Par Elsa Collobert
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Un stage de mathématiques et informatique pour susciter des vocations chez les jeunes filles

Résoudre des problèmes le matin, se détendre l'après-midi, pendant les vacances de la Toussaint, le tout dans un village de vacances des Vosges : 25 lycéennes issues de tout le Grand Est et même d'Allemagne ont relevé le défi ! A la clé pour les organisateurs, issus de trois laboratoires de recherche des universités de Strasbourg et de Lorraine* : désamorcer les appréhensions liées à ces enseignements et faire tomber les barrières à l'orientation liée au genre.

Personnellement, ce stage m'a enrichie énormément car on se dit qu'on peut avoir confiance, qu'il y a des femmes qui ont réussi dans ces domaines, que ce n'est pas qu'un truc de gars, témoigne Ozanne. Eryne, de son côté, a pris conscience qu'il y avait aussi des femmes brillantes en mathématiques et informatique, pas seulement Pythagore et Thalès.

Si l'on en juge d'après les témoignages de ces deux lycéennes, les objectifs affichés par les organisateurs du stage qui s'est tenu du 22 au 27 octobre derniers, à Ramonchamp (Vosges) ont été pleinement atteints. Et même au-delà de nos espérances, se félicite Clémentine Courtès, enseignante-chercheuse en mathématiques au sein de l'Irma (Université de Strasbourg), qui fait partie de l'équipe organisatrice du stage, baptisé « Les Cigognes » (lire encadré).

Parmi leurs objectifs : Participer à la diffusion de la culture et de l'esprit scientifique, tout en luttant contre la désaffection des femmes pour les mathématiques et l'informatique – en 2016, sur quatre ingénieurs de moins de 30 ans, seule une est une femme. Une désaffection qui commence tôt, seules 19 % de filles parmi les élèves de classe de 1ère choisissant la spécialité Numérique et sciences informatiques (NSI), et semble même s'accentuer depuis la dernière réforme du lycée. Clémentine Courtès (Irma, Université de Strasbourg), Marie Duflot-Kremer (Loria, Université de Lorraine), Anne de Roton (IECL, Université de Lorraine), Pierre Py (CNRS, Université de Strasbourg jusqu’au 31/08/2023 puis Université de Grenoble) et Samuel Tapie (IECL, Université de Lorraine) ont donc décidé de prendre le problème à la racine.

Lutter contre l'autocensure

Nous avons pris soin de sélectionner des profils variés, et de nous baser sur les lettres de motivation plutôt que sur les notes. Une quarantaine de candidatures ont été reçues, pour 25 places. Au final, dix élèves de 2nde, quatorze de 1ère et une de Tle ont participé au stage, issues de lycées de secteurs très variés (Metz, Nancy, Colmar, Strasbourg, Bouxwiller, Lunéville, Remiremont, Thann, Guebwiller, Saint-Dié-Des-Vosges, Vésoul, Fribourg-en-Brisgau) : Ce large recrutement nous permet de toucher des élèves issues de milieux ruraux, plus éloignées des études scientifiques.

L'idée du stage n'était pas de trouver à tout prix les Marie Curie de demain, mais de montrer aux jeunes filles que les métiers des mathématiques et de l'informatique, que ce soit dans la recherche académique ou dans le secteur privé, leur sont aussi ouverts. Nous voulions lutter contre l'autocensure qu'elles ont trop tendance à s'imposer dans les matières scientifiques et leur montrer que les options mathématiques et NSI en classe de 1ère leur sont tout à fait accessibles.

Les mathématiques dans la vraie vie ?

