Par Elsa Collobert
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Chute de la fécondité française : la fin d'une exception européenne ?

Jamais si peu de bébés ne sont nés en France qu'en 2023. Au point que le président de la République en appelle à un « réarmement démographique » et annonce un grand plan de lutte contre l'infertilité. Mais quels mécanismes sont à l'œuvre derrière les courbes de population ? Cela met-il notre économie en péril ? On démêle le vrai du faux, et leurs conséquences, avec un économiste et un démographe – chacun père de deux enfants !

« Baisse vertigineuse de la natalité en France » (Francetvinfo) ; « Chute des naissances » (Le Monde) ; « La baisse de la natalité s'accélère » (Ouest-France). Les titres de presse sont alarmistes, les chiffres aussi : - 6,8 % par rapport à 2022, 678 000 naissances en 2023, soit le plus faible chiffre depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, d'après l'Insee. Le nombre moyen d’enfant par femme est de 1,68, soit beaucoup moins qu’en 2010, où elles avaient plus de deux enfants.

Didier Breton, démographe, et Bertrand Koebel, économiste, nuancent toutefois : Déjà au début des années 1990, les courbes de naissance ont enregistré une baisse importante, avec un creux à 1,66 enfant par femme en 1993. Toutefois, les chiffres actuels sont inédits depuis 1945, avec une baisse continue depuis le milieu des années 2010, observent les chercheurs. Qui invitent à distinguer taux de natalité et fécondité : Ne prendre en compte que le premier, soit le nombre en valeur absolue de naissances, peut avoir des effets déformants sur le long terme (lire encadré). Ce qui est étonnant, c'est le rythme de baisse : près de 7 %, c'est du jamais vu en une année ! commente Didier Breton, le démographe.

La fin de l'exception démographique française

L'enseignement principal, c'est que cela acte très probablement la fin de l'exception française. La courbe rejoint celle de nos voisins européens les plus féconds. Bertrand Koebel, l’économiste, invite à replacer ces chiffres dans leur contexte : Historiquement, taux de croissance économique et démographique sont liés. Du moins dans la vision des Trente-Glorieuses et du plein emploi (1945-1975), marquées par un "baby-boom". Or, cette théorie de la croissance a largement évolué à la fin du 20e siècle, pour intégrer la pollution et l'épuisement des ressources, relativisant l'importance de la croissance démographique pour la soutenabilité d'une économie. Pour autant, on constate que l'argument écologique est au final peu mobilisé par les femmes pour expliquer leur non-souhait d'enfant, note Didier Breton. C'est sûrement que la "tolérance" sociale sur cette question du non-enfant progresse en France.

Hausse du coût de la vie et politiques familiales

Dans le contexte actuel, les couples en âge de faire des enfants ont repoussé leur projet fécond, faute de conditions propices, notamment économiques, souligne Bertrand Koebel. Augmentation de la durée des études, entrée plus tardive sur le marché du travail, durcissement de l’économie… Les explications sont multifactorielles, parmi elles se trouvent la hausse du coût de la vie et du crédit immobilier.

Les politiques familiales, qui permettent de concilier vie de famille et vie professionnelle, entrent aussi pour beaucoup en ligne de compte : ainsi, si l'on compare France et Allemagne – chose qu'a faite Bertrand Koebel dans ses travaux – on remarque qu'Outre-Rhin, hausse du niveau de revenus ne rime pas avec rebond de la natalité... parce que les politiques familiales ne prennent pas le relais. Là-bas, les femmes ont trop à y perdre en progression de carrière. Pourtant, les aspirations individuelles à faire des enfants sont peu ou prou les mêmes dans les deux pays.

En France, on observe un décrochage à partir de 2014, sous l’effet conjugué de la difficulté d’obtenir une place en crèche et les mesures familiales de la présidence de François Hollande. La réforme de la Prestation d’accueil du jeune enfant (Paje) de 2014 a ainsi eu un effet direct sur la baisse du taux de natalité, et ce surtout pour les ménages relativement plus aisés, a démontré Nelly Elmallakh lors de son post-doctorat à l'Unistra.
Quels seront les effets à long terme de ce changement de paradigme ? Difficiles à prévoir, car le taux de natalité futur dépend de variables inconnues à ce jour. Un constat s’impose toutefois : l'équilibre sur lequel repose notre système d'État-providence, et notamment la soutenabilité du système de retraites par répartition, est fragilisée par le double effet de la baisse de naissances et l’augmentation de la durée de vie.

Une possible concurrence effrénée pour les migrants

Dans un contexte global de baisse de la population européenne, certains économistes prédisent que les pays vont entrer dans une concurrence pour attirer des migrants, face à la pénurie de main-d'œuvre locale, souligne Bertrand Koebel. Une projection à rebours des discours économiques et politiques ambiants. Le niveau global des salaires risque d'augmenter, tout comme celui des prix et des biens et des services, et le niveau de vie des personnes inactives risque de chuter. Déjà partiellement visibles, ces difficultés pourraient s’accentuer avec la baisse de la population européenne.

Taux de fécondité et de natalité, à ne pas confondre !

Didier Breton alerte sur les pièges dans lesquels ne pas tomber quand on s'intéresse à la démographie, d'autant que le mode de calcul et l’évolution de l’Indicateur conjoncturel de fécondité que publie l’Insee est complexe à interpréter. De plus, il faut bien distinguer taux de natalité et de fécondité.

Le premier représente le nombre total d'enfants nés en une année (valeur absolue), le second le nombre d'enfants par femme en âge de procréer. S'il passe sous la très symbolique barre des 2, comme c'est le cas en France actuellement (1,68), on est au-dessous du seuil nécessaire au renouvellement de la population.

Attention à certains effets grossissants du taux de natalité qui peuvent constituer des trompe-l’œil : On a observé deux ressauts de la courbe des naissances, au début des années 2000 et en 2021, juste après la crise du Covid. Les femmes nées dans les années 2000 entrant dans leur vie féconde, on risque aussi d'observer un autre effet rebond. Mais si on regarde le temps long et le plus significatif taux de fécondité, depuis 1945, celui-ci ne cesse de baisser et n’a aujourd’hui jamais été aussi bas.

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