Par Elsa Collobert
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Le Parlement européen, « terrain d'expérimentation » de l'interculturalité et de la démocratie pour 230 étudiants

Comment assurer la sécurité alimentaire et énergétique des Européens ? Fédérer davantage l'union ? A partir de dix problématiques préalablement identifiées, 230 jeunes venus de toute l'Europe et même de plus loin étaient rassemblés à Strasbourg, siège du Parlement européen, à l'occasion de la 2e European Student Assembly (ESA). Objectif : exprimer leur vision de l'avenir du continent. Regards croisés de deux participants, Liamine Mebrouk et Sabine Menu, lui en tant qu’étudiant impliqué dans les panels et l'élaboration des recommandations, elle comme membre du comité de pilotage de l'ESA.

Que retenez-vous de la réunion de l'ESA ?

Sabine Menu, enseignante à l'EM Strasbourg, spécialiste des questions européennes : Les étudiants réunis à Strasbourg, de 70 nationalités différentes, l'étaient autour de la thématique de l'autonomie stratégique de l'Union européenne (UE). Une thématique choisie par eux, au même titre que les 10 déclinaisons en axes autour desquels s'est structuré leur travail en groupes (panels, lire encadré).

A l'issue de ces trois jours, 75 recommandations ont été adoptées, sur les 79 soumises au vote à la majorité simple, chaque panel soumettant une dizaine de recommandations chacun. Parmi celles-ci : une action-cadre européenne pour soutenir la santé mentale de la jeunesse. Ces recommandations expriment l'état d'esprit d'une génération vis-à-vis de l'UE et la direction dans laquelle elle souhaite que celle-ci aille.

Cohésion, durabilité, unité

Ces jeunes se sont fortement impliqués dans l'organisation de l'événement, y imprimant leur patte : comment fédérer l’Europe, au travers de leurs mots, c’est autant parler de cohésion et de durabilité que d’unité. Ou encore organiser une action « no waste » (zéro gaspillage) lors d'un de nos déjeuners.

Évidemment, en tant que comité organisateur, nous avons poussé certains sujets, comme celui sur la réconciliation franco-allemande. C'est finalement l'un de ceux qui a attiré le plus de participants.

A noter que le sujet qui a moins fait consensus était celui de la défense européenne, avec trois recommandations rejetées.

Liamine Mebrouk, étudiant en master Marketing du sport, actuellement en année de césure : Dès que j'en ai l'occasion, j'apprécie de participer à ce type d'événement « hors parcours scolaire », qui permet d'apprendre autrement, dans un autre cadre.

J'ai eu l'impression de revivre en quelques jours un condensé de mon année Erasmus à Madrid : c'était toute l'Europe qui était présente à Strasbourg. Le côté festif évidemment, mais bien au-delà : l'apprentissage de la coopération interculturelle. Dépasser nos façons de penser et de s'exprimer différentes, pour se comprendre, au-delà de la barrière de la langue, qui n'est finalement pas la plus importante. Un vrai terrain d'expérimentation !

Comment cela s’est déroulé ?

L. M. : Le travail de réflexion sur les thématiques a débuté en mars. Comme nous étions tous aux quatre coins de l'Europe, nous nous sommes organisés au moyen d'un groupe de discussion en ligne, nous répartissant le travail. La liberté d'organisation était très appréciable. En arrivant à Strasbourg pour les trois jours d'assemblée, chaque panel disposait d'une dizaine de recommandations en mode « brouillon », fruits d'un consensus entre nous et de la consultation de plusieurs experts.

S. M. : Les groupes disposaient d'une grande autonomie. Je pense qu'ils ont apprécié, au départ, de bénéficier du soutien des étudiants alumni de la précédente édition de l'ESA. Les thématiques ont d'ailleurs été choisies à partir des 90 recommandations émises l'an dernier.

1 400 candidats pour l'édition 2023 (900 l'an dernier)

Le cours destiné à les aider à formuler les recommandations de façon impactante, proposé et organisé par une alumni, a été très apprécié de ceux qui ne sont pas familiers de la thématique, comme en écoles d’ingénieur. Ça fait partie de la richesse de l'événement : tous ces étudiants de disciplines différentes, qui apprennent les uns des autres.

Quelles étaient vos motivations pour participer ?

L. M. : Depuis que j'ai suivi le cours de Sabine Menu « European integration history from a transnational perspective », proposé avec l'Université de Poznan, dans le cadre du programme EPICUR, j'ai commencé à développer un intérêt pour la thématique de l'enseignement supérieur et du développement des compétences dans une perspective européenne. C'est donc logiquement que j'ai rejoint le panel 10.

Je m'implique aussi dans le bureau étudiant d'EPICUR, et je m'intéresse aussi de plus en plus à l'Europe « en action » : après l'ESA, j'ai pris part à l'European Youth Event (EYE).

Tout part en fait de mon expérience Erasmus : c'est en sortant de ma zone de confort que j'ai compris que toute expérience, qui touche de près ou de loin aux études, est bonne à prendre.

