Par Marion Riegert
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Regards croisés sur la réforme des retraites

Passage à 43 années de cotisation pour toucher une retraite pleine et âge de départ repoussé à 64 ans, examinée à l’Assemblée nationale, la réforme des retraites fait débat. Eclairage avec Francesco De Palma, enseignant-chercheur en économie, et Thierry Burger-Helmchen, enseignant-chercheur en sciences de gestion et du management. Tous deux au Bureau d'économie théorique et appliquée (Beta*).

Pourquoi maintenant, y a-t-il une nécessité économique ?

T. B-H. Oui, il faut une réforme mais cette réforme est mal faite car elle ne prend pas assez en compte les situations particulières des femmes ou des métiers pénibles. Le système est en déséquilibre, nous enchainons les années de déficit en lien avec un problème démographique. Notre système est basé sur la solidarité, pour qu’il fonctionne, il faut qu’il y ait plus de gens qui travaillent que de retraités. Il est erroné de croire qu’une dette supplémentaire de 12 milliards chaque année est anodine.

F. D-P. Sur le plan économique il n’y a aucune justification. Selon les études du Conseil d’orientation des retraites (COR), le déficit des caisses de retraite prévu en 2023 est estimé entre 12 et 15 milliards d’euros. Ce qui n’est rien comparé aux 340 milliards que coûtent les retraites chaque année. Ce déficit ne se creuse pas en raison de l’augmentation du nombre de retraites, le problème ce sont les baisses des recettes de l’Etat notamment au niveau des impôts. Un des arguments évoqués est aussi le fait qu’en 1970 il y avait quatre actifs pour une retraite, contre 1,6 actifs pour une retraite aujourd’hui. Mais un actif aujourd’hui est trois fois plus productif qu’il y a une quarantaine d’années !

L’allongement du départ à la retraite est-il le bon levier ?

T. B-H. Il existe trois leviers directs : travailler plus longtemps, cotiser plus, ou encore toucher une retraite plus faible. La France est le pays qui compte le moins de retraités dits pauvres et il serait bien que cela reste ainsi, toucher au montant de la retraite n’est donc pas la solution et augmenter les cotisations entrainerait une baisse du pouvoir d’achat.

La probabilité d’être embauché dans les quatre mois pour une personne de 60 ans au chômage est de 9 %

F. D-P. L’âge du départ à la retraite n’est pas non plus la solution en l’état actuel, s’il augmente cela fera surtout augmenter le taux de chômage et l’assistanat des seniors. Aujourd’hui, sur 100 seniors, seulement 55 participent au marché du travail. Cette faiblesse du taux d’activité s’explique notamment en raison des problèmes de santé et le coût des travailleurs seniors pour les entreprises. Aujourd’hui, la probabilité d’être embauché dans les quatre mois pour une personne de 60 ans au chômage est de 9 %. Avec un âge fixé à 64 ans, les gens partiront plus tôt avec une décote, les pensions seront plus faibles, c’est d’ailleurs aussi un moyen de réduire les dépenses de retraites.

Quelles autres solutions ?

F. D-P. Les retraites sont payées par les cotisants, ceux sur le marché du travail. Avant de réaliser une réforme des retraites, il faut d’abord réformer le marché du travail en faisant notamment en sorte qu’il y ait plus de seniors actifs. Des mesures de fiscalité favorables aux seniors pourraient notamment être mises en place au niveau des entreprises.

T. B-H. La solution selon moi serait un système plus flexible en fonction des personnes et de leurs aspirations. Il ne faut pas un système unique avec un âge unique. Un système de retraite plus flexible permettrait aux individus d'avoir une plus grande autonomie dans la gestion de leur propre retraite, ce qui pourrait améliorer leur satisfaction et leur bien-être global. Les travailleurs pourraient décider de prendre leur retraite plus tôt pour consacrer leur temps à d'autres activités, ou travailler plus longtemps pour des raisons financières ou personnelles. Un tel système permettrait aux travailleurs de rester en activité plus longtemps s'ils le souhaitent, ce qui pourrait contribuer à atténuer les pénuries de main-d'œuvre dans certains secteurs.

Quid de la disparition des régimes spéciaux ?

F. D-P. Je ne suis pas sûr que ce soit la chose la plus importante, ce ne sont pas eux qui coûtent le plus cher. Leur coût s’élève à une dizaine de milliards pour les petits régimes (RATP, SNCF, marins, etc.). Le plus important, c’est le régime des fonctionnaires mais c’est aussi le plus compliqué à réformer. Car réformer les retraites des agents publics implique de revaloriser en amont les traitements des fonctionnaires. Et l’addition serait pour le coup assez faramineuse.

Les pays nordiques sont cités en exemple mais est-ce vraiment comparable ?

F. D-P. Le Danemark, la Norvège et l’Allemagne sont cités en exemple. Mais leur taux d’emploi est de 75 % chez les seniors. Au Danemark, un pôle emploi leur est consacré. En Italie, où le taux d’emploi des seniors est plus proche de celui de la France, l’âge de la retraite a été reculé à 67 ans en 2011, ça a été une catastrophe, et la pauvreté a augmenté dans cette catégorie d’âge.

L’habitude de faire travailler les seniors est plus ancrée dans la routine des pays nordiques

T. B-H. L’habitude de faire travailler les seniors est plus ancrée dans la routine des pays nordiques. On compare beaucoup la France à d’autres pays, le problème c’est que chaque pays a son système et sa démographie propre.

*Unistra / CNRS / Université de Lorraine / Inrae / AgroParisTech

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