« Tout le monde est concerné par la fatigue ! »
Elle-même touchée par un Syndrome de fatigue chronique, Isabelle Fornasieri a fait de la sensibilisation aux fatigues chroniques son cheval de bataille. À l’invitation de la Direction des ressources humaines (DRH), l’enseignante-chercheuse à l’Université de Strasbourg propose de lever le voile sur ce handicap invisible, lundi 17 novembre, à l’occasion de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées (SEEPH).
Ils seraient entre 111 000 et 1,1 million en Europe1 à souffrir d’encéphalomyélite myalgique ou Syndrome de fatigue chronique (SFC). Une fourchette d’estimation très large, car la maladie reste encore largement méconnue, notamment par les médecins, et nombreux sont les malades qui s’ignorent
, souligne Isabelle Fornasieri.
Multisystémique, invalidant, fluctuant… le SFC peut survenir à la suite d’une maladie infectieuse, comme ce fut le cas pour elle, tombée dans un autre espace-temps
à la suite de deux grippes successives, à 45 ans. Mais la fatigue invalidante accompagne bien d’autres pathologies et/ou leurs traitements – cancer, sclérose en plaques, fibromyalgie, maladie de Crohn, etc. Il est plus juste de parler de fatigues au pluriel, car il s’agit de tout un spectre de manifestations
, évoque la maîtresse de conférences à la Faculté de psychologie, recourant au camaïeu de bleu (du plus pâle au plus foncé) pour imager les nuances de fatigue.
« Il est plus juste de parler de fatigues au pluriel, car il s’agit de tout un spectre de manifestations »
Écologie de soi
Dans tous ces cas de figures, il existe d’énormes freins à reconnaître et faire reconnaître son épuisement, avec la peur de la stigmatisation et du regard des autres
. Isabelle Fornasieri, qui travaille aujourd’hui à mi-temps, assure s’en sortir parce qu’elle peut compter sur des routines et le soutien de sa hiérarchie. Chacun peut être concerné, directement ou parmi ses proches
, souligne-t-elle. Elle évoque la nécessité de mettre en place une écologie de soi, dans une société où la productivité est un dogme. Cela commence par alterner phases de travail et pauses
.
À cet égard, le monde du travail est particulièrement sensible, car réticent à accepter et reconnaître toute forme de vulnérabilité. Parmi mes collègues, j’en fais le constat : tout le monde est surmené !
Particulièrement concernés : Les plus jeunes, et notamment dans la recherche, qui n’ont pas encore construit une carrière et doivent enchaîner publications, colloques, stages…
D’autant qu’une maladie telle que le SFC est socialement très invalidante
. Laetitia Felder, chargée des carrières et référente Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP) à la DRH, abonde : Si notre taux d’emploi de personnes en situation de handicap progresse (lire encadré), les déclarations restent bien inférieures parmi les personnels enseignants-chercheurs2. C’est pour cette raison que nous avons souhaité mettre le thème des handicaps invisibles en avant, cette année, à l'occasion de la SEEPH, et plus particulièrement celui des fatigues
.
Pacing, hypnose, méditation…
En l’absence d’une recette médicamenteuse miracle, des stratégies et outils pour mieux vivre face à l’épuisement existent, expérimentées à tâtons par les patients : hypnose, méditation, « pacing ». Inspirée par les sports d’endurance, cette méthode vise à adapter et rythmer ses activités, pour mieux conserver et utiliser son énergie. Créée par des malades en 1998, l’Association française du syndrome de fatigue chronique (ASFC) agit en faveur de sa diffusion. Elle édite notamment un guide pratique.
Diagnostiquée en seulement un an (contre sept en moyenne pour les personnes souffrant de SFC), Isabelle Fornasieri en a rapidement pris la vice-présidence. Coordonnatrice d’un groupe de travail national, elle plaide pour décloisonner la réflexion autour des fatigues et de l’épuisement, par nature transversaux
. Convoquant la figure d’Edgar Morin pour penser la complexité
, elle espère voir créé, à la rentrée prochaine, un diplôme interuniversitaire entre Strasbourg, Nice, Rouen et Toulon, pour offrir aux professionnels et aux patients l’opportunité de se former
.
500 000 malades supplémentaires suite au Covid
Une pierre de plus à l’édifice pour la reconnaissance du SFC, notamment car suite au Covid, 500 000 nouveaux malades ont rejoint nos rangs
. Isabelle Fornasieri, qui n’a jamais cloisonné sphères professionnelle et personnelle, envisage la maladie comme une expérience de vie, non pas comme une autre, mais en tous les cas formatrice
. C’est donc tout naturellement que celle qui porte aussi la casquette de référente insertion professionnelle depuis trente ans a porté le partenariat entre l’université et Ligue départementale contre le cancer, pour favoriser le retour à la vie quotidienne des jeunes malades étudiants.
1 Entre 0,5 et 5 % de la population européenne
2 Ils sont 24 % d’enseignants-chercheurs parmi les Bénéficiaires de l’obligation d’emploi (BOE), contre 56 % parmi l’ensemble les personnels
Un riche programme pour la 29e Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées (SEEPH)
À l’occasion de la 29e Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées (SEEPH), l’Université de Strasbourg invite ses personnels à participer à une série d’événements variés et inspirants, du 17 au 21 novembre 2025.
La semaine débute avec une journée dédiée à la thématique des fatigues, associée à la 3e Biennale des fatigues (qui se tient à Nice, la semaine suivante). Le lundi 17 novembre est rythmé par une journée d’étude, « Dévoiler sa fatigue ? », une conférence et des ateliers cut up et d’écriture. Une initiation au pacing est notamment proposée par Isabelle Fornasieri, et le programme fait la part belle à des patients partenaires, présents pour évoquer leur maladie et aborder des solutions.
Également au programme le reste de la semaine : des webinaires, des ateliers interactifs, une séance spéciale au Planétarium, qui propose aussi la découverte d’outils de médiation en astronomie en relief et en braille, la reconduction du Duoday…
Autant d’opportunités pour sensibiliser, partager et agir en faveur d’une société plus inclusive, s’informer et, pourquoi pas, s’interroger sur un éventuel besoin d’adaptation pour faciliter sa vie quotidienne à l’université.
Quelques statistiques
Avant la première signature de convention avec le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP), 3,03 % des personnels Unistra bénéficiaient de l’obligation d’emploi (BOE) ; ils sont 3,79 % aujourd’hui (objectif national fixé à 6 %).
En valeur absolue : 156 bénéficiaires de l’obligation d’emploi (BOE) en 2017 ; 216 en 2024.
La population BOE est plus féminisée que la population globale de l’établissement (67 % vs 53 % pour l’ensemble des personnels).
Elle est également plus âgée que la population globale de l’établissement (85% des handicaps survenant au cours de la vie).
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