Par Marion Riegert
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Iel, wokisme, remigration… les néologismes militants à la loupe

Revendications féministes, écologistes, animalistes, politiques, mouvements contestataires ou identitaires… les discours militants font abondamment usage de la néologie. Pour les étudier, Vincent Balnat et Christophe Gérard, spécialistes de lexique et de néologie, organisent un colloque international les 16 et 17 novembre, à Strasbourg, intitulé : « Lutter avec des mots : néologisme et militantisme ». Entretien avec Vincent Balnat, chercheur au laboratoire Linguistique, langues, parole (Lilpa – Unistra).

Qu’est-ce qu’un néologisme ?

Un néologisme est un mot que les locuteurs ressentent comme étant nouveau. Il existe des néologismes de forme, qui reposent sur un procédé de formation comme la suffixation ou la préfixation (anti-vax) ou sont issus d’une création « ex nihilo », à l'image de Moldu qui désigne une personne qui n’appartient pas à la communauté des sorciers dans l’univers d’Harry Potter.

Il est d’usage de les distinguer des néologismes dits de « sens » : le terme existe déjà et prend une nouvelle signification (supporter dans le sens de « endurer », puis dans celui de « soutenir »). Les mots récemment empruntés à d’autres langues sont également considérés comme des néologismes (binger, metaverse). Avec le temps, certains néologismes disparaissent de l’usage alors que d’autres se diffusent et feront leur entrée dans le dictionnaire, enrichissant alors le lexique standard.

Tous les néologismes sont-ils militants et inversement ?

Tous les néologismes ne sont pas militants, certains sont créés pour parler d’innovations techniques, par exemple Chat-GPT. En revanche, nombreux sont les courants militants qui recourent à des néologismes, que ce soit pour dénoncer des comportements, des pratiques, par exemple les termes Françafrique, greenwashing, wokisme, ou des évolutions, notamment environnementales : écocide, urgence climatique. Les néologismes militants peuvent servir également à rendre visibles des minorités (iel, queer), désigner des représentations idéologiques (islamo-gauchiste, néo-féminisme), voire appeler au changement politique (dégagisme, remigration).

Les néologismes militants peuvent être mis au service de revendications d’ordre linguistique

À côté de ces exemples connus, il existe des créations occasionnelles ou de faible diffusion visant à marquer les esprits. On les retrouve sur les réseaux sociaux, dans la presse ou lors de manifestations : pensons au slogan Non au pass nazitaire !, brandi contre la généralisation du vaccin. Au-delà du climat, de la politique et du féminisme, les néologismes militants peuvent être mis au service de revendications d’ordre linguistique, telles que la préservation des dialectes ou la dénonciation contre le recours irréfléchi aux anglicismes.

Parlez-nous des interventions qui auront lieu durant le colloque...

Parmi plus d’une centaine de propositions de communication, nous avons dû en sélectionner une vingtaine, les critères étant bien sûr la qualité scientifique, mais aussi la diversité des thématiques et des approches méthodologiques. Issus de huit pays, les 30 intervenants sont des linguistes reconnus et des jeunes chercheurs spécialistes de néologie, ainsi que quelques praticiens. De nombreuses communications reposent sur l’analyse des discours et mettent en lumière les oppositions entre groupes sociaux et l’importance centrale de la question identitaire liée à ces groupes.

Des néologismes militants utilisés par l’extrême droite depuis les années 1960

Il sera question notamment des néologismes militants utilisés par l’extrême droite depuis les années 1960, par les féministes en République démocratique du Congo, par les opposants à la vaccination contre le Covid-19 ou encore par les défenseurs de la gestation pour autrui en espagnol. Une intervention portera sur la guerre en Ukraine : « Non à la mobilisation ! Le néologisme comme marqueur de l’idéologisation du discours de quelques organisations militantes russes opposées à la guerre en Ukraine. » Quelques communications traiteront du phénomène qui consiste à créer, pour des groupes stigmatisés, des néologismes désignant le groupe censé incarner la « normalité » et qui interrogent par là-même cette prétendue « normalité ».

Et après ? Une publication dans la revue Neologica en perspective ?

Avec Christophe Gérard, nous dirigeons depuis 2018 la revue Neologica, fondée en 2007 par John Humbley et Jean-François Sablayrolles (éditions Garnier). Les numéros de 2025 et 2026 seront consacrés à la thématique du colloque et rassembleront des articles issus d’une sélection de communications qui y seront présentées.

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