Par Thomas Monnerais
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« Un récit de soi n’est jamais vraiment un récit solitaire »

Toute souffrance est-elle bonne à dire ? Pour la première rencontre des « PUS à l’oreille » de l’année qui s'est déroulée mi-octobre au Studium, Camille Lancelevée, sociologue au sein de l’unité mixte de recherche Sociétés, acteurs, gouvernement en Europe (Sage - CNRS/Unistra), a évoqué la mise en récit de la souffrance. Thème également développé dans le dernier numéro de la « Revue des sciences sociales » qu'elle a coordonné au côté de Jadwiga Bodzińska-Bobkowska, chercheuse à l'Université de Gdańsk en Pologne.

Comment les sociologues, les médecins, les patients ou encore les écrivains vivent, analysent et racontent la souffrance physique ou mentale ? Tel est le thème du dossier du dernier numéro de la Revue des sciences sociales, et celui de la première rencontre des « PUS à l’oreille », le cycle de conférences consacré aux revues éditées aux Presses universitaires de Strasbourg (PUS)

Dans la salle In Quarto du Studium, devant un public venu en nombre le temps d’une pause déjeuner, Camille Lancelevée, sociologue à l’Université de Strasbourg, spécialiste de la santé mentale en milieu carcéral, a répondu aux questions de Christophe Cassiau-Haurie, responsable de la bibliothèque universitaire du Studium, sur le dossier qu’elle a coordonné avec sa consœur Jadwiga Bodzińska-Bobkowska. 

Eclairer la mécanique de la souffrance

Personnes amputées racontant leur douleur fantôme, femme souffrant d’endométriose et son combat pour faire reconnaitre cette maladie, personnes en situation de burn out, de post partum douloureux ou encore de deuil périnatal… ce dossier éclaire la mécanique de la souffrance, qu’elle soit physique, mentale, vécue ou perçue. Réunissant onze contributions, très actuelles ou plus historiques, il se penche sur le récit - souvent individuel - qui en est fait. 

Tournant narratif, tournant sociologique 

Depuis le « tournant narratif » des années 1980, les témoignages à la première personne, à vocation scientifique ou littéraire, sont toujours plus fréquents. Mais un récit intime et singulier peut-il véritablement dépasser le cadre de l’individu en dévoilant une réalité partagée et collective ? Un récit de soi n’est jamais vraiment un récit solitaire. Raconter son histoire, c’est raconter son lien au monde, c’est révéler toutes sortes de réalités et de transformations sociales, souligne Camille Lancelevée qui s’appuie sur l’exemple de Neige Sinno. Dans son livre Triste tigre, ce dernier a mis en récit sa souffrance individuelle tout en favorisant une prise de conscience sociétale autour de l’inceste et des violences sexuelles faites aux enfants. 

Mais encore faut-il que le monde veuille bien entendre et comprendre ces souffrances, et pas seulement celles des personnes riches et célèbres, ou de celles qui se sentent légitimes à s’exprimer. Camille Lancelevée précise ainsi que certaines souffrances, quand elles ne restent pas indicibles, sont encore largement inaudibles. 

Les sciences sociales permettent de donner la parole à celles et ceux qui ne la prennent pas ou ne peuvent la prendre

Mais c’est précisément là qu’interviennent les sciences sociales , rappelle la sociologue. Elle cite par exemple un article sur une mère brésilienne issue des classes populaires qui revient sur la relation avec son enfant lourdement handicapé, ou un autre sur des résistants de la première heure qui au sortir de la Seconde Guerre mondiale n’ont pas su ou pu raconter les épreuves qu’ils avaient traversées. En plus de recontextualiser ou de déconstruire le propos, les sciences sociales permettent de donner la parole à celles et ceux qui ne la prennent pas ou ne peuvent la prendre. Et en ce sens de corriger les inégalités. 

Après la souffrance humaine, la maltraitance animale

De souffrance, mais animale cette fois, il sera question lors de la prochaine rencontre des « PUS à l’oreille ». Aurélie Choné et Aurélie Le Née évoqueront la maltraitance animale dans la littérature allemande et nordique contemporaine, thème du hors-série de Recherches germaniques qu’elles ont coordonné. 

  • Rendez-vous le jeudi 20 novembre, à 12h30, à la bibliothèque des langues du Patio (salle Hoepfner). Entrée libre.

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