Par Elsa Collobert
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Comment le Strasbourgeois Robert Frank a révolutionné la chirurgie dentaire

A l’occasion de ses 50 ans, la Faculté de chirurgie dentaire va prendre son nom : à partir du 24 mars, elle s’appellera « Faculté de chirurgie dentaire - Robert Frank ». Bien connu des chirurgiens-dentistes, du fait de son action en faveur notamment de la prévention des caries, il l’est moins du grand public. Retour sur le parcours d’un grand nom de la médecine bucco-dentaire.

Un leader, un visionnaire, un créateur, un homme inspirant, un mentor, un enseignant, un ami. Dans un article paru dans la revue de l’International Association for Dental Research (IADR) il y a deux ans, Corinne Taddéi-Gross, Anne-Marie Musset, Youssef Haïkel et Agnès Bloch-Zuppan, tous professeurs d’université-praticiens hospitaliers (PU-PH) à la Faculté de chirurgie dentaire (Corinne Taddéi-Gross en est aussi la doyenne) ne tarissent pas d’éloge sur Robert Frank. Il faut dire que l’homme (1924-2020), premier doyen de la Faculté de chirurgie dentaire de Strasbourg, s’illustre par un parcours exceptionnel.

Artisan de la prévention de la carie dentaire

Parents et enfants peuvent lui dire merci : il est l’un des principaux artisans de la baisse de la prévalence des caries en France, au cours des années 1980. Son coup de génie : proposer au gouvernement d’introduire la vente de sel fluoré, bien connu dans la prévention de cette affection de la dent.

Comme aucune donnée sur l’incidence des caries dentaires chez les enfants français n’était disponible, il lance avec Pierre-Michel Cahen deux enquêtes épidémiologiques nationales, qui font référence.

Sa vision et ses actions visent à promouvoir des soins centrés sur le patient. Premier chercheur français à comprendre l'importance de l'épidémiologie orale, il valorise les approches préventives et fondées sur les preuves, pour améliorer la prise en charge des maladies bucco-dentaires.

Une expertise unique des biomatériaux, pour ce que l'on appelle aujourd'hui la « médecine régénérative »

Un précurseur

A la pointe de la science, Robert Frank développe une plateforme dédiée à l'analyse histologique des tissus calcifiés et non calcifiés de la dent, avec une expertise unique des biomatériaux utilisés, pour ce que l'on appelle aujourd'hui la « médecine régénérative ».

Dès 1947, dans son premier laboratoire, il étudie les tissus calcifiés grâce au tout nouveau Microscope électronique à transmission (MET), fabriqué par Philips. Ses équipes sont les premières à mettre au point des techniques permettant de découper de fines sections de tissus calcifiés tels que l'émail, puis de les étudier de manière fiable et reproductible. A partir de 1967, il acquiert son propre MET Philips EM200. Il s'entoure de microbiologistes, chimistes, biophysiciens et chercheurs en épidémiologie, venus du monde entier. En 1987, il acquiert l’équipement de pointe dans son domaine : un MET à haute résolution.

Premier doyen de la Faculté de chirurgie dentaire

Doté d’une forte personnalité, Robert Frank concourt à créer, développer et soutenir l'enseignement supérieur dans le domaine de la médecine bucco-dentaire. Il met son énergie à faire reconnaître sa faculté conjointement par l'université et l’hôpital, ce qui est chose faite en 1970, année de la création de la faculté. La même année, il devient le premier doyen de l'Unité d'enseignement et de recherche (UER, structuration qu’il contribua à mettre en place) de l'Université de Strasbourg (alors Louis-Pasteur), et ce jusqu'en 1992.

Il imprime sa marque à tous les niveaux, de la conception et la construction de salles de cours et de laboratoires, à la direction de programmes de recherche, sans oublier l’encadrement de carrières de jeunes confrères et consoeurs.

Un rayonnement qui va bien au-delà des frontières de sa ville, ou même de l’Alsace.

Ce que l’odontologie française lui doit

Sur le plan national, Robert Frank a joué un rôle déterminant, mettant fin aux écoles dentaires privées et instituts dentaires rattachés aux facultés de médecine, via la création des UER en odontologie (futures Unités de formation et de recherche-UFR). En 1965, il fait partie de la première commission nationale consultative chargée de mettre en place les réformes avec la création, pour la première fois, d'un corps enseignant en odontologie dépendant des ministères de l'Enseignement supérieur et de la Santé, ainsi que la création d'un troisième cycle.

