Par Edern Appéré
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Fin de vie : l’euthanasie au centre du débat

La publication de nouvelles recommandations du Comité consultatif national d’éthique, au mois de septembre 2022, a fait ressurgir dans l’actualité le sujet de la fin de vie. Un sujet sensible puisqu’il revêt à la fois une dimension universelle et très personnelle. Pascal Hintermeyer, professeur émérite en sociologie et ancien directeur de l’unité de recherche Dynamiques européennes, actuellement dénommée LinCS*, revient sur notre rapport à la mort et ses implications.

La mort est un sujet qui pose problème dans nos sociétés occidentales, explique Pascal Hintermeyer. L’espérance de vie à la naissance a triplé en deux siècles. On a eu tendance à vouloir prolonger cette courbe de progression et se penser quasi immortel. La société s’est centrée sur la jeunesse, le dynamisme, la vie. Dans ce cadre, comme le montre l’anthropologue Louis-Vincent Thomas, fondateur de la Société française de thanatologie, tout ce qui touche à la mort gêne ou embarrasse, précise-t-il. Philippe Ariès, historien, remarquait qu’auparavant la mort était apprivoisée puisqu’elle était omniprésente. Elle est désormais mise de côté, ensauvagée. Quand elle survient, nous sommes pris au dépourvu, peu préparés à y faire face.

La fin du 20e siècle a vu émerger deux mouvements relatifs à la mort et la manière d’envisager la fin de vie. L’un, émanant du milieu médical, consiste à accompagner le patient et à soulager ses souffrances en attendant la mort. Il a donné naissance aux unités de soins palliatifs. L’autre, issu de la société civile, vise à permettre aux individus de choisir quand et comment mourir. Il a mené à la création, en France, de l’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD). Longtemps présentées comme en rivalité, ces deux approches ne sont cependant pas antagonistes.

Dernière loi en date à régir les modalités de fin de vie, la loi Clays-Leonetti de 2016 a rendu possible la rédaction de directives anticipées et la demande de sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès. Certains voudraient désormais aller plus loin et autoriser l’euthanasie. Les récentes recommandations du Comité consultatif national d’éthique n’ont pas arbitré cette question mais posé les bases d’un débat citoyen prévu pour durer un an.

Plus de questions que de réponses

La fin de vie pose des questions éthiques, c’est-à-dire des questions de valeurs. Mais l’interprétation de ces valeurs varie selon les milieux, les cultures, les personnes, indique le sociologue. La dignité et la liberté, notamment, peuvent être envisagées de façon très différente. Certaines personnes pensent que la dignité consiste à pouvoir mourir dès lors que leurs capacités ne sont plus fonctionnelles. À l’inverse, d’autres estiment que la dignité consiste à respecter toute vie humaine et qu’il n’est pas concevable d’y mettre un terme.
La liberté peut aussi être abordée de plusieurs manières : est-ce la liberté de décider de sa mort, via notamment des directives anticipées, ou bien la liberté de changer d’avis jusqu’au dernier moment ?
Ces interprétations très personnelles ont été à l’origine de plusieurs affaires retentissantes ces dernières années, qui ont vu les membres d’une même famille se disputer sur le sort de l’un des leurs.

Si l’euthanasie venait à être autorisée en France, elle engendrerait de nouvelles questions.

Si l’euthanasie venait à être autorisée en France, elle engendrerait de nouvelles questions. Devrait-on aider une personne à mourir quand elle estime avoir suffisamment vécu, alors qu’elle n’est ni malade ni en fin de vie ? Un médecin pourrait-il être poursuivi pour une euthanasie par un proche du défunt qui n’est pas d’accord avec le geste pratiqué ? Que se passerait-il si un pompier sauvait une personne qui tente de se donner la mort ? Assisterait-on à une recrudescence de demandes d’euthanasie de la part de personnes qui se sentent être une charge pour leur entourage ?

Le débat qui vient d’être lancé en France, avec la volonté de recueillir un maximum d’avis de la société civile, est loin d’être clos. Il en va de même dans les autres pays européens, même ceux où l’euthanasie est autorisée. Selon le chercheur, la raison en est simple : chaque cas est particulier or la loi est générale. Elle ne peut résoudre tous les problèmes.

* Laboratoire interdisciplinaire en études culturelles (Unistra/CNRS)

Fin de vie : de quoi parle-t-on ?

Euthanasie : on parle d’euthanasie lorsqu’une personne demande à ce qu’on l’aide à mourir. Ce n’est pas elle qui se donne la mort mais un membre du corps médical. Aux Pays-Bas et en Belgique notamment, cette possibilité existe mais est strictement encadrée et doit répondre à de nombreux critères (maladie incurable, souffrance insupportable, demande répétée, etc.).

Suicide assisté : lorsqu’une personne souhaite mettre fin à ses jours et sollicite la fourniture d’un produit létal. C’est cette personne qui s’administre elle-même ce produit et, in fine, se donne la mort. Ce dispositif existe en Suisse, non sous la forme d’une loi, mais d’une tolérance.

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