Par Elsa Collobert
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Quelle perspective européenne pour l’Ukraine ?

Lors du sommet des 23 et 24 juin derniers, le Conseil européen représentant les 27 Etats européens a accordé le statut de candidat à l’Ukraine, ouvrant la porte à une adhésion du pays à l’Union. Perspective réaliste ou déclaration symbolique ? L’analyse de Cédric Pellen, maître de conférences en science politique, spécialiste du processus d’élargissement de l’Union européenne.

L’Ukraine sera-t-elle le 28e Etat à rejoindre l’Union européenne (UE) ? On peut le croire au vu de l’actualité et de déclarations récentes. Notre avenir est d’être ensemble ; Nous voulons que les Ukrainiens vivent avec nous, pour le rêve européen, ont déclaré Charles Michel et Ursula von der Leyen, président du Conseil européen et présidente de la Commission européenne. La reconnaissance de son pays comme candidat à l’adhésion à l’UE est une victoire politique pour le président Volodymyr Zelensky, qui a salué une décision historique. De fait, jamais un avis n’avait été rendu si rapidement sur une demande de candidature (4 mois).

Une déclaration symbolique

Cette déclaration est avant tout symbolique, tempère de son côté Cédric Pellen. Il s’agit d’une manière, pour l’UE, de marquer son soutien à peu de frais et d’envoyer un signal positif en période de guerre. L’Ukraine avait déjà un ancrage institutionnel européen, puisque le pays est membre du Conseil de l’Europe, depuis 1995.

Et le chercheur de rappeler les multiples freins à une adhésion rapide de l’Ukraine : Un pays relativement peuplé – 40 millions d’habitants – plutôt pauvre, assez corrompu, et dont le système politique reste à plusieurs égards éloignés des standards démocratiques. Des problématiques largement partagées par la Moldavie, dont la candidature a été acceptée aux côtés de celle de l’Ukraine. Du fait même de son positionnement géographique, l’Ukraine a toujours été soumise aux influences contradictoires de l’empire russe et du camp occidental (OTAN, UE). On aurait tort de croire sa population unanimement pro-européenne, même si les événements de Maïdan en 2014 ont été provoqués par le refus du président pro-russe de l’époque, Viktor Ianoukovytch, de signer un accord d’association avec l’UE - un fiasco diplomatique pour l’Union à l’époque. Une importante partie du pays, russophone, regarde davantage vers l’est que vers l’Europe.

Cédric Pellen rappelle que l’Ukraine ne figurait pas jusqu’à présent sur la liste des pays désireux de rejoindre l’Union. A la différence de pays candidats plus avancés quant au respect de l’acquis communautaire et notamment des critères de Copenhague (établis en 1993), comme le Monténégro et la Serbie, il lui aurait déjà fallu des années pour atteindre les standards requis… Et cela vaut pour une situation normale, le chemin à parcourir sera d’autant plus important au sortir d’une guerre ! Autant dire qu’une hypothétique adhésion évoquée d’ici 15-20 ans renvoie cette perspective aux calendes grecques.

L’Europe a du mal à définir des outils d’influence autres qu’économiques

N’oublions pas que tout ceci se déroule dans une Europe mal en point, qui a déjà ses propres problèmes à régler, ajoute le chercheur. Depuis les dernières intégrations post-20001, les questions de dumping social et fiscal se posent avec acuité au sein des derniers intégrés « orientaux » du club européen. Autant d’Etats qui se sentent membres de seconde zone, alors même que leurs populations figurent parmi les plus pro-européennes. Le ‘miracle’ du rattrapage économique des années 1970-1980, de l’Irlande et de l’Espagne notamment, ne s’est pas véritablement reproduit.

Au-delà, quel idéal fait-on miroiter, quelle Europe fantasmée ?, interroge le chercheur. Et que met-on derrière la notion d’intégration ? Quels outils d’accompagnement propose-t-on ? L’UE, qui reste avant tout un marché commun, a du mal à définir des outils d’influence autres qu’économiques, à se positionner en tant que puissance géopolitique.

Espoirs déçus

Faudrait-il alors créer un autre niveau d’intégration, intermédiaire ?, s’interroge Cédric Pellen. De ce point de vue, la politique de voisinage promue par l’Allemagne d’Angela Merkel dans les années 2000, d’une coopération avec les pays aux marges de l’Europe sans perspective d’adhésion, s’est avérée un échec.

Attention encore à ne pas créer d’espoirs déçus, avertit le chercheur. Certains Etats attendent depuis des années dans l’antichambre de l’Europe : la Turquie depuis 1999 (demande d'adhésion déposée en 1987), plusieurs Etats des Balkans qui pourraient se sentir floués de voir l’Ukraine et la Moldavie les doubler dans le processus d’adhésion (voir carte ci-dessous). A force de voir leurs attentes sans cesse repoussées, la tentation est grande pour eux de se tourner vers d’autres alliés plus à l’écoute, comme la Russie ou la Chine. Gare au retour de bâton pour l’UE !

1 Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie, Slovénie, Estonie, Lettonie, Lituanie (en 2004) ; Roumanie et Bulgarie (en 2007) ; Croatie (en 2013)

Carte : les Etats membres et les pays candidats à l'UE

Source : touteleurope.eu

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