Il a également été le premier président de la section d'odontologie du Conseil national des universités (CNU) et a présidé la Conférence des doyens en odontologie (1983-1987).

Une vision microscopique du monde

A sa retraite, Robert Frank a poursuivi son engagement à faire progresser l’humanité, cette fois-ci à travers la peinture.

En 2006, il se lance dans le domaine du « nanoart », peignant sur toile, à l’huile, des particules microscopiques, représentation figurative respectant la réalité observée lors de ses recherches en microscopie électronique. En 2008, il propose même à l'Institut national de la propriété industrielle (Inpi) de déposer un copyright sur le concept de nano-painting.

Robert Frank en 5 grandes dates

1958 Il passe un an à la Harvard School of Dental Medicine de Boston, dans le laboratoire du professeur Sognnaes, dans le cadre de l’obtention d’une bourse Fullbright. Déjà, en 1952, une bourse du British Council lui avait permis de fréquenter l’Eastman Dental Hospital (Londres) et la Manchester School of Dentistry.

1963 Plusieurs personnalités de la recherche dentaire européenne se réunissent à Strasbourg pour créer la division Europe continentale de l'Association internationale de recherche dentaire (IADR), à l’initiative de Robert Frank. Son premier congrès se tient l’année suivante, dans la capitale alsacienne.

1968 Robert Frank crée le Centre de recherche dentaire, affilié au CNRS puis à l’Inserm, qui fonctionnera jusqu’en 1990, et qui continue d’évoluer de nos jours.

1992 Réception du doctorat honoris causa de l’Université d’Helsinki (Finlande). Robert Frank est aussi docteur honoris causa de six autres universités (Genève, Athènes, Philadelphie, Alabama de Birmingham, Erlangen-Nuremberg, Aarhus).

7 août 2020 Décès, à l’âge de 96 ans.

La faculté célèbre ses 50 ans d’existence le 24 mars

Jeudi 24 mars, la Faculté de chirurgie dentaire de l’Université de Strasbourg sera officiellement renommée du nom de son fondateur et premier doyen. Une décision validée par le conseil d’administration de l’Unistra, le 8 mars. Un riche programme scientifique a été établi pour l’occasion, ponctué d’interventions de spécialistes de l’odontologie, notamment du professeur Jukka H. Meurman, d’Helsinki (« Does dental infection have an impact on general health? »), honoris causa de l’Unistra, ainsi que de plusieurs enseignants et praticiens strasbourgeois.

L’histoire de la Faculté de chirurgie dentaire révèle avant tout une belle aventure humaine, née de l’audace de quelques pionniers menés par un visionnaire, Robert Frank, souligne Michel Deneken, président de l’Université de Strasbourg. En 50 ans, la faculté a su conforter son autonomie et sa place dans le paysage universitaire et hospitalier, complète Youssef Haïkel, PU-PH et doyen honoraire.

L’aura de notre faculté est liée entre autres à son histoire qui trouve son origine dans le cadre de l’Université allemande en 1887, avec la création de l’Institut dentaire de la Faculté de médecine sur le site actuel. La première clinique dentaire scolaire au monde y est créée en 1902 et la recherche en odontologie est initiée dix ans plus tard, rappelle Corinne Taddéi-Gross, son actuelle doyenne.

Ses activités sont aujourd’hui indissociables du Pôle de médecine et chirurgie bucco-dentaires, rattaché aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg et réparti sur quatre sites.

Ceux qui ont succédé à Robert Frank n’ont rien lâché de l’esprit du service public, reprend Michel Deneken. Aujourd’hui, la faculté quinquagénaire continue de rayonner par ses enseignants-chercheurs, ses praticiens, avec la force de la recherche strasbourgeoise, avec l’Inserm et les HUS. […] N’oublions pas les fidèles de la première heure : les donateurs, nombreux, la fondation de notre université, les alumni, les collectivités locales et territoriales, la Région, le Département, l'Eurométropole, la Ville. Ni l’amicale des étudiants, septuagénaire.

Chiffres-clés

En 2022, la faculté compte 358 étudiants en formation initiale, 89 en master, et 96 en formation post doctorale, encadrés par 49 hospitalo-universitaires, 7 enseignants-chercheurs et 22 personnels techniques et administratifs. Fortement impliquée dans la formation initiale et continue des chirurgiens-dentistes, elle propose 7 diplômes d’université.

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