Par Elsa Collobert
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Réflexions autour de la notion de performance dans l’enseignement supérieur et la recherche

400 personnes issues du monde académique – universités, ministère, opérateurs de la recherche, organisations représentatives – étaient réunies jeudi 8 février à Paris pour échanger autour de la notion transversale de performance et notamment du « choc de simplification » qu'appelle de ses vœux la présidence de la République (lire encadré), lors d’un événement organisé par News Tank. Retour sur le contenu des échanges.

La performance dans l’enseignement supérieur et la recherche (ESR), un gros mot ? La ministre Sylvie Retailleau, intervenant en clôture de la journée de réflexion, qui s’est tenue sur le campus Jussieu de Sorbonne Université, tient à battre en brèche certaines idées reçues. Non, ce n’est pas tabou pour nous d’en parler, et d’en faire un objectif. Une idée relayée par de nombreux intervenants au cours de la journée, filant la métaphore sportive, dans le contexte de préparation des Jeux olympiques et paralympiques. Il n'est pas inintéressant de faire le rapprochement de ces deux modes de compétition internationale, a souligné Bruno Bonnell (secrétaire général pour l'investissement). Une notion elle-même étroitement liée à celle de stratégie, dans un paysage académique en constante mutation, comme l'a rappelé Nathalie Drach Temam (présidente de Sorbonne Université).

Cette notion de performance a mis du temps à émerger, d'abord à la fin des années 1980, avant d'être relancée à la faveur de la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF, 2001), a recontextualisé Caroline Pascal (Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche). Estimant de son côté utile de revenir aux fondamentaux, Simon Larger (Agence de mutualisation des universités) rappelle que, si la notion est associée au monde anglo-saxon, il s’agit en fait d’une ré-importation d'un terme français du 15e siècle signifiant "Former parfaitement".

Service public et égalité sociale

Une nécessaire prise en compte de la performance devant rester nécessairement guidée par notre mission de service public, a rappelé Florent Pigeon (Université Jean-Monnet Saint-Etienne) et la nécessité de rendre compte (Caroline Pascal). Il faut évidemment continuer à financer les universités de recherche intensive ayant la capacité d’aller au plus haut, poursuit le premier, mais aussi continuer à donner des moyens à ceux qui ont la capacité de grandir, sans opposer les deux. Fort à propos, Martin Hirsch, dans la salle, rappelle l'ambition d'égalité sociale dont les universités se veulent les fers-de-lance, qui passe notamment par un lien fort à leurs territoires.

Or, rendre des comptes sur les missions confiées aux acteurs de l'ESR (formation, recherche) passe par le déploiement d'indicateurs de performance... dont la performance même est pointée du doigt par certains : Trop d’indicateurs tue la performance, ce n'est pas adapté à nos stratégies, ni parlant pour notre public, pointe ainsi Nathalie Drach Temam.

Recruter et fidéliser nos talents

Pour éclairer le débat, Olivier Dumon (Elsevier) cite des données au sujet de la recherche française : certes, celle-ci accuse une baisse en volumétrie. Mais la France est 6e dans le monde pour la citation par des brevets, tordant au passage le cou à l'idée que la recherche fondamentale se taillerait la part du lion. Si l'on regarde côté qualité des revues, – car il ne nie pas les limites d'une méthodologie purement comptable pour évaluer l’impact de la recherche – 60 % des articles publiés par des chercheurs affiliés à des institutions françaises figurent dans le top quartile. En revanche, si l'on regarde l'indice de mentorat (prise en charge des chercheurs juniors par les seniors) et la proportion de publications signées par des femmes, la France peut beaucoup mieux faire.

