« Grâce à l’extraordinaire mobilisation générale, nous sommes en mesure d’aider les réfugiés ukrainiens »
La Pologne, qui partage une frontière avec l’Ukraine, est en première ligne pour accueillir les réfugiés fuyant la guerre. A Poznan, dans l’ouest du pays, l’Université Adam-Mickiewicz (UAM), liée à l’Unistra à travers l’alliance EPICUR, ne fait pas exception. Fin avril, 250 places supplémentaires avaient été ouvertes pour des étudiants ukrainiens, exonérés de frais d’inscription et de séjour, explique Rafał Witkowski, vice-recteur de la coopération internationale et responsable du projet EPICUR à l'Université de Poznan.
Comment avez-vous réagi et quelles ont été vos premières décisions lorsque la guerre a éclaté, le 24 février ?
Les premières réactions dès le déclenchement de la guerre ont été très émouvantes, car nombre de nos amis étaient exposés à la mort sous les bombes russes. Beaucoup d'entre nous avaient visité l'Ukraine et reconnu les photos montrant le centre de Kiev, Kharkiv ou Odessa. Maintenant, ces lieux sont devenus un champ de bataille et les gens meurent...
La grande majorité des étudiants ukrainiens de l'UAM ont demandé de l'aide pour faire venir leurs familles en Pologne. Après avoir traversé la frontière, les réfugiés ukrainiens ont pu voyager gratuitement à travers le pays en train. Beaucoup de nos étudiants et professeurs ont traversé la frontière pour récupérer leurs amis et leurs proches. Arrivés à Poznań, beaucoup d'entre eux ont trouvé refuge dans nos dortoirs et autres installations dans la ville et à l'extérieur. Nous avons fourni environ 250 places pour les réfugiés. Depuis le début de la guerre, le coût de leur séjour est pris en charge par l'université.
Afin d'aider les étudiants ukrainiens, qui doivent maintenant souvent s'occuper d'autres membres de leur famille, nous avons décidé de supprimer les frais de dortoir et de leur fournir une aide financière. Cela s'applique aux étudiants en cycle complet ainsi qu'à ceux en échange. De facto, les dépenses courantes de leur logement sont couvertes par l'UAM.
Exonération des frais de scolarité et de logement, collecte de dons, accueil au domicile, manifestations… La solidarité s’exprime dans tous les domaine
Nos étudiants se sont impliqués dans de nombreuses actions d'aide en tant que bénévoles, principalement dans des centres d'accueil, des refuges, à la gare, mais aussi dans les bureaux de l'administration municipale. Il faut se rappeler que dans les premières semaines de la guerre, près de deux millions de réfugiés sont arrivés en Pologne, qui ont soudainement eu besoin de presque tout ! À Poznan, mais aussi dans toute la Pologne, ces personnes ont trouvé refuge, pour 30 % d'entre elles dans des maisons polonaises. Nombre de nos professeurs et étudiants ont accueilli des réfugiés ukrainiens sous leurs toits.
Aujourd'hui, que fait votre université pour accueillir et accompagner ces personnes qui quittent leur pays ?
Aujourd'hui, la situation est quelque peu différente, mais malgré tout, grâce à l'énorme engagement de la société polonaise et à la solidarité, nous parvenons à aider efficacement les réfugiés d'Ukraine.
Il y a nettement moins de réfugiés qui arrivent en Pologne – ils seraient 3 millions de réfugiés à être arrivés depuis le début de la guerre, mais certains sont déjà retournés en Ukraine.
Il est difficile de savoir combien de ces réfugiés resteront en Pologne de façon permanente. Il y a actuellement environ 100 000 Ukrainiens à Poznań, un habitant de la ville sur sept est ukrainien (l'interview a été réalisée en avril).
Beaucoup de réfugiés sont des femmes avec des enfants. Pour eux, nous avons organisé une garderie pour leurs enfants. Les étudiants du département des sciences de l'éducation gèrent une garderie pour les écoliers. Nous organisons des activités similaires pour les réfugiés séjournant dans de grands centres d'accueil à Poznań.
Nous avons organisé des cours de polonais « de survie » pour les personnes qui veulent apprendre à parler rapidement le polonais, ainsi que des cours de langue et de littérature ukrainiennes pour les Polonais.
Cours de polonais « de survie » et de littérature ukrainienne pour les Polonais
Nous continuons les collectes de dons d'aide humanitaire.
Nous fournissons des conseils psychologiques et juridiques à nos étudiants et aussi aux réfugiés. Il y a maintenant des milliers d'enfants ukrainiens en Pologne sans tuteur légal, et des personnes traumatisées !
Pour les réfugiés, en coopération avec le bureau du gouverneur, une des salles de sport a été occupée comme centre d'accueil. Chaque jour, nos étudiants bénévoles y travaillent, apportant soutien et soins aux réfugiés.
Nous les aidons dans leur recherche d'emploi, d'occupation et de sources de revenus.
L'université travaille en étroite collaboration avec la ville et le gouvernement provincial, ainsi qu'avec les associations professionnelles locales (avocats, médecins, etc.). Sans notre soutien, de nombreuses initiatives et activités de ces institutions n'auraient pas été possibles, car de nombreux étudiants de l'UAM parlent ukrainien ou russe.
Comment se manifeste concrètement votre soutien dans le domaine universitaire ?
