Les sciences humaines et sociales scrutent les futurs de la science-fiction
Les 24 et 25 avril derniers, les journées d’études « La fabrique des futurs de la science-fiction » réunissaient à Strasbourg des chercheurs en sciences humaines et sociales autour d’un objet d’étude commun : la science-fiction. Genre très populaire, la « SF » fait circuler des représentations de futurs socio-politiques et travaille l’imaginaire inconscient de nos sociétés. Que nous dit-elle de futurs potentiels ? En quoi les futurs qu’elle représente sont-ils influencés par le présent ?
Hugo Canihac, maître de conférences à Sciences-Po Strasbourg, et Adrien Estève, maître de conférences à l’Université Clermont Auvergne sont à l’initiative de ce rendez-vous scientifique. En réunissant des chercheurs de nombreuses disciplines et établissements universitaires, les deux politistes, lecteurs assidus de romans de science-fiction (SF), sont parvenus à joindre l’utile à l’agréable. Alors qu’il existe de nombreux travaux en littérature sur la SF, il s’agissait, lors de ces journées d’études, de convoquer les sciences humaines et sociales (SHS), pour apporter un regard différent : La science-fiction est un objet quelque peu délaissé par les SHS. Il est davantage considéré comme “distrayant” que d’autres genres littéraires
, note Hugo Canihac. Pourtant, c’est un genre qui emprunte fréquemment des concepts ou des théories aux sciences humaines et sociales. L’auteur français Alain Damasio, par exemple, reprend des théories de Deleuze dans ses romans.
« La science-fiction est un genre qui emprunte fréquemment des concepts ou des théories aux sciences humaines et sociales »
La science-fiction n’est pas à proprement parler le domaine de recherche du maître de conférence, qui se consacre à la prospective européenne. Son confrère de l’université auvergnate planche, de son côté, sur les risques environnementaux. Tous deux ont cependant en commun des travaux scientifiques qui ont trait à l’anticipation et au futur. Dans mon quotidien de chercheur, j’étudie quels peuvent être nos futurs économiques, institutionnels ou environnementaux, et qui les préfigure, que ce soient des économistes ou des climatologues par exemple, ou des institutions. Dans la science-fiction, on retrouve toujours une dimension d’anticipation
, explique Hugo Canihac.
Interdisciplinarité et discussions passionnées
Consacrer deux journées à ce genre massivement diffusé dans la littérature, au cinéma ou dans les jeux vidéo, est un moyen de mettre en lumière l’intérêt qu’il représente d’un point de vue scientifique. C’est un vrai paradoxe que la SF soit considérée comme un sous-genre, qu’elle souffre d’un manque de reconnaissance alors que certains textes sont devenus des classiques, y compris en sciences politiques. Il est banal, par exemple, de retrouver des références à 1984 dans les travaux sur les régimes politiques autoritaires
, relève Hugo Canihac. Pour organiser ces journées d’études, nous ne sommes pas partis de l’idée que la SF prédit le futur, mais qu’elle reflète les préoccupations du temps présent. Les œuvres relèvent des signaux faibles ou latents qui existent de nos jours, mais qui ne se sont pas encore concrétisés et qui peuvent présenter des risques pour notre futur. Les auteurs formulent aussi des critiques : il est parfois plus facile pour eux de faire passer des messages politiques en les situant dans le futur que dans le présent, notamment quand il faut contourner la censure dans leur pays.
Des interventions inscrites dans trois axes majeurs de réflexion
Des chercheurs en sciences politiques, sociologie politique, théorie politique et philosophie, littérature, économie ont participé, dans une démarche interdisciplinaire. Tous les intervenants étaient particulièrement attentifs et les discussions ont été très riches, voire trop, le planning était difficile à tenir !
Les interventions se sont inscrites dans trois axes majeurs de réflexion : la science-fiction comme vecteur et lieu de circulation des idées politiques ; les œuvres et leurs thématiques comme reflet de leur époque d’élaboration ; quels rapports existent entre les crises du présent et les futurs potentiels (avec une prégnance des problématiques environnementales). L’ambition des organisateurs est désormais d’éditer une publication collective pour faire état de ces échanges fructueux. Et - qui sait de quoi le futur sera fait ? - participer à une nouvelle conférence sur le sujet l’année prochaine…
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