologie protestante qui lève le mystère. Un texte du docteur Théodore Vetter portant notamment sur les deux sceptres de l’ancienne université de Strasbourg et paru dans le numéro de 1993/1994 de l’Annuaire de la Société des amis du Vieux Strasbourg. L’occasion d’apprendre que le sceptre, déjà utilisé par les rois mais aussi les maitres d’école au temps d’Homère, devient au fil du temps l’emblème de la dignité académique. Dès 1281, la faculté de médecine de Paris en aurait possédé un.

A Strasbourg, le premier sceptre est associé à la création de la Haute-École, devenue le Gymnase Jean-Sturm, en 1538, puis Académie en 1566. Appelé « petit sceptre », il doit remémorer le temps où Maximilien II, (empereur du Saint-Empire : NDLR), répondit au souhait du Sénat en élevant le Gymnase en Académie. Au sommet de la tige hexagonale, il portait trois écus. Les premiers sont aux armoiries de la ville et de l’Académie. Sur le dernier, trois écussons disposés en triangle présentent au sommet les armes de la famille des Wurmser. […] Au sommet de la tige, un petit globe représentant une pomme de grenadier symbolise l’abondance des fruits offerts par l’enseignement.

Le second, appelé le « grand », est réalisé dès l’inauguration de l’université en 1621

Le second, appelé le « grand », est réalisé dès l’inauguration de l’université en 1621. Sur une couronne terminant la tige à cinq pans gravés d’un élégant décor gothique sont disposés cinq écussons. Deux portent les emblèmes de la Cité et de l’université, les trois autres sont aux armoiries de trois familles patriciennes strasbourgeoises. Toute la gloire se concentre en l’efflorescence du sceptre en un lys.

Fondus dans les fourneaux de la Monnaie

Placés sous la surveillance du recteur, les sceptres sont maniés par des bedeaux, sortes de portes-étendards, au moment de cérémonies royales et académiques en ouverture de cortèges. Mais aussi, lors des promotions doctorales, pour le serment solennel après la lecture de la formule propre aux facultés intéressées, celle-ci est reprise par chacun des impétrants qui appose, en même temps, le bout des doigts sur le sceptre présenté par le bedeau.

Après plus de 200 ans de bons et loyaux services, la Révolution française signe leur disparition. Le 11 novembre 1793, le maire de Strasbourg invite les citoyens et professeurs de faire déposer à la Maison commune les bocaux et sceptres dont ils sont possesseurs. Les sceptres et l’argenterie de l’université – d’autres facultés en possédaient – sont fondus dans les fourneaux de la Monnaie de Paris pour soutenir la patrie en difficulté.

Une renaissance sous le premier Empire

Mais le sceptre n’a pas dit son dernier mot. Sous le Premier Empire, l’enseignement rattaché au Ministère de l’intérieur devient une fonction nationale. Le décret du 12 novembre 1803, signé par Napoléon, stipule que les professeurs réunis à l’école, dans leurs fonctions, auront à leurs ordres un appariteur vêtu d’un habit noir, avec le manteau de la même couleur, et portant une masse d’argent…

Portant un globe uni surmontant la hampe terminée par un gland, il présente une sobriété conforme à l’esprit du temps

A Strasbourg, un retour aux coutumes académiques est instauré dès 1804. Un nouveau sceptre en argent, désormais appelé « masse », est créé à l’intention de l’Académie protestante. Portant un globe uni surmontant la hampe terminée par un gland, il présente une sobriété conforme à l’esprit du temps. C’est lui qui se retrouve encore aujourd’hui en tête de cortège, porté par le vice-président étudiant lors de la cérémonie de remise des prix de thèse et diplômes de doctorat, mais aussi lors de celle des docteurs Honoris causa.

En dehors de la masse de Théologie protestante, d’autres masses existent toujours à l’université. A la Faculté de droit, elle est utilisée lors de la cérémonie de remise des prix des majors de promotion. En pharmacie, elle dort dans le bureau du doyen. Et en médecine, la masse portant un serpent sort de son coffret lorsque les candidats au doctorat prêtent serment, main droite au-dessus et main gauche tenant le serment d’Hippocrate. Mais c’est une autre histoire…

Toges et Gaudeamus Igitur, deux autres symboles de tradition

En dehors de la masse, la cérémonie de remise des prix de thèse et diplômes de doctorat est également marquée par la présence de toges portées par les autorités académiques. La toge est l’habit universitaire qui distingue les professeurs. Avant de tomber en désuétude et d’être utilisée uniquement lors de cérémonies, les professeurs la portaient au quotidien, raconte Christian Grappe. Il y a une couleur par discipline, violet pour la théologie, rouge pour le droit et l’économie, jonquille pour la philosophie et les lettres, amarante pour la science et groseille pour la médecine et la pharmacie, ajoute Annick Dejaegere qui précise que le costume est d’origine française et remonte à la fin du Moyen-Age. La symbolique des couleurs a été codifiée par Napoléon 1er.

Chanté au début de la cérémonie, le Gaudeamus Igitur, littéralement « Réjouissons-nous donc », est pour sa part un hymne étudiant du 18e siècle. C’est une survivance de l’époque où le latin était utilisé par les étudiants de différentes nationalités pour communiquer, un peu comme l’anglais aujourd’hui, rapporte Annick Dejaegere.

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