Par Marion Riegert
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Médicamentoscopie, donner une nouvelle vie aux médicaments

Repositionner des médicaments existants prescrits pour d’autres pathologies… L’idée n’est pas nouvelle, mais l’originalité du projet de Jacques-Eric Gottenberg, médecin, chef du service de rhumatologie des Hôpitaux universitaires de Strasbourg, réside dans l’utilisation de nouveaux outils de recherche, pour relier maladies orphelines de traitements et médicaments déjà disponibles. Une méthode assez rapide et peu coûteuse pas encore appliquée aux rhumatismes inflammatoires ou aux maladies auto-immunes (3 à 5 % de la population), que le chercheur souhaite cibler.

Il existe des milliers de médicaments. Déjà testés, ils ont fait la preuve de leur efficacité, leurs effets secondaires, y compris à long terme, sont généralement connus. Ceci permet de court-circuiter plusieurs étapes du développement habituel du médicament, dont la durée est divisée par deux, et d’en diminuer le coût, quelques millions d’euros contre plusieurs milliards, souligne Jacques-Eric Gottenberg.

Le repositionnement déjà utilisé en cancérologie ou dans les maladies musculaires permet aussi de chercher des médicaments pour des maladies très rares, pour lesquelles il n’est pas forcément facile de susciter l’intérêt de l’industrie pharmaceutique. Mais pas question de tenter tout et n’importe quoi au petit bonheur : La démarche de repositionnement implique une méthodologie scientifique très rigoureuse.

La boîte à outils du repositionnement médicamenteux

Première étape : analyser minutieusement les bases de données bio-informatiques sur lesquelles sont référencés quelque 3 000 médicaments avec leurs effets et leurs actions sur des cellules cultivées in vitro. Un de mes combats étant que l’industrie pharmaceutique fournisse des données sur les médicaments récents, glisse le chercheur de l’Institut de biologie moléculaire et cellulaire (IBMC-CNRS). La signature des médicaments référencés est ensuite comparée à la signature génétique des maladies ciblées. Par exemple, si l’expression de réseaux de gènes est surexprimée dans une maladie, nous cherchons un médicament provoquant l’effet inverse, poursuit le médecin.

Reproduire des mini-organes en 3 dimensions

Une fois un candidat médicament mis en évidence, les chercheurs se penchent sur un modèle plus proche de la pathologie pour évaluer l’effet de ce médicament. A travers des modèles animaux, ou des cultures de cellules prélevées chez les patients atteints de cette pathologie. Nous aimerions aussi réussir à reproduire des mini-organes en 3 dimensions à partir ces cellules des patients, pour évaluer l’effet des médicaments potentiels. Après quoi, place à l’essai clinique, dernière étape cruciale pour valider l’efficacité du médicament repositionné.

S’entourer d’une équipe dédiée au repositionnement médicamenteux

A l’issue d’un travail de deux ans, une première publication vient de paraître dans la revue Rheumatology (Oxford) sur la maladie de Gougerot Sjögren, une maladie auto-immune qui atteint les glandes salivaires et lacrymales et se caractérise par une sécheresse des muqueuses, une immense fatigue et des douleurs articulaires et musculaires. Nous avons remarqué que certains médicaments évalués en cancérologie pourraient être efficaces, mais cela reste à confirmer. Le chercheur coordonne également le projet européen Resc/kUE sur la polyarthrite rhumatoïde. Nous testons l’efficacité d’un médicament repositionné, la spironolactone, utilisé dans l’insuffisance cardiaque. L’essai clinique vient de commencer en France, en Suisse et en Allemagne.

De nouveaux mécanismes des maladies sont identifiés continuellement

Dans le cadre du projet Médicamentoscopie, Jacques-Eric Gottenberg souhaite poursuivre ces travaux, en s’entourant d’une équipe dédiée au repositionnement. J’aimerais recruter au laboratoire un bioinformaticien et un ingénieur de recherche. Nous allons continuer les recherches sur la maladie de Gougerot Sjögren pour tester l’efficacité de médicaments potentiels sur des modèles plus proches de la maladie. En plus, avec l’avancée des recherches, de nouveaux mécanismes des maladies sont identifiés continuellement, nous pouvons espérer découvrir ainsi d’autres médicaments repositionnables ! J’aimerais également utiliser le repositionnement pour d’autres maladies auto-immunes rares, comme la sclérodermie systémique, le lupus systémique et pour des rhumatismes fréquents comme l’arthrose...

Petite histoire de repositionnement

Dans les années 50, le Thalidomide, un médicament utilisé contre les insomnies, est administré pour les insomnies et les nausées pendant la grossesse. Il engendre de terribles malformations en raison de son mode d’action bloquant l’angiogenèse (le développement des vaisseaux). Alors qu’on le croyait enterré à tout jamais, le médicament a une nouvelle vie à la fin des années 90 dans un cancer, le myélome mutiple, avec une efficacité notamment liée à ses actions anti-angiogénèse, raconte Jacques-Eric Gottenberg.

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