Quand j'ai vu que l'ESA se déroulait au Parlement européen, j'ai compris que le travail serait valorisé, que ce n'était pas juste un faire-valoir. Cela m'a décidé à candidater. Et je n'en suis pas déçu ! Ce genre d'expérience contribue à la construction d'une citoyenneté européenne.

S. M. : Quand l’Université de Grenoble-Alpes et Sciences Po Paris ont proposé à l'Unistra d'organiser un tel événement à Strasbourg, dans le cadre de la Conférence européenne sur l’avenir de l’Europe (en 2021), je n'ai pas hésité à rejoindre l'aventure. J'y ai vu une formidable opportunité de mettre en pratique les universités européennes. Basée à Bruxelles, j'assure une mission de suivi de ces alliances. Cela donne à voir concrètement le fonctionnement de la démocratie européenne, dont on ne parle vraiment pas assez, en particulier aux jeunes. Les implications sur nos vies sont pourtant énormes, qu’on pense à la protection de nos données, notre alimentation, ou encore à la dette commune et au Pacte vert...

Quelles suites concrètes ?

S. M. : Nous avons tenu à éditer très rapidement les recommandations, qui sont d'ores et déjà en ligne. Elles sont traduites en anglais, en français et en allemand, et le seront encore dans d'autres langues, si nous le pouvons. L'idée est qu'elles essaiment le plus possible, jusqu'au niveau le plus local de l'union. A ce titre, les étudiants en sont les meilleurs ambassadeurs !

L'ESA est organisée par l'European Universities Community et reçoit le soutien de l'Université franco-allemande (UFA)

75 recommandations pour le futur

Panel 1 - Démocratie délibérative vs démocratie représentative : comment réduire le fossé entre les citoyens et les décideurs politiques et créer une Europe plus unie ?

Panel 2 - Leçons du passé : comment l'histoire de la réconciliation franco-allemande peut-elle servir de modèle pour surmonter les conflits et construire l'unité ?

Panel 3 - Energie : Comment garantir un accès équitable et durable à l'énergie en Europe à différents niveaux ?

Panel 4 - Le goût de l'Europe : améliorer le plan "De la ferme à l'assiette"

Panel 5 - Mieux prendre soin les uns des autres : quelle devrait être l'approche européenne de la santé mentale ?

Panel 6 - Transition numérique durable : répondre à un monde en mutation

Panel 7 - Intégration de la sécurité et de la défense pour faire face aux défis mondiaux

Panel 8 - Villes du futur : comment les villes durables pourraient-elles contribuer à l'autonomie européenne et au bien-être des personnes

Panel 9 - Excellence vs inclusion ? Comment les institutions d'enseignement supérieur européen peuvent-elles offrir un accès plus inclusif aux compétences et aux connaissances ?

Panel 10 - Année européenne des compétences : quel rôle les établissements d'enseignement supérieur peuvent-ils jouer dans la réduction du déficit de compétences en Europe ?

Adresse de Michel Deneken, président de l’Unistra et de l’alliance EPICUR, aux étudiants de l’ESA, mercredi 31 mai 2023

Citation

Je suis très heureux de vous accueillir ici, à Strasbourg, siège du Parlement européen.

L’endroit idéal pour donner tort aux esprits chagrins, ces politiciens, pas seulement en Hongrie et en Pologne, qui font de l’Europe un punching-ball, agitant les sirènes de l’immigration, de l’inflation, de l’identité. Ou cet ancien président américain, ironisant sur l’Europe, ce ‘vieux continent’.

Ici, à Strasbourg, où les hommes se sont fait la guerre durant des siècles, les drapeaux se succédant – ma grand-mère a changé quatre fois de nationalité sans jamais changer de domicile ! Où l’université a été fondée protestante et allemande, au 16e siècle, reprise le siècle suivant par les Français et les catholiques. C’est ici, où la guerre a été si forte, que nous pouvons réellement expérimenter une paix durable, cimentée autour du projet européen qui puise à nos racines communes, solidement ancrées sur chaque rive du Rhin.

Je réponds que l’Europe est le berceau de la démocratie, du droit, de l’humanisme. Les plus grandes démocraties mondiales puisent leurs origines à cette double source, grecque et romaine. Quand je vous vois, j’en suis convaincu, l’Europe est loin d’être un vieux continent.

L’Europe n’est pas un punching-ball, mais un trampoline, pour sauter plus haut, dire oui à la vie, à un projet d’avenir. Certes, un avenir complexe, non sans défis, écologique, économique. Une véritable ‘crise de civilisation’, pour paraphraser Edgar Morin. Mais quelle meilleure réponse à la haine, au racisme, au nationalisme, à l’anxiété, l’éco-anxiété, que le programme Erasmus (et son million de bébés !) créé voilà plus de 30 ans ?

Vous n’êtes pas que le futur de l’Europe, vous êtes son présent

Quelle meilleure réponse que le projet européen, que vous contribuez à rendre vivant, en vous engageant aujourd’hui, en tant que citoyens européens impliqués. Je suis optimiste quand je vois votre volonté d’être ici, réunis à Strasbourg. Vous n’êtes pas que le futur de l’Europe, vous êtes son présent, dans toute sa diversité.

Montrez-vous audacieux, dépassez vos préoccupations nationales, parlez la langue de l’autre !

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