Le fait religieux en entreprise, une cohabitation en tension
Comment résoudre la tension entre fait religieux et entreprise privée ? C’est l’objet du colloque « La diversité religieuse dans l'entreprise : Regards croisés sur un singulier pluriel » organisé, début mai, dans le cadre du projet Relien : entreprise et religion. Un sujet pour lequel le regard seul du juriste ne saurait suffire. Explications avec Vincente Fortier, directrice du laboratoire Droit, religion, entreprise et société (Dres – CNRS/Unistra) qui organise l’évènement.
Pourquoi ce colloque ?
Le fait religieux en entreprise est un sujet qui me tient à cœur, il y a une actualité judiciaire et législative tant nationale qu’européenne importante en la matière. Cela entre également dans le cadre d’un projet de formation des directeurs des ressources humaines, des chefs d’entreprise, des recruteurs… Ils ont souvent des questions sur ce sujet et semblent démunis, ils ont besoin d’un cadre juridique. Mais l’enjeu du colloque est aussi de dire que le regard seul du juriste ne peut suffire à résoudre la problématique du fait religieux en entreprise. Car la problématique interpelle autant le droit que les autres sciences humaines et sociales et les acteurs de terrain : « Comment articuler l’injonction paradoxale consistant à prôner d’un côté des politiques de valorisation de la diversité, de lutte contre la discrimination et à exiger de l’autre une forme d’invisibilité religieuse au travail ? »
Quelles questions sont soulevées ?
La diffusion dans l’entreprise privée de la neutralité des convictions, traduction juridique du principe de laïcité, n’ouvre-t-elle pas en réalité la porte à la discrimination indirecte ? Est-ce que l’identité peut se compartimenter entre identité privée et publique ? Quand on entre dans l’enceinte de l’entreprise il faudrait se dévêtir de l’identité religieuse de peur notamment d’être stigmatisé ? Quelle conception se fait-on alors de la fonction d’une entreprise, un lieu de production économique et pas un relais de valeurs sociales ? Le Guide du fait religieux dans les entreprises privées s’ouvre par cette phrase : L’entreprise a une finalité économique mais elle est également un lieu de socialisation, de discussions, d’interactions, voire parfois de confrontation puisque le salarié y est aussi un individu avec son histoire, ses convictions, sa culture, ses croyances ou sa non-croyance.
Quels faits religieux sont les plus concernés ?
Même s’il ne concerne pas seulement les convictions religieuses, le principe de neutralité des convictions vise principalement la religion et plus précisément encore la religion musulmane. La grande problématique étant celle du voile dans l’entreprise qui touche particulièrement les femmes… Aujourd’hui, la clause de neutralité dans le règlement intérieur permet d’interdire le port du voile si la salariée est en contact avec la clientèle. Avant un licenciement éventuel, l’employeur doit proposer un autre poste sans contact avec la clientèle, si cela est possible. Une affaire a été portée à ce sujet devant la cour de justice de l’Union européenne. Une ingénieure qui a toujours porté le voile a été sommée de le retirer lors de visites à un client suite à la plainte de ce dernier. Ce qui met en tension l’intérêt du salarié et celui de l’entreprise. Autre grande problématique : celle du rapport sexiste, un homme qui pour une raison religieuse ne voudrait pas serrer la main d’une femme ou obéir à sa supérieure hiérarchique.
Quelles conclusions ?
Il faut changer notre regard, favoriser la coexistence pacifique, faire fonctionner notre rapport à l’autre
Ce que l’on note c’est que si la problématique du fait religieux dans l’entreprise est présente ce n’est pas le problème principal pour le salarié en entreprise. Par ailleurs, il ne faut pas qu’une décision de l’entreprise soit « polluée » par le mobile religieux. Afin d’éviter le spectre de la discrimination, mieux vaut se tourner vers le code du travail. Si le droit est une façon de réguler une société qui doit porter des valeurs humanistes, je suis pour la négociation, la discussion. Le but est d’avoir une société la plus inclusive possible. Il faut changer notre regard, favoriser la coexistence pacifique, faire fonctionner notre rapport à l’autre.
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