Par Marion Riegert
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Guerre en Ukraine : « La littérature, l’art et la culture… font partie du champ de bataille »

Nouvelles pratiques d’écriture dans la Russie contemporaine, redéfinitions du canon littéraire russe, de ses frontières et de son contenu… Porté par Victoire Feuillebois, maitresse de conférences au Département d'études slaves, le projet ArtAtWar s’intéresse aux conséquences littéraires de la guerre en Ukraine. Commencé en 2025, il bénéficie d’un financement de l’Agence nationale de la recherche pour trois ans dans le cadre de l’appel « Jeune chercheur jeune chercheuse ».

Qui ?

Le projet rassemble une équipe de 12 jeunes chercheurs en littérature russe, ukrainienne ou comparée sous ma direction. Une chercheuse de l’Université de Grenoble est membre du programme Pause, réservé aux chercheurs en exil. Il y a aussi une chercheuse de Russie qui a fui la guerre.

Pourquoi ?

La guerre entre la Russie et l’Ukraine a cette particularité d’être aussi une guerre culturelle qui impacte différents objets. La littérature, l’art et la culture… font ainsi partie du champ de bataille. La guerre a changé le visage de la littérature russe, comme le regard que nous portons sur elle. Après le déclenchement de la guerre, des mouvements aux Etats-Unis et en Europe ont demandé à ce que des manifestations culturelles avec des œuvres ou des artistes russes soient annulées. En Ukraine, des statues d’auteurs russes sont déboulonnées : c’est le cas pour Pouchkine, considéré comme le fondateur de la littérature russe. 

Des auteurs qui se dissimulent sous un pseudonyme

Côté russe, on voit apparaître ou se généraliser des pratiques nouvelles, avec des auteurs qui se dissimulent sous un pseudonyme pour échapper à la répression et des éditeurs qui publient depuis l’étranger. Par ailleurs, une question jusqu’alors très peu présente dans les études slaves est apparue autour de la désignation de l’origine des auteurs, dans une perspective décoloniale : un artiste né sur le territoire ukrainien à l’époque de l’Empire russe était désigné comme Russe, mais certains musées font désormais le choix de le présenter comme ukrainien. 

Quoi ?

Ces transformations n’ont pas encore eu d’impact notable dans le champ français des études slaves. Notre idée est de documenter les changements provoqués par la guerre dans le champ littéraire, du début du 19e siècle à nos jours, et l’impact sur les pratiques et les paradigmes de recherche. Qu’est-ce qui va changer dans la manière dont on décrit la littérature ? Notre regard actuel est-il trop russocentré ? Est-ce qu’un mouvement de révision est lancé ? Le projet, porté par le Groupe d'études orientales, slaves et néo-helléniques (GEO - Unistra) en lien avec l'Institut thématique interdisciplinaire (ITI) Lethica (Littératures, éthiques & arts), mobilise aussi des questions éthiques : la littérature russe est souvent présentée comme naturellement éthique, mais ce point est contesté aujourd’hui côté ukrainien. 

Réfléchir à des manières éthiques de nommer nos objets de recherche

Cela nécessite de faire une généalogie de cette croyance, et encourage à réfléchir à des manières éthiques de nommer nos objets de recherche, en tenant compte de cette difficile question de l’assignation nationale des artistes. A terme, ces outils pourront resservir ailleurs que dans le champ des études slaves : beaucoup d’artistes ont eu un destin transnational, ou bien sont nés dans les colonies. Comment rendre justice à leurs parcours complexes tout en continuant à les situer adéquatement au sein de l’histoire de la littérature ? 

Un festival de recherche création

Parmi les activités prévues en 2025 dans le cadre du projet, le festival de théâtre Lioubimovka sera organisé à l'automne autour de la guerre en Ukraine. Une journée d'étude sera associée, avec une partie réflexive et des tables rondes avec des écrivains et éditeurs en exil. 

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