La notion de performance n'est pas non plus étrangère au domaine des ressources humaines : Nous ne nous en cachons pas, notre enjeu le plus important est d'attirer et de fidéliser nos talents, avance Valérie Gibert (présidente de l'Association des DGS d'établissements publics de l'enseignement supérieur, directrice générale des services de l’Unistra), rejointe en cela par Fabienne Chol, directrice des ressources humaines (DRH) de la Région Ile-de-France. Les enjeux de formation et de montée en compétence des agents, sans oublier la qualité de vie au travail, sont donc à prioriser, dans un contexte de quête croissante de sens au travail, y compris pour la nouvelle génération, aujourd'hui étudiante, salariée demain. Aux côtés de l'enjeu de l'attractivité, y compris de la fonction de chercheur, figure la hausse croissante de la précarité et de la charge de travail, en parallèle d'une baisse du taux d'encadrement, a tenu à rappeler Catherine Nave Bekhti (Sgen CFDT).

L'IA, outil de distinction

La performance passe encore par des outils, notamment de rupture comme c’est le cas de l’IA générative et son représentant le plus célèbre, ChatGPT, qui va à l'avenir (s'il ne l'est déjà) devenir un outil de distinction pour les universités et les formations, de l'avis de plusieurs intervenants. Martin Vetterli observe : L'impact des technologies de rupture est bien souvent sur-évalué à court terme et sous-évalué à long terme, mettant en regard le métaverse et ChatGPT.

La conclusion de la journée revient à Sylvie Retailleau (dans un discours rédigé sans l'aide de ChatGPT !), qui appelle elle aussi à clarifier les modalités de pilotage des opérateurs de la recherche : Il nous faut continuer à repousser les frontières de la connaissance grâce à la science, formatrice de citoyens éclairés et meilleur rempart contre les populismes et les crises qui bouleversent les équilibres de notre monde, en cette année d'élections européennes, et à l'heure de l'acte 2 de l'autonomie.

Un appel à un « choc de simplification »

Tout au long de la journée, il a beaucoup été question de l’amélioration de l’efficacité de la recherche publique, dans le sillage du discours du président Emmanuel Macron du 7 décembre dernier, appelant à gagner en simplicité pour redonner du temps utile au chercheur, pour se concentrer sur ses missions fondamentales : Trop d'appels à projets et de recherches de financements, chronophages.... A travers les Contrats d’objectifs, de moyens et de performance (COMP), les Programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR), ce sont des messages forts qui sont envoyés au terrain, dans le sens de davantage d’autonomie et d’efficacité, a lancé à la salle Claire Giry (directrice générale de la recherche et de l'innovation du ministère), appelant les universités à se saisir de l'opportunité de se restructurer... dans un court laps de temps, la première deadline étant fixée avant l'été (priorisation des sujets). A été abordée, avec de nombreuses questions, l'esquisse des futures agences de programmes annoncées par le président de la République, orientant les grandes directions des projets de recherche, les universités devenant cheffes de files en enseignement, recherche et innovation dans leurs territoires. En filigrane, une question : le choc de simplification tant attendu va-t-il constituer une véritable révolution, ou va-t-on simplement assister à un ajout de couche supplémentaire au mille-feuille ?

A l'appui de ce discours, Martin Vetterli, (Université polytechnique fédérale de Lausanne), invité comme grand témoin de la journée, estime que le fabuleux potentiel de la recherche publique française n'est pas réalisé, faute d'une organisation optimale. Lui qui a présidé le comité international d’évaluation du CNRS porte un regard expert et décentré : Il faut que la recherche devienne la voie royale pour les étudiants, comme c'est le cas dans le système anglo-saxon - sans que j'idéalise celui-ci. Il n'y a qu'en France que les organismes de recherche sont aussi agences de financements : c’est peut-être parce que ce n’est pas une bonne idée. Michel Deneken, président de l'Université de Strasbourg et d'Udice, en appelle lui aussi à un choc de confiance : il faut raccourcir et alléger, avec pour première étape la clarification. Tout en nuançant : Complexité n'est pas synonyme de compliqué, notre recherche est complexe, c'est le reflet de son bouillonnement créatif. Il en appelle à libérer les synergies. Je suis extrêmement confiant dans cette période, certes anxiogène, corollaire de toute mutation. Nous avons besoin de ce message pour débrider les énergies de nos chercheurs.

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