Enseignement et IA génératives : apprendre à vivre ensemble
Menace ou opportunité pour les pratiques pédagogiques et l'évaluation ? Les Intelligences artificielles (IA) génératives, à l’image du fameux ChatGPT, constituent un nouvel outil avec lequel il va falloir composer. Afin de sensibiliser et accompagner les enseignants, l’équipe de vice-présidence Formation et parcours de réussite lui a consacré une matinée de séminaire. Entretien avec Sophie Kennel, vice-présidente déléguée à la transformation pédagogique, et Thierry Burger-Helmchen, vice-président délégué à l’offre de formation.
Comment le sujet ChatGPT est-il arrivé sur la table de la vice-présidence ?
T. B.-H. Le sujet était là depuis longtemps, mais clairement la diffusion massive de ChatGPT durant les vacances de Noël a suscité des interrogations fortes du corps enseignant face à l’incroyable capacité des IA génératives. Elles fonctionnent grâce à un algorithme dont la nouveauté est d’être couplé à une capacité de calcul et d’absorption d’informations jamais vue auparavant.
S. K. Le sujet a été évoqué plusieurs fois par les équipes pédagogiques lors de nos rencontres avec les composantes pour la préparation de la nouvelle offre de formation 2024-2028. En tant qu’enseignants-chercheurs, nous sommes aussi confrontés à cette question. C’est une problématique qui demande d’agir vite pour garantir des évaluations rigoureuses et sécurisées mais aussi en profondeur pour faire évoluer la formation en tenant compte de ces bouleversements.
Comment est-il appréhendé ?
S. K. C’est la formation dans son ensemble qui demande à être repensée dans certains domaines, l’informatique ou les langues par exemple : quelles compétences, quels métiers pour demain à l’heure de l’IA ? Comment former les étudiants dans une reconfiguration des compétences et des métiers intellectuels aussi rapide ?
T. B.-H. A l’issue de la matinée consacrée aux IA génératives, nous avons réalisé un petit questionnaire. Il montre que 100 % des enseignants sont conscients que ces IA existent et qu’elles ont un impact sur la pédagogie, c’est une connaissance commune, ce qui est rassurant. Pour moi, ces IA représentent la même évolution qu’internet par le passé. Je pense que ChatGPT sera la première source d’information d’ici quelques années et remplacera Wikipédia. L’idée est de l’utiliser de manière intelligente. Il faut rester vigilant, ChatGPT a tendance à exprimer des choses fausses avec un pouvoir persuasif. C’est à nous, enseignants, d’être capables d’accompagner les étudiants face à ces nouvelles technologies.
Justement, comment l’IA peut-elle être utilisée pédagogiquement parlant ?
T. B.-H. A l’image de l’utilisation d’internet, l’IA peut être employée pour enrichir les cours. Je propose moi-même à mes étudiants des études de cas. Les étudiants doivent décrire la stratégie d’une entreprise. Pour ce faire, ils sont séparés en trois groupes : le premier ne dispose que de ses connaissances, le second d’internet, le troisième d’internet et de ChatGPT. Des collègues juristes utilisent ChatGPT pour effectuer des commentaires de décisions juridiques et les comparer à des décisions réalisées par des humains en demandant qui a raison ou tort.
S. K. Ces exemples montrent tout à la fois la diversité des réponses possibles pour faire des IA un outil utile à la formation des étudiants et la grande créativité des enseignants pour s’adapter aux défis qui s’imposent à nous.
Quel impact sur l’évaluation ?
S. K. Les craintes de fraude exprimées dépendent beaucoup des disciplines et des pratiques d’évaluation des enseignants. Il est évident que de nombreuses modalités d’évaluation devront être repensées : les travaux à la maison ou les devoirs qui demandent des réponses formatées présentent le plus de risques. On peut par exemple élaborer des évaluations plus pratiques ou des sujets qui permettent de vérifier réellement l’analyse personnelle. La définition de critères d’évaluation qui valorisent l’originalité du travail, la qualité des références bibliographiques, le respect du droit d’auteur, est aussi déterminante. Mais il faut bien réfléchir à la manière de modifier ces modalités d’évaluation pour éviter d’augmenter la charge de travail des équipes pédagogiques et de scolarité.
T. B.-H. Les étudiants sont plus rapides à utiliser les IA que nous à les comprendre… Mais utiliser une IA reste du plagiat. Des outils permettent de détecter les fraudes mais cela reste difficile à dire avec certitude lorsqu’il s’agit de textes générés par une IA. Pour les examens plus standards, ce qui peut mettre la puce à l’oreille, c’est de constater une grosse différence en termes de réussite comparativement au taux de réussite habituel. Aujourd’hui, de nombreuses composantes voient le retour aux examens oraux comme la solution, avec un frein tout de même lorsqu’il y a de grands effectifs.
L’université va-t-elle mettre des choses en place de manière globale ?
S. K. Le sujet sera de nouveau abordé lors du séminaire de la vice-présidence Formation et parcours de réussite du 2 juin prochain, qui porte sur l’évaluation des apprentissages. A partir des expériences partagées et des propositions que feront les collègues, nous mettrons des actions en œuvre à la rentrée 2023 : des formations, un guide par exemple. Le règlement général des examens et concours a déjà été modifié sur la partie concernant le plagiat, mentionnant les « outils conversationnels ou rédactionnels à partir d’une intelligence artificielle ». Ces modifications ont été approuvées par la Commission de la formation et de la vie universitaire (CFVU) du 9 mai 2023 et seront soumises au prochain conseil d’administration de l’université.
T. B.-H. Une nouvelle journée est également prévue autour des IA et de la pédagogie. Une réflexion est en cours pour proposer un Mooc dédié à la connaissance et à l’utilisation de ces outils.
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