Par Elsa Collobert
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Voter autrement pour voter plus sincèrement ?

Classer les candidats à la présidentielle selon un barème de notes ou d’appréciations ; conserver son ou ses favoris, écarter les autres… Cette simulation, près de 1 000 électeurs du bureau de la Bourse s’y sont livrés, lors du premier tour de l’élection, le 10 avril dernier. Une expérimentation riche d’enseignements pour les chercheurs. Les explications d’Herrade Igersheim, du Bureau d’économie théorique et appliquée (BETA).

Quelle est la méthodologie de cette expérimentation ?

2012, 2017 et 2022. Lors des trois dernières élections présidentielles, les électeurs du bureau de vote de la salle de la Bourse (Strasbourg centre) ont pu voter deux fois : une première, officielle. Et une seconde, sous la supervision de chercheurs, leur proposant de tester des modalités de vote alternatives. Ils sont en moyenne 50 à 60 % à se prêter au jeu. Ce qui dénote déjà un certain intérêt pour la politique de leur part de ces volontaires, souligne Herrade Igersheim. La chercheuse, économiste au Bureau d’économie théorique et appliquée (BETA – dont elle est par ailleurs directrice adjointe), travaille sur la manière dont sont influencés les choix individuels, et sur le vivre-ensemble.

Selon les années, nous adaptons le protocole de recherche. Tous les modes de scrutin alternatifs ne sont pas forcément testés en même temps, ni tous les bureaux de vote impliqués : « Cette année, nous avons ajouté le jugement majoritaire (voir encadré), et l’expérimentation n’a été menée qu’à Strasbourg » – elle l’avait été dans quinze bureaux de vote en 2017, en Alsace, Normandie et Auvergne-Rhône-Alpes*. Pour les votes par note, l’échelle des notes est également affinée au fil des scrutins. L’un des objectifs étant aussi de comparer les modes alternatifs de vote entre eux. Tous ont pour point commun de se dérouler en un seul tour de scrutin.

Dans quel cadre se déroule-t-elle ?

L’expérimentation, qui se déroule dans le cadre du projet de recherche « Voter autrement », a pour but de mieux comprendre le rôle que joue le mode de scrutin dans le choix des électeurs. Loin d’être neutre, celui-ci façonne la manière dont l’électeur s’exprime.

Notre système électoral, dominé par le scrutin uninominal à deux tours, est aujourd’hui loin d’être idéal pour la bonne expression des électeurs. Parmi les critiques qui lui sont régulièrement adressées : Il contribue à accentuer la polarisation de la vie politique. Et à faire progresser l’idée de "vote utile". De plus en plus accepté par les candidats, celui-ci est subi par les votants. En incitant les électeurs à voter de façon stratégique, plutôt que selon leurs convictions profondes, et même parfois à l’encontre de celles-ci, elle ne les rapproche pas des urnes, voire même désincite le vote.

Quels enseignements en sont tirés ?

Nos expériences de scrutins multinominaux permettent de sortir de la logique du candidat unique. En 2017, chaque participant au vote avait approuvé en moyenne 2,5 candidats. Résultat : ce sont les candidats les plus consensuels (ce qui ne veut pas dire les plus centristes !) qui sortent des urnes, les plus clivants ou ceux suscitant la polémique étant écartés. En 2007, c’était « le 3e homme », François Bayrou, qui avait tiré son épingle du jeu. François Hollande remportant la majorité des scrutins en 2012, puis l’ « insoumis » Jean-Luc Mélenchon, en 2017, fortement favorisé par les modes alternatifs.

28 % : c'est le taux d’abstention à la présidentielle 2022, en progression de 2,5 points par rapport à 2017.
Ce alors même que c’est l’élection la plus mobilisatrice, raison pour laquelle on l’a choisie pour notre expérimentation

En permettant une plus large expression des votants, ces scrutins pourraient constituer une solution pour endiguer le phénomène de l’abstention et résoudre la question du vote blanc, non-comptabilisé aujourd’hui.

Le fait que plus de 80 % des participants déclarent apprécier le vote par approbation nous conforte dans notre intuition.

Mettre en place un vote alternatif, c’est possible ?

Les expériences de vote alternatif des chercheurs français ont fait des émules : des initiatives similaires ont été mises en place en Allemagne et au Bénin. Les Etats-Unis ont même été plus loin, en adoptant le vote par approbation suite à un référendum, aux élections municipales à Saint-Louis (Missouri), en 2020, et Fargo (Dakota du Nord), en 2018.

Et en France ?

Nos travaux visent à faire passer le message qu’il n’y a pas de fatalité à la crise politique actuelle. Des solutions existent pour favoriser un vote plus sincère. Travaillant main dans la main avec des spécialistes des sciences politiques, les économistes sont persuadés que des aménagements au système électoral actuel peuvent être trouvés, et pas forcément dans le cadre d’une nouvelle constitution.

Si certains petits partis ont pu à l’occasion porter cette revendication, dans le cas des partis traditionnels, c’est plus compliqué : cela n’est pas forcément dans l’intérêt des candidats, puisque que c’est leur légitimité même qui est remise en cause. Ils pourraient aussi se voir accusés de profiter d’un mode de scrutin qui les avantagerait. Le mouvement pour exiger ces changements devrait plutôt provenir de la base, de citoyens. En récoltant des données, nous souhaitons apporter notre contribution au débat.

Et quel système serait alors optimal ?

Nous ne prétendons pas avoir découvert la panacée. Mais il semble que le vote par approbation réponde à un certain nombre de maux actuels. Le tout dans un système respectant le sacro-saint principe une personne = un bulletin. Convaincue que la simplicité du vote participe à l’adhésion des votants, Herrade Igersheim ajoute que ce système est aussi le plus simple à comprendre, puisque c’est la simple addition du nombre d’approbations pour chaque candidat qui détermine le gagnant, et non la mention médiane dans le cas du jugement majoritaire, plus complexe à saisir pour les électeurs.

Lire/voir aussi :

* En plus du BETA, les autres laboratoires associés à l’expérimentation sont le Centre de recherche en économie et management (CREM, CNRS/Normandie Université), le Groupe d’analyse et de théorie économique Lyon Saint-Etienne (GATE L-SE, CNRS/Université de Saint-Etienne) et Paris Dauphine (LAMSADE, CNRS)

Les trois modes de scrutin alternatifs testés

Le vote par note : L’électeur évalue les candidats en accordant à chacun une note, selon une échelle pré‐déterminée, (ici – 0, 1, 2, 3, 4). La même note peut être attribuée à différents candidats. Chaque candidat se voit donc attribuer des points par chaque électeur : le candidat ayant le plus grand nombre de points est élu.

Le vote par approbation : Au lieu de noter tous les candidats, un électeur indique simplement ceux qu’il souhaite soutenir, ceux qu’il « approuve » ; il écarte alors les autres. Un électeur peut ainsi donner son soutien à un seul candidat, à plusieurs ou à aucun. Le candidat ayant réuni le plus grand nombre de soutiens est élu.

Le jugement majoritaire : L’électeur évalue les candidats en leur attribuant l’une des mentions proposées (ici : A rejeter, Insuffisant, Passable, Assez bien, Bien, Très bien). L’électeur peut ainsi nuancer ses choix. A l’issue du vote, on calcule la « mention majoritaire » de chaque candidat, c’est‐à‐dire la mention médiane, telle qu’au moins 50 % des votants lui ont attribué cette mention ou une meilleure mention. Le candidat élu est celui qui obtient la meilleure « mention majoritaire ». Exemple : la Primaire populaire.

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