Le programme de la semaine avait été particulièrement soigné pour ne pas être indigeste. Les matinées étaient consacrées au travail de réflexion sur des problèmes, pour certains encore ouverts (géométrie, parallélisme en parallélisme, arithmétique, probabilités...), en groupe, loin du programme scolaire. Une restitution a eu lieu en fin de stage, devant les familles. D'autres activités scientifiques étaient organisées : des temps d'échanges et de témoignages de femmes scientifiques, des conférences généralistes (« A quoi servent les mathématiques dans la vraie vie ? », « Détecter les nouvelles pollutions de l'air au moyen de l'informatique »), des ateliers interactifs (« Comprendre l'intelligence artificielle », « Comprendre l'importance des nombres premiers », « Comment paver un rectangle au moyen de carrés ? »). Une après-midi était consacrée à un atelier sur les stéréotypes garçon-fille, avec des échanges très intenses et des témoignages très personnels. Un questionnaire créé par une sociologue a permis d'aborder les motivations à participer au stage et l'éventuel impact futur sur leur choix d'études.

La semaine a aussi été ponctuée d'activités ludiques et récréatives : yoga, pilates, atelier d’expression corporelle, soirée escape game (basée sur l'informatique), soirée « informagie » (avec des tours de magie dont les astuces reposent sur de l'informatique et des mathématiques), une projection d'un film (Secret of the surfaces, sur la vie de Maryam Mirzakhani, première lauréate de la médaille Fields, en 2014), et une soirée festive.  

Cadre verdoyant

Le choix du lieu n'a pas non plus été laissé au hasard : Pas dans un amphithéâtre universitaire, ce qui aurait pu être intimidant, mais à l'inverse un cadre verdoyant, pour faire passer ce message : "L'université vient à votre rencontre". Ainsi que celui de l'accessibilité : "Nous ne sommes pas obligés d'être particulièrement brillantes pour nous amuser en faisant des mathématiques et de l'informatique". Nous voulions que cette expérience reste avant tout sympathique, ludique et amusante. Reçu 5/5 !

L'initiative a été financée par les partenaires des universités de Lorraine et de Strasbourg, les organismes de recherche et les laboratoires dont l'Institut de recherche mathématique avancée (Irma) et l'Institut de recherche sur l'enseignement des mathématiques (Irem), la région Grand Est, la fondation Blaise-Pascal, le programme national MathC2+. Forte d'un bilan très positif, l'initiative devrait être reconduite à l'avenir.

* Institut Elie-Cartan de Lorraine (IECL), Laboratoire lorrain de recherche en informatique et ses applications (Loria) et l'Institut de recherche mathématique avancée (Irma)

Les « Cigognes » succèdent aux « Cigales »

Le choix du nom du stage, "les Cigognes", est un clin d'œil au stage "Les Cigales" organisé par nos collègues de Marseille, dont il s'inspire, explique Clémentine Courtès. En 2019, des collègues enseignants-chercheurs de l'Université d'Aix-Marseille ont décidé d'organiser une semaine de stage de mathématiques pour lycéennes. Quatre ans plus tard, le concept a tellement bien pris qu'ils organisent deux stages par an et qu'ils sont obligés de refuser des candidates. Nous avons souhaité exporter le concept dans le Grand Est, avec la spécificité de rajouter de l'informatique dans notre stage.

« Pas de notion de supériorité »

Citation

J'ai pris connaissance de ce stage par mon professeur de physique-chimie, qui a envoyé un mail à des élèves de mon lycée. Je suis allée sur le site internet et j'ai vu que l'emploi du temps avait l'air pas mal. A la base, l'informatique n'est pas quelque chose qui me passionne vraiment, même si je pense qu'on n'a pas encore vraiment vu [ce qu'est] l'informatique au collège et lycée. Ce qui me plait dans le stage, c'est qu'il y a vraiment une bonne ambiance, c'est un stage décomplexé. Personne ne juge les autres. Il y a vraiment un bel ensemble et pas de notion de supériorité des uns par rapport aux autres. Même avec les encadrants, on ne se sent pas inférieures comme dans les cours, personne ne nous prend de haut. Je reviendrais bien l'année prochaine.

Témoignage de Céline

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