Aide à mourir : « faire preuve d’attention et de tact envers les soignés et les soignants »
Intégré dans le projet de loi sur la fin de vie, le texte sur l’aide à mourir est discuté pour la deuxième semaine consécutive à l'Assemblée nationale. Avec 90% de la population en faveur de la loi, 74% des médecins en faveur d’une légalisation de l’aide active à mourir et 58% prêts à y participer activement*, le texte suscite le débat. Le point avec Patrick Karcher, médecin gériatre retraité des Hôpitaux universitaires de Strasbourg et directeur du site d'appui alsacien de l’Espace de réflexion éthique Grand Est.
Comment est légalement encadrée la fin de vie actuellement ?
Le code la déontologie de 1947 stipulait l’obligation de maintenir la vie à tout prix. En 2005, un changement apparait dans la vision de la médecine avec la loi du 22 avril, dite loi Léonetti, relative aux droits des malades et à la fin de vie. Elle permet aux médecins avec l’accord du patient, si la souffrance est trop importante, d’administrer un traitement soulageant le malade mais « qui peut avoir pour effet secondaire d'abréger sa vie ». Le texte, essentiel dans la prise en compte des situations pénibles de fin de vie, est resté insuffisamment appliqué. Le même texte a institué la possibilité d’interrompre ou de ne pas entreprendre un traitement s’il est « inutile, disproportionné ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie ». Pour certaines maladies comme celle de Charcot, ces dispositifs permettent d’améliorer la fin de vie. Les maladies où la question se pose le plus directement, ce sont les cancers. Des euthanasies d’exception restent pratiquées dans des situations d’impasses thérapeutiques. De nos jours, avec la judiciarisation de la société, un cadre légal devenait nécessaire.
Cette nouvelle loi est le fruit de débats débutés dès 2021 ?
En 2021, Olivier Falorni, député de Charente-Maritime, rapporteur de la proposition de loi de 2025, propose un premier texte qui n’est pas voté. Le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé décide alors de s’autosaisir de la question. Son rapport publié en 2022 conclut qu’il y a une place pour l’autorisation légale du suicide assisté avec euthanasie d’exception.
L’inscription du droit à l’aide à mourir dans le code de santé publique
Suite à cela, Emmanuel Macron lance la mise en place d’une convention citoyenne. Un premier projet de loi voit le jour en 2024 dont l’examen est interrompu par la dissolution du gouvernement et repris depuis avril 2025. Ce qu’il y a de neuf dans cette nouvelle loi, c’est qu’il y a une scission avec d’une part un texte sur l’accompagnement et les soins palliatifs (cf encadré), et de l’autre un texte sur l’aide à mourir. Ce dernier prévoit l’inscription du droit à l’aide à mourir dans le code de santé publique.
Qui pourra bénéficier de cette aide à mourir ?
Au terme de nombreux débats, cinq conditions ont été retenues. Avoir au moins 18 ans, être de nationalité française ou résider de façon stable et régulière en France. Etre atteint d'une affection grave et incurable, quelle qu'en soit la cause, qui engage le pronostic vital, en phase avancée ou terminale. Présenter une souffrance physique ou psychologique qui est soit réfractaire aux traitements, soit insupportable selon la personne. Enfin, il faut être apte à manifester sa volonté de manière libre et éclairée. Cela ne peut pas se faire par le biais d’une directive anticipée. A noter que la souffrance psychologique seule, ne peut pas donner droit à l’aide à mourir.
Quel sera le mode d’administration ?
Dans le texte initial, il était question de suicide assisté, le produit était fourni à la personne qui se l’administrait sauf si elle n’était pas en mesure de le faire elle-même, il s’agissait alors d’une euthanasie d’exception. Cet article modifié en commission et permettant à la personne de choisir le procédé d’administration, a été rétabli dans sa forme initiale en première lecture à l’assemblée. L’injection pourra être réalisée par un médecin ou un infirmier et se fera dans des hôpitaux, maisons de retraite… ou à domicile. L’acte sera remboursé, il n’y aura pas de dépassements possibles. Une modification du code des assurances est prévue pour que le décès soit inscrit comme un décès naturel.
Comment les soignants perçoivent-ils ce texte ?
C’est une évolution sociétale qui va dans le sens de l’individualisation des décisions, la loi s’adapte aux désirs de la population parmi lesquels le droit de choisir sa façon de mourir. Mais pour les soignants cela bouscule le soin, le problème c’est qu’ils seront amenés à donner la mort, le fait de devoir administrer le produit créera une charge mentale pour eux. Leur crainte c’est d’effectuer un acte qu’ils ne comprennent pas et auquel il n’aurait pas été suffisamment associés. La crainte est également celle d’une extension des critères.
Le suicide assisté pour « vie bien accomplie »
Comme en Suisse, où la fin de vie est gérée par des sociétés privées, et où l’on peut demander le suicide assisté pour « vie bien accomplie ». Les soignants craignent aussi que des personnes âgées ou en situation de handicap choisissent de mettre fin à leur vie par défaut, par manque de possibilités de soins. Comme ça peut être le cas au Canada, où une personne en fauteuil roulant s’est vue proposer l’euthanasie faute de pouvoir mettre en place des équipements adaptés à sa situation. Enfin, ils évoquent le risque de dérives. La médecine est par nature incertaine, il faudra accepter cette incertitude qui sera présente quels que soient les critères retenus.
Vous évoquez l’importance de bien penser la manière d’appliquer la loi ?
Si la loi est votée, il faudra faire preuve d’attention et de tact envers les soignés et les soignants et bien réfléchir à sa mise en œuvre. Ce n’est pas au médecin de juger de la souffrance acceptable par la personne. Il faudra réfléchir à un parcours adapté des demandes d’aide à mourir de manière à continuer à les inscrire dans le soin. La loi prévoit une clause de conscience, mais des échanges avec les soignants devront être instaurés pour éviter qu’elle ne soit invoquée de manière systématique au risque de se retrouver dans une impasse comme c’est le cas en Espagne où la loi sur la fin de vie n’a pas pu être correctement appliquée. En Belgique et aux Pays-Bas, la pratique fonctionne de longue date et est devenue courante, et, même si les contextes ne sont pas les mêmes, nous pourrons nous inspirer de ces pays.
Un texte sur les soins palliatifs
Le texte sur les soins palliatifs, qui fait également partie de la proposition de loi sur la fin de vie, a été adopté sans grands débats en première lecture le 16 mai par le parlement. Il vise à garantir l’accès à tous aux soins palliatifs et regroupe trois éléments essentiels. Un engagement sur le financement des soins palliatifs avec un tableau des sommes allouées sur 10 ans. La mise en place de 106 maisons d’accompagnement et de soins palliatifs d’ici 2034, permettant d’héberger dans un contexte moins médicalisé des personnes en fin de vie. Et enfin, la mise en place d’un plan personnalisé d’accompagnement pour notamment compléter l’expression des volontés de la personne en dehors des directives anticipées. Actuellement, seules 8% des personnes rédigent des directives dont la moitié peu informatives car non informées
, détaille Patrick Karcher.
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