« Le programme Pause honore la tradition française de défense des libertés académiques »
Menacés dans leur pays en raison de leur engagement politique ou de leurs recherches, ils ont trouvé un refuge académique à l’Université de Strasbourg : ils sont 34 à avoir bénéficié de Pause, programme national d'accueil en urgence des scientifiques en exil, depuis sa création. Bilan d’étape avec Marie Déroche, responsable de la mission Solidarité, et Mathieu Schneider, vice-président Culture, sciences-société et actions solidaires.
Pouvez-vous nous rappeler le contexte de mise en place du programme Pause, tant au niveau national qu’à l’Université de Strasbourg ?
Marie Déroche : À partir de 2015, avec la guerre en Syrie, l’université française fait face à un afflux sans précédent de réfugiés. Suite au choc de la destruction de Palmyre et l’assassinat par Daech du directeur du site archéologique, une prise de conscience de la nécessité d’une réponse coordonnée émerge. C’est la naissance du programme Pause, en 2017, concomitant de l’émergence de programmes similaires pour les étudiants en exil [Mathieu Schneider est président du réseau Migrants dans l’Enseignement supérieur et la recherche].
M. S. : Le modèle choisi par la France me semble très juste car il repose sur une implication financière (et donc politique) des universités : son financement est assuré à 60 % par l’État, le reste par les universités. À Strasbourg, les laboratoires jouent le jeu et sont très engagés, ils abondent au budget mis en place en 2017 en fonction de leurs moyens. Cela fait honneur à la tradition française d’accueil des personnes en exil et de défense des libertés académiques, et à celle de notre université.
Qui est concerné ?
M. D. : Cela évolue en fonction du contexte géopolitique : au début, surtout des personnes originaires du Proche et Moyen-Orient, Syrie, et Turquie en tête. Puis à partir de 2022, suite à la guerre en Ukraine, nous accueillons des chercheurs d’Ukraine et de Russie en majorité, mais aussi du Yémen, du Pakistan, d’Iran, etc. Nous sommes en attente d’un enseignant de français, s’il parvient à sortir de Gaza.
M. S. : Il est important de préciser que nous ne sommes pas proactifs et n’orientons pas les candidatures. La parité femmes/hommes est respectée. Même chose pour les disciplines, largement représentées, des mathématiques aux sciences politiques, en passant par la géologie ou la musicologie. On note toutefois une prédominance des Sciences humaines et sociales (SHS, 54 %), du fait même de la menace qu’elles peuvent représenter pour les pouvoirs en place (questions historiques, linguistiques, de genre, etc.).
« Le budget annuel Unistra du programme Pause, de 100 000 €, a exceptionnellement augmenté de 50 % en 2022, pour faire face à l’afflux de demandes d’Ukraine et de Russie »
Comment fonctionne le programme ?
M. D. : Dans leur grande majorité, les candidatures nous parviennent par le biais des laboratoires, interlocuteurs privilégiés des chercheurs avec lesquels ils ont déjà des liens. Un comité interne, composé de cinq personnes, vice-présidents et membres de la Commission de la recherche, sélectionne les dossiers. Les contrats ont une durée moyenne de deux ans, trois pour un doctorat. Le budget annuel Unistra du programme Pause, de 100 000 €, a exceptionnellement augmenté de 50 % en 2022, pour faire face à l’afflux de demandes d’Ukraine et de Russie.
Quelle est la suite du parcours, après Pause ?
M. S. : Avec sept ans de recul, cela reste le premier sujet de préoccupation. Force est de constater les limites. Les chercheurs en exil ont des parcours de rupture, d’au moins quatre ou cinq ans, avec différents types d’obstacles (logement, crainte pour la famille restée sur place, problèmes de santé ou psychologiques). Il leur faut plus de deux ans pour reprendre pied dans le monde de la recherche. On dit que celui-ci est international, c’est à la fois vrai et faux : les réseaux restent localisés, et dans cas des chercheurs en exil, sont très souvent à reconstruire.
M. D. : Beaucoup est fait au niveau du programme Pause – mentorat par un pair, accompagnement de la carrière, formation à la langue – sans, malheureusement, que ce soit complétement suffisant pour assurer une bonne insertion professionnelle et éviter un fréquent déclassement.
Quel avenir pour le programme ?
M. D. : Cet accompagnement doit encore être renforcé, en particulier la dimension du soutien psycho-social. Certaines situations sont dramatiques, traumatiques, avec des personnes menacées dans leur intégrité et qui, même en France, ne sont parfois pas en sécurité. Cela impacte forcément la capacité à mener à bien sa recherche.
« La volonté politique d’accueillir les chercheurs en exil est forte, et elle doit l’être d’autant plus dans le contexte géopolitique actuel »
M. S. : La volonté politique d’accueillir les chercheurs en exil est forte, et elle doit l’être d’autant plus dans le contexte géopolitique actuel.
Mais, dans la situation budgétaire d'aujourd'hui, on doit se poser la question : faut-il faire moins mais mieux, c’est-à-dire accueillir des chercheurs plus longtemps ? C’est un vrai cas de conscience, dans un monde où la liberté académique recule partout. Les demandes ne cessent d’augmenter. Avec la victoire de Donald Trump aux Etats-Unis et son projet autoritaire, on peut gager que de nouveaux sujets de recherche vont se retrouver marginalisés. Quid demain en France ? Aujourd’hui, des moyens constants pour le programme sont assurés. Mais rien ne garantit qu’ils ne soient pas, un jour, remis en question.
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Une longue tradition d’accueil universitaire
Dès les années 1920-1930, des programmes d’accueil sont mis sur pied aux États-Unis et au Royaume-Uni, pour accueillir les personnes fuyant le fascisme en Europe, en particulier l’intelligentsia juive.
À Strasbourg, la tradition d’accueil ne date pas d’hier : dans les années 1970, le biologiste uruguayen Ricardo Ehrlich, devenu ensuite maire de Montevideo, poursuit ses études dans les années 1970 et obtient sa thèse à l'Université Louis-Pasteur. Plus près de nous, la sociologue turque Pinar Selek trouve refuge en France, et d’abord à l’Université de Strasbourg, dans les années 2010.
En chiffres
Le programme Pause au niveau national :
566 scientifiques et artistes lauréats depuis la création du programme
133 établissements partenaires
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