Par Elsa Collobert
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Séismes en Turquie : la télédétection au service des victimes

Quelques heures seulement après les premières secousses de magnitude 7,8 enregistrées à la frontière turco-syrienne, dans la nuit de dimanche 5 à lundi 6, les ingénieurs du Service régional de traitement d'image et de télédétection (Sertit) à Strasbourg, composante du Laboratoire des sciences de l'ingénieur, de l'informatique et de l'imagerie (ICube, Unistra/CNRS/Engees/Insa) se sont attelés à cartographier les dégâts. Enjeu : doter les autorités d'outils précis, pour guider la décision et orienter les secours, alors que le bilan humain ne cesse de s'alourdir.

Lundi 6 février, 5 h du matin. Pôle API d'Illkirch. Par courriel, alerte est donnée qu'un séisme de forte magnitude vient de toucher la Turquie et la Syrie.

Un service d'astreinte 24 h/27 et 7 jours sur 7

Nous sommes branchés à plusieurs canaux d'alerte des risques naturels et avertis en quasi temps réel, explique Claire Huber, ingénieure en télédétection et Système d'information géographique (SIG) au Sertit. Dans le cas du tremblement de terre en Syrie et Turquie, il aura fallu une heure. Nous disposons d'un service d'astreinte 24 h/27 et 7 jours sur 7.

Coopération européenne et internationale

Mettre l'espace au service de la Terre : c'est la devise du Sertit, qui produit de l’information géographique à partir d'images spatiales, pour le compte de plusieurs utilisateurs et partenaires. En l'occurrence, dans un cas d'urgence comme celui de la Turquie, nous agissons pour le compte  de Copernicus, le programme d’observation de la Terre de l’Union européenne, au sein d'un consortium mené par e-GEOS, un partenaire italien. Dans ce cadre, les données sont mises à disposition via l'Agence spatiale européenne (ESA), précise Stephen Clandillon, directeur d'ICube-Sertit. Deux mécanismes ont été mobilisés dès la journée du lundi 6 février : Copernicus, et la Charte internationale Espace et catastrophes majeures. Pour une partie de ses besoins, le service de Copernicus utilise les données mises à disposition par la charte. (lire aussi l'encadré)

Certaines informations, cruciales pour orienter rapidement les secours et l’aide humanitaire, sont  parfois difficiles à obtenir depuis le sol. Dans ce contexte, les technologies spatiales sont à même de fournir de telles informations : Il s’agit de cartographier les infrastructures (routes, ponts, bâtiments), en fonction de leur état de dégradation, ou encore des camps de populations déplacées, comme sur l'image de Kirikhan datée de mercredi 8 février (première image de l'article), reprend Claire Huber.

La météo nous complique la tâche

La force du réseau européen Copernicus, c'est que nous pouvons nous répartir la charge de travail : avec nos partenaires italiens, allemands... vingt zones prioritaires ont été définies, dont nous nous sommes ensuite répartis la cartographie. En l’occurrence, quatre zones en Turquie pour le Sertit : Afsin, Diyarbakir, Erdemoglu et Kirikhan.

Malheureusement, notre tâche a été compliquée par la météo : les images captées par les satellites lundi matin étaient inexploitables car trop nuageuses. Sans compter que la neige est encore venue compliquer la tâche des ingénieurs, à partir de mardi : Vu du ciel, il peut être difficile d'estimer l'état d'une construction humaine, d'autant plus quand celle-ci est recouverte de neige. Ils s'attachent donc à examiner les alentours, repérer les débris...

Résultat : Nous avons pu publier notre première carte, une vue détaillée d'Afsin, mardi 7 février au soir. D'autres ont été produites dans la journée de mercredi 8. Toutes les cartes produites par le Sertit, tout comme celles produites par les partenaires de Copernicus, sont en accès libre.

Œil humain

Les données géographiques produites par le Sertit sont des interprétations d'images : toutes sont passées entre les mains, ou plutôt sous les yeux, d'un ingénieur du service. L'échelle est trop fine et complexe pour automatiser ce travail. De plus, la vue du ciel ne permet pas de détecter tous les dégâts. Nous pouvons donc avoir tendance à les sous-estimer. Dans certains cas, il nous arrive de recouper nos informations satellitaires avec des photographies trouvées sur les réseaux sociaux. Un vrai travail d'enquête ! Sur les cartes produites, l'état de dégradation des bâtiments fait l'objet d'un code couleur (rouge/orange/jaune). Notre travail consiste à extraire de l'information à partir des images satellites.

Pour l'heure, alors que la catastrophe naturelle se double d'une catastrophe humaine, avec un bilan qui ne cesse de s'alourdir, les ingénieurs du Sertit poursuivent jour et nuit leur travail. Nous ne sommes mobilisés pour le moment que sur la Turquie. Mais cela pourrait changer. Tout va très vite, dans ce genre de situation. Pas le temps de chômer, car en parallèle nous travaillons déjà à une cartographie de feux de forêt au Chili.

Programme Copernicus et Charte internationale Espace et catastrophes majeures : des outils universels au service de la gestion de crise

  • Copernicus

Depuis 2012, Copernicus EMS Rapid Mapping, qui fait partie d'un service central de la Commission européenne, fournit à tous les acteurs impliqués dans la gestion des catastrophes naturelles, des situations d'urgence d'origine humaine et des crises humanitaires, des informations géospatiales précises et opportunes dérivées de la télédétection par satellite et complétées par les données disponibles (sources de données in situ ou ouvertes). Les informations générées peuvent être utilisées telles quelles ou combinées avec d'autres sources de données (par exemple, en tant qu'ensembles de caractéristiques numériques dans un système d'information géographique). Dans les deux cas, le service peut soutenir l'analyse géospatiale et les processus de prise de décision des gestionnaires d'urgence. Il ne peut être activé que par des utilisateurs autorisés. Le portefeuille de services de cartographie rapide comprend des cartes pré-événement (référence) et des cartes post-événement (délimitation et gradation).

  • Charte internationale Espace et catastrophes majeures

Lancée en 1999 par le Centre national d'études spatiales (CNES) et l’European Space Agency - ESA, cette charte réunit aujourd’hui 17 agences spatiales membres qui fournissent gratuitement et le plus rapidement possible des images satellites sur une zone sinistrée.

Depuis 2000, la charte a été activée près de 800 fois dans plus de 154 pays. Une flotte de plus de 200 satellites peut être mobilisée de façon prioritaire. La charte Espace et catastrophes majeures dépasse les clivages géopolitiques ou économiques : grâce à l’entente entre de nombreux pays, elle fournit un accès universel à la donnée spatiale lorsque la situation l’exige, souligne Philippe Baptiste, président du CNES, sur son compte Linkedin.

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