Nous avons offert un hébergement sûr à plusieurs dizaines de mères avec enfants dans nos auberges. En Ukraine, ces personnes travaillaient dans les universités locales et avaient généralement déjà eu des contacts avec l'UAM avant la guerre. A la demande des recteurs des universités ukrainiennes, qui ne veulent pas perdre de bons employés, nous n'embauchons pas ces enseignants en permanence, mais nous proposons des contrats de trois mois.
Nous voulons offrir une existence sûre aux doctorants et aux stagiaires accueillis, sans qu'ils rompent les contacts avec leurs universités d'origine
Nous avons accepté environ 30 à 40 doctorants, ainsi que des stagiaires, en leur offrant un soutien financier. Nous voulons leur offrir une existence sûre en Pologne, sans qu'ils rompent les contacts avec leurs universités d'origine. Seuls une vingtaine d'étudiants ukrainiens ont décidé de demander une admission officielle pour étudier en Pologne, tandis que moins de cent ont déclaré vouloir poursuivre temporairement (comme les étudiants en échange) leurs études à l'UAM.
Nous les aidons tous et des bourses spéciales ont été financées, entre autres, par Dominika Kulczyk, philanthrope et membre du conseil consultatif d'EPICUR.
Quels pourraient être les outils ou mécanismes mis à disposition par les autres universités de l'alliance EPICUR pour vous soutenir et vous aider ?
L'aide peut être fournie de plusieurs façons. Le plus important est de trouver le moyen le plus efficace d'aider les réfugiés d'Ukraine, qui aujourd'hui ont certainement atteint toutes les villes d'EPICUR. Pour de nombreuses raisons, la grande majorité des près de 3 millions de réfugiés ukrainiens ne souhaitent pas quitter la Pologne, espérant une fin rapide de la guerre.
La situation à Poznan, comme dans beaucoup d'autres villes de Pologne, est compliquée, mais nous sommes encore capables, grâce à l'extraordinaire mobilisation de la société, d'aider efficacement les Ukrainiens. Je ne sais pas pendant combien de temps nous aurons assez de force et de mobilisation.. Tout dépend de la durée de cette guerre et du nombre d'Ukrainiens qui décideront de rester en Pologne et dans d'autres pays. Jamais auparavant dans notre histoire nous n'avons eu à aider autant de réfugiés. Beaucoup de nos amis sont restés en Ukraine et leur vie y devient de plus en plus difficile avec la prolongation de la guerre. L'UAM organise pour eux une aide humanitaire : principalement des vivres et des fournitures médicales à long terme. Nous avons déjà envoyé de tels dons avec l'aide d'organisations humanitaires et de diverses entreprises étrangères (principalement italiennes). Peut-être arriverons-nous à organiser un tel transport avec une aide humanitaire avec EPICUR ?
Une longue tradition d’échanges universitaires
Entre la Première et la Seconde Guerre mondiale (1919-1939), lorsque les frontières de la République de Pologne étaient différentes, l'Université de Poznan entretenait des contacts étroits avec celle de Lviv, alors située à l'intérieur des frontières de la Pologne. Ces contacts ont survécu jusqu'à aujourd'hui. Tout aussi vivants furent les contacts entre Poznan, Kharkov et Kiev au 19e siècle. De nombreux Polonais ont étudié à l'Université de Kharkov et de nombreux professeurs polonais y ont enseigné. Dans les années 1960, les autorités de l'Université de Poznan ont établi des contacts étroits avec l'Université de Kharkiv, prolongement de la coopération entre les deux villes jumelles. Après la chute du communisme dans les deux pays, un nouveau chapitre des contacts mutuels a commencé, dans un contexte de constitution de nouvelles élites pro-européennes. L'UAM a commencé à coopérer avec près de vingt universités ukrainiennes, des plus grandes (Kyiv, Kharkiv, Lviv) aux plus petites (Humań, Lutsk, Drohobych, Vinnitsa, Perejaslav, Odessa).
L'annexion de la Crimée par la Russie et la guerre déclenchée en 2014 a encore renforcé ce désir de coopération. À cette époque, un important groupe de réfugiés ukrainiens a dû quitter les territoires de l'Est saisis par la Russie et a rejoint la Pologne. Beaucoup de familles se sont installées à Poznan, une ville dynamique, moderne et en plein développement. Les Ukrainiens sont rapidement devenus la plus grande minorité ethnique de la ville, la langue est devenue audible dans de nombreux endroits. La culture et la langue ukrainienne étant proche de celles de la Pologne, l'intégration s'est faite rapidement. Avant la guerre, environ 600 étudiants ukrainiens étudiaient à l'UAM. Ils constituaient le plus grand groupe d'étudiants étrangers.
La coopération avec les universités ukrainiennes s'est par ailleurs très bien développée, grâce à de nombreux programmes soutenus financièrement par les autorités étatiques et locales. L'UAM a établi des centres d'enseignement de la langue polonaise dans plusieurs universités (par exemple à Humań et Drohobycz), des recherches scientifiques conjointes (archéologie, biologie, linguistique), des études conjointes (études de premier cycle, études orientales, sciences politiques, droit), des écoles d'été, ont été menées.
Et à l'Université de Strasbourg ?
Comme par le passé pour les Syriens, l’Université de Strasbourg, fidèle à sa tradition d’accueil et à ses valeurs humanistes est aujourd’hui solidaire de toutes celles et de tous ceux qui sont touchés directement ou indirectement par la guerre en Ukraine. Dans l’urgence et en concertation avec les acteurs internes et ses partenaires, l’université met en place une première série de mesures d’un plan de solidarité.
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