Par Marion Riegert
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Jean-Jacques Madianga, parcours du premier docteur du programme Pause

Après avoir été victime d’intimidations dans son pays, Jean-Jacques Madianga, avocat et professeur de droit, fuit le Congo direction l’Allemagne puis la France où il effectue une thèse au sein de l’Institut de recherche Carré de Malberg (IRCM). En 2019, il intègre le Programme national d’accueil en urgence des scientifiques en exil (Pause) qui finance la fin de ses études. En janvier 2023, lors de sa soutenance, il devient le premier docteur de l'Université de Strasbourg du programme.

Précis, carré, rigoureux comme l’exige sa profession, Jean-Jacques Madianga énonce les faits, année après année, qui ont mené à son exil. Tout bascule fin 2014. Le président de la République de l’époque, dont le mandant expire en 2016, désire rester au pouvoir pour un troisième mandat en violation de la constitution.

Après avoir repris ses études de droit et passé le barreau pour être avocat, Jean-Jacques Madianga est alors assistant d’enseignement en droit constitutionnel dans une université publique en République démocratique du Congo. J’ai fait des commentaires sur cette dérive dans le cadre d’un de mes cours. J’ai su après qu’il y avait des agents du renseignement déguisés en étudiants. Des coups de fils anonymes, des menaces s’en sont suivies.

En septembre de la même année, l’ancien professeur de littérature prend part à une initiative d’intellectuels congolais se battant pour le respect de la constitution. Un mois plus tard, il est attaqué à son domicile. Des hommes armés m’ont menotté et bandé les yeux. J’ai déposé une plainte contre X qui n’a jamais abouti. Je pense que c’était une tentative d’intimidation de la part des partisans du troisième mandat du président de la République, mais je n’ai aucune preuve. J’ai ensuite reçu des coups de fils disant "Cette fois nous aurons ta peau."

De l’Allemagne à la France

Alors que l’avocat fait profil bas, un ami congolais étudiant à Würzburg en Allemagne parle de la situation à son directeur de thèse. Ils parviennent, dans le cadre d’un partenariat, à faire venir Jean-Jacques Madianga sur place pour un séjour de recherche. Nous sommes en février 2015, je ne connaissais pas la langue, mon niveau n’était pas suffisant pour débuter une thèse.

Il décide alors de poursuivre son parcours migratoire dans un pays francophone. Il opte pour Strasbourg, ville qui abrite la Cour européenne des droits de l’Homme. Ne parvenant pas à intégrer directement un doctorat, Jean-Jacques Madianga s’inscrit en master de droit international et européen.

La chance lui sourit une nouvelle fois grâce à des examens auxquels il ne peut pas se présenter. J’étais en Allemagne, j’ai raté mon train. Lorsque la gestionnaire du master m’a reçu suite à cette absence et a vu mon CV, elle m’a conseillé d’écrire à Florence Benoît-Rohmer. Cette dernière lui propose de diriger sa thèse qui débute en 2017 au sein l’Institut de recherche Carré de Malberg.

J’aimerais modestement, à mon niveau, bouger les lignes

Jean-Jacques Madianga travaille sur l’influence de la Cour européenne des droits de l’Homme de Strasbourg sur la Cour d’Arusha, l’équivalent en Tanzanie. Sans financement, les débuts sont difficiles, mais au bout de trois ans, une éclaircie se profile. « Ma directrice de thèse a entendu parler du programme Pause ». Après un temps de vérifications, son dossier est accepté en avril 2019. L'avocat obtient ainsi un financement pour sa thèse et bénéficie de formations pour travailler en entreprise, sans oublier des temps d’échanges avec d’autres chercheurs en exil.

J'ai pu passer toutes mes journées à la bibliothèque, sourit le chercheur qui soutient fin janvier 2023. Objectif maintenant : retourner au Congo le plus rapidement possible, pour cinq mois d’abord, où un poste de professeur associé l’attend. Il faudra bien les affronter sur le terrain. Si tout se passe bien, lors de son retour en France en juillet, il fera ses valises de manière définitive.

J’aimerais que les jeunes qui croisent mon chemin comprennent que c’est à eux de choisir le pays dans lequel ils veulent vivre et qu’ils peuvent tout changer

Son rêve ? Mener de front le métier d’avocat et d’enseignant-chercheur. L’état de la justice du pays est désastreux, j’aimerais modestement, à mon niveau, bouger les lignes de l’appareil judiciaire notamment en faveur du droit des femmes. A l’université, je pourrai agir sur la jeunesse. J’aimerais que les jeunes qui croisent mon chemin comprennent que c’est à eux de choisir le pays dans lequel ils veulent vivre et qu’ils peuvent tout changer.

Le programme Pause

Créé le 16 janvier 2017, le Programme national d’aide à l’accueil en urgence des scientifiques en exil (Pause) accorde des financements incitatifs aux établissements d’enseignement supérieur et aux organismes de recherche publics projetant de recruter des scientifiques en situation d’urgence et de les accompagner dans leur insertion professionnelle et personnelle. Plus de 200 chercheurs en exil ont pu bénéficier du soutien du programme. Les candidats doivent avoir le statut de doctorant ou d’enseignant chercheur dans leur université d’origine, justifier d’une situation d’urgence et être encore dans leur pays ou l’avoir quitté depuis moins de trois ans.

L'Université de Strasbourg enregistre une dizaine de chercheurs en exil. En choisissant de leur venir en aide, elle les accompagne également dans leur insertion professionnelle. Pour Marie Deroche, référente Unistra du programme Pause, la soutenance de Jean-Jacques Madianga constitue une très grande fierté non seulement pour lui et son unité de recherche, mais elle rayonne aussi sur toute l'université qui soutient de façon très engagée les étudiants et les chercheurs en situation d'exil.

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