Par Elsa Collobert
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Violence guerrière dans l’Alsace préhistorique

Dix ans après leur découverte, les squelettes mutilés exhumés à Achenheim (Bas-Rhin) continuent à livrer leurs secrets. Les archéologues ont déterminé qu’il s’agit d’envahisseurs venus du bassin parisien, massacrés dans une période de grands troubles à la fin du 5ᵉ millénaire avant notre ère. Les explications de Philippe Lefranc, archéologue et professeur de Préhistoire à l’Université de Strasbourg (laboratoire Archéologie et histoire ancienne : Méditerranée-Europe, Archimède, Unistra/CNRS/UHA).

Des crânes réduits en miettes, des membres fracturés, des impacts de flèches et… quatre bras sectionnés. Une découverte étrange et macabre, rappelle Philippe Lefranc, issue des fouilles préventives menées en 2016 sur le site d’Achenheim.

Les analyses de laboratoire ont permis d’en apprendre davantage sur les six hommes du Néolithique retrouvés sur ce site exceptionnel. Il s’agissait notamment d’expliquer la présence des quatre tronçons de bras, appartenant à d’autres individus. Ces résultats ont été publiés dans Science Advances en août 2025, puis dans l’ouvrage Conflits armés et gestes guerriers au Néolithique, cosigné avec Fanny Chenal (Inrap).

Déchaînement de violence

Il ne s’agit pas d’une sépulture au sens classique : La position entremêlée des corps montre qu’on les a déposés, voire jetés dans la fosse sans ménagement, poursuit Philippe Lefranc. Les cadavres mutilés témoignent d’un déchaînement de violence. On peut supposer que les individus ont été mis à mort ensemble puis que l'on s'est acharné sur leurs dépouilles. Plusieurs signes laissent penser qu’on a cherché à s’attaquer à leur virilité et à les humilier. 

L’hypothèse la plus probable est celle d’une exécution de prisonniers lors d’une fête villageoise de victoire, les bras sectionnés étant utilisés comme trophées, même si les captifs pouvaient en constituer en eux-mêmes, précise l’archéologue. Les six individus seraient des guerriers capturés au combat.

Enceinte fortifiée, période troublée

Entre 4300 et 4150 av. J.-C., datation estimée des corps, l’Alsace est en proie à d’importants troubles. La fosse d’Achenheim se trouvait au centre d’une enceinte fortifiée, parmi 300 silos à céréales : un indice que les populations, menacées, ressentent alors le besoin de se protéger. Plusieurs vagues de populations se succèdent alors, apportant des nouveaux groupes humains exogènes à la région.

Ces découvertes éclairent celles de Bergheim (Haut-Rhin), fouillé en 2012. Contrairement à Achenheim, on n’y avait retrouvé aucun tesson de poterie permettant d’associer les corps à une culture précise, rappelle Philippe Lefranc.

Analyses isotopiques et carbone 14

Une victoire éphémère, puisque quelques décennies plus tard, ce sont les populations originaires du Bassin parisien qui prendront le contrôle du territoire

Outre la céramique, les chercheurs disposent des analyses isotopiques, de l’ADN et de la datation au carbone 14, éléments qui leur ont permis d’en apprendre davantage sur les individus d’Achenheim. Leurs données permettent d'esquisser un scénario rendant compte d'une victoire des habitants du village sur des ennemis formant un groupe homogène, arrivé en Alsace pendant leur petite enfance, et probablement originaires du Bassin parisien. Les bras gauches ont été prélevés sur les cadavres laissés sur le lieu de l'affrontement ; les captifs ont été executés et ont vu leurs cadavres outragés lors d'une fête de victoire se déroulant dans l'enceinte du village. Une victoire éphémère, puisque quelques décennies plus tard, ce sont les populations originaires du Bassin parisien qui prendront le contrôle du territoire.

Néolithique « fantasmé »

Selon Philippe Lefranc, ces dépôts humains s’inscrivent dans un ensemble plus vaste : On retrouve des dépôts similaires le long du Danube et du Rhin supérieur, cela fait système dans les sociétés pré-étatiques. Les épisodes de « sur-violence » sont bien documentés dans ces sociétés : prise de trophées chez les Comanches, ou en Papouasie. La guerre est probablement un phénomène très ancien : l’éthologue Jane Goodall a même observé chez les chimpanzés des raids guerriers similaires. 

L’idée d’un Néolithique égalitaire et pacifique est battue en brèche

Ces données battent en brèche l’idée d’un Néolithique égalitaire et pacifique : Dès qu’il y a sédentarisation, élevage, stockage des récoltes – donc accumulation de richesses et inégalités – apparaissent des conflits territoriaux. La mobilité protectrice des chasseurs-cueilleurs disparaît. Cette image d’harmonie, longtemps dominante, a été complètement revue ces dernières années, conclut Philippe Lefranc.

La symbolique du « côté gauche »

Outre des os de bassins perforés à l’aide d’objets pointus dont la nature nous échappe encore, les membres supérieurs sectionnés retrouvés dans les fosses de Bergheim et Achenheim sont exclusivement prélevés du côté gauche. Il n’y a rien d’anodin à cela, souligne l’archéologue, lui-même gaucher. On en a aussi retrouvé plus au nord, du côté de Vendenheim. La gauche a toujours été historiquement dépréciée, souligne-il, se référant notamment à l’article de l’anthropologue Robert Hertz, « La Prééminence de la main droite », paru en 1909. Un héritage des sociétés primitives, à l’organisation binaire et se référant à la symétrie. Mais cela reste une hypothèse. 

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