« La commission Sauvé n’avait pas pour objectif de punir mais de “faire la lumière” »
Thomas Boullu et Raphaël Eckert, chercheurs au sein du laboratoire Droit, religion, entreprise et société (Dres - Unistra/CNRS), reviennent dans le numéro de mai de la Revue du droit des religions sur les travaux de la commission Sauvé (Ciase) concernant les violences sexuelles dans l’Église catholique en France.
Pourquoi était-il important pour la Revue du droit des religions de revenir sur les travaux de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) dix-huit mois après la remise de ses conclusions ?
Raphaël Eckert. Tout d’abord, la question est toujours d’une actualité brûlante, les nombreuses affaires révélées depuis 2021 l’attestent. Ensuite, on a surtout retenu du rapport remis par Jean-Marc Sauvé en octobre 2021 l’ampleur du phénomène des violences sexuelles dans l’Église en France, en insistant sur la parole des victimes, ce qui est tout à fait normal. Mais peu a été dit sur le mécanisme même de la Ciase, son originalité, sa méthode. C’est cet angle, celui de l’approche scientifique, sur lequel nous revenons dans le dernier dossier de la Revue du droit des religions.
Les travaux de la Ciase ont été menés en s’appuyant sur le travail de nombreux chercheurs
Thomas Boullu. Cela nous a paru d’autant plus important que les travaux de la Ciase ont été menés en s’appuyant sur le travail de nombreux chercheurs, à l’origine de plusieurs rapports scientifiques. Une enquête sociologique sur les victimes et une analyse socio-historique des violences sexuelles dans l’Église sur lesquelles s’est appuyée la commission pour rendre ses conclusions mais qui finalement ont peu été commentés. À travers ce dossier, nous voulions aussi mettre en lumière le travail des chercheurs qui ont permis de mieux comprendre et quantifier le phénomène des violences sexuelles dans l’Église catholique en France.
Nombre de contributions du dossier émanent de chercheurs qui ont eux-mêmes participé aux travaux de la commission. Pourquoi ce choix ?
R. E. À quelques exceptions près, les juristes ont rarement l’occasion de lire les analyses de celles et ceux qui ont produit les décisions qu’ils commentent. Pour une fois, nous avons, en partie, voulu proposer un regard sur les rapports de la Ciase par ceux qui les ont produits. Après tout, ce sont les meilleurs connaisseurs de ces travaux. Cette dimension « intérieure » est selon moi un vrai plus de notre dossier.
T. B. Il s’avère que j’ai moi-même eu l’opportunité de participer aux travaux de l’équipe de Philippe Portier, historien et sociologue des laïcités à l’École pratique des hautes études, directeur du rapport socio-historique. Toutefois, dans le dossier, le regard de ceux qui ont participé n’est de loin pas le seul. D’autres contributions françaises et internationales viennent le compléter en comparant l’expérience française de la Ciase avec l’expérience allemande par exemple.
La pédophilie au sein de l’Église n’est pas un phénomène franco-français. Dans nombre de pays, des expériences similaires à celles de la commission Sauvé ont été menées. En quoi l’expérience française diffère-t-elle des autres ?
La France n’est pas pionnière dans la mise en place de telles commissions d’enquête
R. E. La France n’est pas pionnière dans la mise en place de telles commissions d’enquête sur le sujet des violences sexuelles dans l’Église, c’est un modèle qui a vu le jour dès les années 1990 aux États-Unis. Une des contributions du dossier montre bien que même si les conclusions des commissions s’accordent sur la réalité et l’ampleur du phénomène au sein de l’institution ecclésiale, leur commanditaire, leur composition, leur méthodologie, leur objectif diffèrent vraiment en fonction des pays. Certaines ont vocation à initier des poursuites pénales contre des prêtres, d’autres pour principal objectif d’indemniser des victimes, les dernières ont des spectres plus larges accordant comme en France une place importante aux sciences historiques pour mieux comprendre le phénomène.
T. B. La grande place donnée aux sciences humaines et sociales dans les travaux de la commission, fruit de la volonté de Jean-Marc Sauvé, mérite d’être interrogée. D’autres pays se sont plus appuyés sur le droit canonique ou la psychiatrie par exemple. Une autre particularité française réside dans la coopération entre acteurs publics et privés, les travaux scientifiques de la Ciase ayant été financés par l’Église mais menés par des centres universitaires. Un modèle qui s’exporte dans les pays d’Europe latine. Enfin, comme l’a évoqué Raphaël Eckert, la philosophie présidant les travaux de la Ciase est elle aussi singulière. Elle n’avait pas pour objectif de punir et de réprimer, mais bien de « faire la lumière » – expression qui n’a pas été choisie au hasard – sur les violences sexuelles au sein de l’Église catholique en France.
- Thomas Boullu et Raphaël Eckert donneront une conférence « Savoir(s) en partage : retour sur les travaux de la commission Sauvé (Ciase) », organisée par les Presses universitaires de Strasbourg et la BNU, le 27 septembre 2023 à 18 h 30. Entrée libre.
- Pour aller plus loin, lire aussi : « Commission sur les abus sexuels dans l'Église : 1 789 abuseurs identifiés »
La Revue du droit des religions
La Revue du droit des religions a pour ambition d’offrir une meilleure compréhension des enjeux relatifs à l’encadrement juridique du phénomène religieux dans nos sociétés contemporaines (liberté de religion, signes religieux, religion au travail…). Revue à comité scientifique, elle est dirigée par Françoise Curtit, ingénieure de recherche au CNRS et membre du laboratoire Droit, religion, entreprise et société, et par Gérard Gonzalez, professeur de droit public à l’Université de Montpellier. Tous ses numéros sont accessibles en version électronique sur Open Edition.
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