Par Elsa Collobert
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Deux chercheurs partagent leur nom... et leur sujet d'étude !

Ils s’appellent tous les deux Philippe Georgel. L’un vit en France, à Strasbourg, l’autre aux Etats-Unis. Et ils sont tous les deux chercheurs… en génétique. Quelques jours après le 1er avril, la tentation de croire à une blague est forte, si ce n’est… que tout est vrai ! La coïncidence était trop belle pour les deux chercheurs, qui ont récemment signé un article en commun.

Que des couples de chercheurs signent ensemble un papier, ce n’est pas rare. En revanche, un article écrit en commun par un binôme d’homonymes… à ma connaissance, c’est unique !, sourit Philippe Georgel dans son bureau strasbourgeois du Centre d’hématologie et d’immunologie, à l’Hôpital civil.

Le chercheur en génétique de l’UMR_S 1109 (Inserm/Unistra) partage bien des choses avec son homonyme d’outre-Atlantique, enseignant-chercheur au Département de biologie de l’Université Marshall (Huntington, Virginie-Occidentale). On aime tous les deux courir de longues distances, la randonnée et faire de la moto. On a tous les deux épousé des femmes d’ascendance germanique. On a chacun deux enfants. Pris un par un, ce ne sont que des épiphénomènes. Mis bout à bout, ça commence à faire beaucoup.

A peine croyable

Là où les coïncidences deviennent à peine croyables, c’est qu'on mène des recherches dans des domaines vraiment très proches, souligne encore « le » Philippe Georgel strasbourgeois. Il y a une trentaine d’années, des collègues ont commencé à m’interroger sur des publications signées "Philippe Georgel", mais qui n’étaient pas les miennes, raconte « l’autre » Philippe Georgel, depuis les Etats-Unis. Il s’y est durablement installé suite à son post-doctorat, après des études en Poitou-Charentes, sa région d’origineC’était pourtant dans mon domaine de recherche, ça aurait été plausible que ce soit moi. Pour éviter toute confusion dans la communauté scientifique, son directeur de thèse d’alors, à Oregon State University, le rebaptise, à l’américaine, insérant l’initiale "T", piochée au hasard dans le dictionnaire, entre mon nom et mon prénom.

C’est à peu près à cette époque qu’on a eu nos premiers contacts, évalue son homologue strasbourgeois. On s’est alors dit que ce serait drôle, un jour, de publier ensemble. Chacun continue sa propre trajectoire de vie et ses recherches. Deux lignes parallèles, se croisant parfois de façon troublante. Après mon doctorat, j’ai d’abord travaillé sur la chromatique aux côtés de Pierre Chambon. Puis, en travaillant pour Jules Hoffmann, j’ai bifurqué vers la génétique… et lui aussi ! On s’est même rendu compte qu’à une époque, on aurait pu se retrouver dans le même laboratoire pour un contrat post-doctoral, aux États-Unis !, raconte le Strasbourgeois. Les deux homonymes et homologues restent en contact, épisodiquement, au gré de leurs travaux de recherche et publications, un œil chacun sur la carrière de l’autre.

Combinaison des deux spécialités

C’est finalement la pandémie qui leur donne enfin l’occasion de travailler ensemble. On s’est appelés pour voir de quelle manière nos travaux pouvaient se rejoindre. Leur article, écrit en moins d’un mois grâce au temps laissé libre par le confinement, est accepté par la revue Frontiers in Immunology, publié à l’automne 2021.

L’ordre des auteurs n’a pas tellement compté

Une véritable contribution commune de rupture à la science, combinaison de nos domaines de compétences : moi mes connaissances sur la goutte, acquises dans mon laboratoire strasbourgeois et lors d’un sabbatique (congé de recherche) en Nouvelle-Calédonie, où la maladie est très courante. Lui, qui s’est spécialisé en épigénétique, le rôle de l’environnement et notamment de l’alimentation dans la modification de l’expression de certains gènes. Leur thèse : l’influence d’une alimentation trop riche, communément admise, est marginale par rapport aux facteurs génétiques.

L’ordre des auteurs n’a pas tellement compté, précise le Strasbourgeois, qui s’amuse à l’idée de la confusion générée pour les lecteurs de l’article.

Chaos et sérendipité

Pour le Philippe Goergel des Etats-Unis, cette incroyable succession de hasards qui les rapprochent n’est qu’une expression du chaos, de la sérendipité chère à la science. Son homonyme évoque, lui, une situation peut-être pas si rare dans le monde, mais que les individus ont sûrement rarement l’occasion de constater.

Le plus fou, c’est qu’ils ne se sont encore jamais rencontrés ! On s’est plusieurs fois manqués, alors que lui était de passage en France, mais moi aux États-Unis, souligne le Strasbourgeois. Il se remémore avec humour cette fois où mon homonyme est intervenu à l’Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire (IGBMC), en 2005… à la plus grande confusion de mes collègues !

Avant que chacun ne prenne sa retraite (le Strasbourgeois a 58 ans, l’Américain 60), la rencontre pourrait bien avoir lieu : Philippe m’a invité à intégrer le conseil scientifique du Centre d’épigénétique dont il prendra bientôt la direction aux États-Unis… L’occasion pour les deux Philippe Georgel de randonner ensemble… ou de poursuivre leur conversation autour d’un verre de vin ou de bière ! Il semble que là, nos goûts divergent… En tous les cas, on attend ça avec impatience !

Avant de partir...

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