Par Marion Riegert
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Les vieillesses sur le devant de la scène

Exit vieux sages, bonjour grabataires en Ehpad… Pour sa troisième école d’automne, qui a eu lieu du 26 au 28 septembre 2023, l’ITI Lethica a décidé d'interroger les représentations des vieillesses aux 20e et 21e siècles à travers différents arts : cinéma, littérature, théâtre, histoire de l’art, danse.... Explications avec ses deux organisatrices, Corinne Grenouillet et Kenza Jernite, respectivement chercheuses au sein de l’équipe d’accueil Configurations littéraires de l’Université de Strasbourg et de l’Institut de recherche en études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle.

La vieillesse, une question d’actualité ?

Je vois de plus en plus de spectacles qui traitent de ce sujet et mettent en scène des personnes âgées. Avec des questions liées à l’âge : qu’est-ce qu’apprendre un texte par cœur quand on a 80 ans ? Les acteurs et les actrices m’ont dit qu’ils avaient un vrai problème de mémoire, certains ont une oreillette. Il y a aussi le problème du temps de travail, de la fatigue…, souligne Kenza Jernite qui a effectué son post-doctorat sur les représentations de la fin de vie et du grand âge sur les scènes contemporaines à Strasbourg. La vieillesse est aussi une question qui se pose de plus en plus dans le monde du travail, mais aussi celui des soignants, ajoute Corinne Grenouillet qui vient de lancer un projet de recherche sur le grand âge en littérature contemporaine.

Pourquoi parler des vieillesses ?

Une personne peut entrer en maison de retraite à partir de 60 ans. On parle par ailleurs de seniors à partir de 65 ans, précisent les deux chercheuses qui parlent à dessein des vieillesses au pluriel. De 70 à 90 ans, ce n’est pas le même âge de la vie. Les représentations varient également et le stéréotype du vieux sage a depuis longtemps été abandonné au profit d’une représentation sinistre de la vieillesse.

Il y a une tradition de la représentation négative depuis l’Antiquité, les vieux sentent mauvais, sont laids

Les vieux sages étaient ceux qui gardaient la mémoire, avec l’arrivée de l’écrit, nous n’avons plus eu besoin d’eux, glisse Kenza Jernite. Il y a une tradition de la représentation négative depuis l’Antiquité, les vieux sentent mauvais, sont laids, mais on trouve parfois tout de même dans la littérature contemporaine, des papis farceurs ou des personnages positifs qui soutiennent les jeunes générations, complète Corinne Grenouillet qui remarque, que de nos jours, à l’inverse de la naissance, la vieillesse et la mort sont devenues payantes. Des différences existent également en fonction du genre. Dans les films, la masculinité vieillissante est plus sexy que la féminité vieillissante…

Quelles interventions durant l’école d’automne ?

Médecin, historien de l’art, du cinéma, de la danse, spécialistes du théâtre ou de la littérature, de l’éthique… Dix-neuf intervenants de différentes disciplines étaient réunis durant l’école d’automne. Et ce pour aborder différentes questions en lien avec la vieillesse comme celle du tri des personnes âgées qui s’est reposée durant la crise du Covid-19. Le débat sur la fin de vie se pose à travers différentes fictions qui évoquent le sujet. Sans oublier l'invisibilisation de certains aspects du vieillissement avec la mise en avant dans les films et spectacles des côtés spectaculaires de la vieillesse : Alzheimer, démence, corps incontinents… La question se pose alors de comprendre ce que l’on décide de montrer ou de cacher, et pourquoi, précise Kenza Jernite. La représentation des aidants, celles et ceux qui prennent soin des personnes âgées, est également abordée : Y a-t-il une histoire (littéraire, théâtrale) de l’aidant ?

Un spectacle/mise en voix

Lors de l’école d’automne, Kenza Jernite a présenté une première mise en espace de sa recherche-création « Vieillesses irrégulières ». Recherche-création ? J’utilise les moyens du théâtre pour mettre en scène les travaux d’autres chercheurs ou chercheuses et pour éprouver au plateau les questions qu’ils ou elles posent. Ici, Kenza Jernite s’appuie sur les travaux de l’historienne Mathilde Rossigneux-Méheust, qui s’intéresse aux vieillesses en hospice au 20e siècle, et notamment aux instruments disciplinaires qui ont permis de trier, jusque dans les années 1980, les « bons » des « mauvais » vieux.

Pour mettre en scène son travail, la jeune femme a réalisé un montage de textes issus des rapports de punition des résidents et des fichiers des indésirables, datant de 1949 à 2005, dénichés par l’historienne dans les archives du château de Villers-Cotterêts. Une bâtisse qui fut un hospice puis une maison de retraite. Sans oublier les correspondances adressées par les résidents au directeur. En fond, la « voix du château », dont le texte a été écrit par Mathilde Rossigneux-Méheust, permet de naviguer dans ces archives. Le spectacle est une étape de travail. L’idée étant de poursuivre ce travail en janvier avec une nouvelle résidence, précise Kenza Jernite.

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