Par Stéphanie Robert
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« On cherche encore », une pièce kafkaïenne dans les coulisses de la recherche

Sa tragédie scientifique est drôle et sombre, mordante et satirique, pertinente et impertinente, politique et ubuesque. Pour sa quatrième pièce, Laurent Nexon, docteur en neurosciences et manager de l’Institut thématique interdisciplinaire (ITI) Neurostra, met en scène avec subtilité et humour les revers du financement de la recherche publique. Un système grippé qui conduit les chercheurs à compromettre leur intégrité scientifique… Rendez-vous lundi 13 et mardi 14 juin, au Vaisseau.

Comment convaincre qu'on est plus excellent que les autres dans l'excellence ? Comment rester un chercheur dans une machine politique et administrative à laquelle rien ne prépare ? Et jusqu'où aller lorsque chercher revient à chercher des sous, du blé, de la thune ? Le professeur Jourdain est à la recherche éperdue de financements pour ses travaux. Il frappe à la porte du Président Macroûte, des députés européens, se frotte au paradigme de la start-up nation, songe au proxénétisme… Pris dans un mécanisme qui le dépasse, il glisse vers une certaine malhonnêteté scientifique… Un univers kafkaïen, ubuesque, dépeint avec finesse et acuité par l’auteur. On ne vous dévoile pas la fin mais elle est assez cynique !

J’ai l’impression d’enfoncer des portes ouvertes, tout chercheur connaît la situation, dit Laurent Nexon, l'auteur de la pièce. Ce mécanisme est en effet bien connu de la communauté scientifique, mais pas de tous. C’est là l’intérêt de la pièce : interroger et donner à voir un système et ses dérives qui s’appliquent également à d’autres services publics : l’hôpital, l’éducation…. Autrement dit, une approche managériale libérale et anglo-saxonne de services et de l’argent publics. Il n’y a pas de bonne recherche sans business model !  déclame le Président Macroûte.

Ne faut-il pas un projet d'excellence, impactant, innovant, pour être financé ?

Laurent Nexon évolue depuis quinze ans dans le milieu de la recherche et de son financement. Après son doctorat sur la chronobiologie du hamster à Strasbourg, en 2009, il a  été médiateur scientifique pour le réseau Neurex et manage aujourd’hui l’ITI NeuroStra. Il a observé ces dérives. Il est parfois entré dans le mécanisme sans le vouloir vraiment, par exemple en justifiant l’utilité de sa thèse comme une brique pour mieux comprendre la dépression, alors qu’elle en est assez éloignée… Le professeur Jourdain reflète la majorité des chercheurs : pris dans le mécanisme, ils participent aux dérives, sans le vouloir vraiment.

On ne finance plus une institution ou un laboratoire mais des individus, cela génère un système compétitif. Certaines équipes sont bien financées, d’autres non, il existe une injustice dans la répartition des financements. C’est devenu la principale recherche d’un chercheur : l’argent. Trois critères flous reviennent sans cesse : excellence, innovation et impact. Ils viennent du business management. Un cercle vicieux se met alors en place : pour être financé, il faut des publications, pour être publié, il faut des résultats impactants, et pour avoir ces résultats, certains jouent avec les statistiques ou trichent un peu…

Comment le financement influe sur la construction de la science

La science devrait se construire sans influence externe, économique, politique, etc. Aujourd’hui, on ne finance la recherche que si elle justifie son utilité sociétale, cela influe sur les sujets et les méthodes. Or la recherche est aussi fondamentale, elle se construit sur le long terme, avec un facteur chance. Nombre de découvertes ont été faites par hasard. Cela pose un problème déontologique. C’est le pivot central de ma pièce, explique-t-il.

Prolonger l’impact

La pièce sera filmée pour être diffusée sur internet et accroitre le public touché. Je me suis fait plaisir en écrivant une comédie, en m’emparant d’un sujet de société pour donner à réfléchir, susciter le débat. J’ai envie qu’elle serve, qu’elle soit reprise et jouée par d’autres. Paradoxe amusant : pour que la pièce soit jouée en dehors du cercle universitaire et toucher un autre public, Laurent Nexon a dû… rechercher (et obtenir !) des financements.

Article initialement paru le 17 avril 2022

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On cherche encore se jouera :

Une tragédie scientifique portée par l’ITI Neurostra et l’Artus

Ecrite avec son complice au travail comme dans la vie, Jean-Christophe Cassel, neuroscientifique co-directeur de l’Institut thématique interdisciplinaire (ITI) Neurostra, la pièce On cherche encore est portée par l’Artus, le théâtre universitaire de Strasbourg, et jouée par des étudiants. Elle s’inscrit dans le cadre de l’Initiative d’excellence de l’Université de Strasbourg et bénéficie d’une aide de l’État au titre du programme Investissements d’avenir.

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